La culture du « risque zéro »

Yohann devait partir ces jours-ci avec les enfants de sa classe observer les oiseaux au bord du lac du Der en Champagne. L’éducation Nationale lui a interdit de partir, pour raison de grippe aviaire. Quand on connaît le lac du Der et le fait qu’aucun oiseau ne peut y être observé à moins de trois cent mètres (l’eau est très loin des zones d’observation), on reste sceptique quant au risque réel que représentent ces oiseaux. Mais bon, on est en pleine période de psychose collective et ceci explique sûrement cela !Cette anecdote soulève le problème plus général de la sécurité et du risque. Depuis de nombreuses années, notre société est obnubilée par le « tout sécuritaire » et nous voyons apparaître, dans tous les domaines, des normes et des réglementations de tous genres dont on peut douter de l’efficacité à long terme. Quand j’étais enfant, c’est en se brûlant au moins une fois que l’on apprenait que le feu est dangereux et c’était là une expérience – douloureuse certes – mais très formatrice et riche d’enseignements. Aujourd’hui, tout est devenu dangereux : le feu, l’eau, le moindre outil, la moindre aspérité, la moindre marche d’escalier … La peur s’installe partout et l’apparition de la grippe aviaire cristallise toutes ces peurs, de manière irrationnelle.

J’ai gardé précieusement un texte relevé dans le courrier des lecteurs de Télérama (en date du 25 octobre 2003), écrit par un enseignant de Lyon, qui soulève ce problème du risque avec beaucoup d’ironie et des mots très forts. 

Voici ce texte : “RISQUE ZERO : Parents, soyez tranquilles ! Je suis un des rares instits de France qui veillent encore sur la sécurité de vos enfants. Il paraît que le risque zéro n’existe pas. Foutaises. Ce n’est qu’une question de volonté. Il y a belle lurette que je me suis débarrassé des sorties et autres vétilles qui mettent en péril vos chérubins. Plus de gymnase à l’extérieur de l’école, plus de spectacles ou d’animations à la médiathèque. La rue est trop dangereuse. Les classes vertes et autres excursions de fin d’année ne font plus partie de mon vocabulaire. Faute d’ascenseur, je me suis battu pour ne plus avoir ma classe à l’étage. Malheureusement, quelques marches d’escalier attendent encore traîtreusement vos enfants trop pressés. Haro donc sur les déplacements inutiles et les distractions. Les salles de sciences, d’informatique, d’arts plastiques, de musique ne sont plus fréquentées. Les récréations durent dix minutes montre en main. Ils n’ont plus le temps de jouer, donc de se blesser. On a enlevé tout ce qui pouvait fâcheusement blesser vos enfants : cages, paniers de basket, jeux extérieurs. Les arbres ont été rasés, les ballons sont en mousse, les colles sont bio, les ciseaux en plastiques (et tant pis, si ça ne coupe pas), les compas interdits. Les fenêtres sont toujours fermées même avec 34°. J’évite d’envoyer les élèves au tableau. Un jour un élève a trébuché contre un pupitre et s’est cassé une côte contre le dossier d’une chaise qui n’était pas aux normes. Et puis zut ! Tant qu’à faire, gardez vos enfants chez vous … Ils auront vingt fois plus de chances d’être accidentés, mais moi au moins, je serai irréprochable et vous n’aurez pas à monnayer votre deuil devant un tribunal.”