Le chevreuil et la fourmi

Mon article intitulé « la retraite offensive du météorologue » et la réaction à cet article de Roland, avaient permis d’aborder un problème plus général, celui de la responsabilité des scientifiques dans les informations mises (ou non mises) à disposition du public.

Aujourd’hui, des tas de rumeurs circulent, sans réel fondement scientifique, et arrivent à s’installer parfois durablement dans le public. Ainsi, on entend parfois dire (il n’y a encore pas si longtemps à la radio) que des espèces disparaissent de la planète mais qu’il en a toujours été ainsi. Il doit y avoir probablement des milieux scientifiques autorisés (comme dirait Coluche) qui cautionnent ce genre d’affirmation. Effectivement, vu sous cet angle, l’affirmation est vraie. Simplement, il y a aujourd’hui une espèce animale qui disparaît toute les vingt minutes de la surface du globe, ce rythme n’a donc aucune mesure avec ce qui se passait pendant les périodes géologiques passées car on considère qu’il est aujourd’hui, au minimum, cent fois plus rapide. On est dans la même erreur de raisonnement que pour les changements climatiques, à propos desquels certains disent encore très facilement qu’il y a toujours eu des excès climatiques – ce qui est vrai – mais oublient de préciser que c’est la fréquence de ces excès qui augmente à la vitesse grand V.

Mais revenons à nos espèces, qu’elles soient animales ou végétales et dont la survie est aujourd’hui – au moins pour certaines – très compromise. D’une manière générale, l’homme est peu attentif à ce qui l’entoure et, à moins que ne disparaissent de grosses espèces comme le cerf ou le sanglier, ne se rendrait pas compte des disparitions de toutes petites bestioles qui font partie intégrante de son environnement. Les habitants de nos villages se sentiraient probablement concernés par l’éradication complète du chevreuil mais seraient complètement insensibles à la disparition d’une espèce de fourmi.

Or, il n’y a pas d’échelle de valeur à appliquer au monde vivant. Au regard de la vie même, aucune espèce n’est supérieure à une autre (même si l’homme croit pouvoir s’affranchir des lois de la nature). Il faut aujourd’hui considérer que la disparition de n’importe quelle espèce, qu’elle soit animale ou végétale, ou qu’il s’agisse même d’un hybride naturel comme la fougère d’Albert, est un drame irréparable. Une espèce qui disparaît, c’est une espèce disparue à jamais ! Une espèce qui est rayée de la carte toutes les vingt minutes, c’est un coup de poignard que nous recevons en pleine panse toutes les vingt minutes. Certains trouveront dommageables que certaines espèces disparaissent en raison de la place qu’elles occupaient dans l’écosystème et les équilibres naturels. Ce n’est pas là l’essentiel. Les êtres vivants n’ont pas à justifier leur existence par une quelconque utilité. Ils existent tout simplement.

Le miracle de la vie est la seule idée forte qui devrait nous guider en ces temps troublés. Regardons donc l’insignifiante fourmi avec le même regard que celui porté sur le chevreuil qui galope dans le pré.

8 réflexions au sujet de “Le chevreuil et la fourmi”

  1. Fais gaffe, Bernard, ou tu vas finir par nourrir à courte distance non plus des jolis passereaux mais des asticots et autres tites bestioles… Comment ? C’est déjà prévu ? Ah oui, vu sous cet angle… Mais le plus tard possible alors, ok ?

    Sinon, rien à « répondre » à chaud à la lecture de ton « coup de gueule » bio divers (bio d’hiver ?)… heu… si, en fait…. un truc ou deux, quand même… je peux ?…

    1) Rendons d’abord hommage à cette si décriée espèce humaine, bien maladroite sans doute, immorale et perfectible, mais qui est tout de même la seule, jusqu’à preuve du contraire, capable de produire des individus parvenant à prendre conscience (jusqu’à parfois s’émouvoir) du sort non pas seulement des siens mais même des représentants des autres règnes. (C’est pas aussi un miracle, ça ?)

    2) Ne nous surestimons pas pour autant. En matière de destruction, même à considérer que nous sommes seuls responsables de l’éradication actuelle, nous sommes un peu comme… une fourmi ne parvenant pas à la cheville d’un chevreuil, si on se compare à ce que la Nature a fait toute seule il y a de cela soixante et quelque millions d’années.

    Je me trompe quelque part ?

  2. Bernard, tu as raison de lancer ce cri d’alarme. Tu te rappelles, bien sûr, du livre de Jean Dorst « un printemps silencieux » (ou quelque chose d’approchant) qui nous annonçait les conséquences de ces graves atteintes à la biodiversité. C’était il y a plus de trente ans et ça n’a fait qu’empirer depuis. Dorst a eu la même intuition que Dumont dans un autre domaine.
    Vincent dit une chose exacte : Homo sapiens est la seule espèce à pouvoir prendre conscience du sort des autres représentants du vivant. Il peut le faire parce qu’il a inventorié le maximum d’espèces. On sait bien que la disparition d’une macro-espèce passera moins inaperçue que celle d’une taille réduite.
    Ceci dit, l’inventaire du vivant n’étant pas achevé (cf ce qu’il y a dans la canopée ou dans ces forêts insulaires de Nouvelle-Guinée) certaines espèces auront disparu avant d’être connues ! Pour ma part je le déplore et pense que ce sont des « bibliothèques vivantes » qui sont perdues à jamais.
    Ayant pris la mesure de notre impact sur les écosystèmes nous devrions prendre des précautions et le cas échéant tenter d’y remédier. Ceci est un voeu pieux ! Nous nous sommes mis dans l’irréversible et nous ne sentons nulle part une intention de freiner le processus.
    On peut me taxer de pessimiste. Moi je dirais que je suis réaliste.
    Mais, comme Janus, j’ai une autre face : celle de l’optimiste. Je dis que tout ne sera plus comme avant et que les espaces libérés par les disparitions seront peu à peu occupés par de nouvelles espèces, d’abord opportunistes, puis totalement nouvelles comme l’a fait l’espèce de pinson venue d’Amérique et qui a colonisé les îles Galapagos… Il y a combien d’espèces de Pinsons aux Galapagos actuellement ?
    On peut s’interroger sur l’avenir de l’espèce humaine : la pression démographique, la modification de l’environnement biotique et abiotique ne vont-elles pas provoquer une sélection, un tri d’où ne survivront que les plus résistants (et les civilisés n’y auront pas forcément leur place !)
    Voilà, c’était une réflexion un peu provocatrice ; mais ce blog est un peu fait pour ça, non ?
    PS : un chercheur suisse qui a déjà découvert plus de 150 espèces de vertébrés, vient d’identifier le plus petit poisson du monde : il mesure 7.9 mm de longueur. (l’Est Républicain du 9.02.06)

  3. Roland, moi qui suis d’un naturel plutôt optimiste, je me demande aussi, comme toi, si on n’a pas atteint le stade de l’irréversible. De toute façon, si jamais l’humanité s’en sort, ce sera avec beaucoup de casse.

    Il y a quand même des gens qui s’inquiètent de la biodiversité, paraît-il, je l’ai lu dans un article un peu déplacé sur Lemonde.fr il y a deux semaines, en voici quelques extraits : : « un monde sans caviar sauvage : cette perspective fait cauchemarder les gourmets fortunés. Le 3 janvier, la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), un organisme qui regroupe 80 Etats, a décidé de suspendre les exportations d’oeufs d’esturgeon en provenance de la mer Caspienne pour faire face à la raréfaction du poisson. Les accros au caviar de la Caspienne – 90 % de la production mondiale – ne sont pas les seuls à trembler. Ceux qui en font le commerce s’inquiètent aussi.

    Roland, toi et moi ne jouons pas dans la même cour que ces gens-là, mais au moins nous voilà rassurés : les riches commencent de trembler et vont peut-être s’occuper de nos malheurs et de la chute de la biodiversité !

  4. Incroyable !
    Pour fêter la St Valentin une agence propose un kit de papillons ! Oui, des vrais ! Pour 800 euros on vous envoie un colis de beaux lépidoptères ; vous les dédiez à la belle de vos pensées et elle devrait s’esbaudir devant l’envol silencieux de ces petites merveilles…
    On n’arrête pas le progrès !
    A quand les colis de mygales pour belles-mères revêches ?
    Ou de termites voraces pour un copain ébéniste ???

  5. Oui, 800 euros un kit de papillons pour la Saint-Valentin, c’est assez incroyable ! Surtout quand on sait qu’en amour, papillonner ne coûte rien ! Ni même butiner sa belle d’ailleurs !

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