Le blues de Sonny Boy

Image en noir et blanc. Pièce austère au décor très sobre. Au milieu, un grand bonhomme à l’allure déguingandée. Et qui semble un peu étranger à notre monde.

Le son de l’harmonica retentit. Première notes longues et plaintives. Puis un rythme lancinant qui s’installe. Caméra hésistante qui zoome lentement pour s’arrêter sur un visage étonnant. La voix retentit. Un peu lasse mais si émouvante. Les trois mots répétés ressemblent à un hymne incantatoire Bye bye Bird, Bye bye Bird, … Devant le visage, les mains évoluent de manière incroyable. A-t-on déjà vu des mains pareilles ? Les doigts se lient, se délient et jouent une danse reptilienne autour de l’harmonica. Ils semblent presque faire l’amour à l’instrument. Le corps est animé de mouvements chaloupés. L’homme fait corps avec sa musique. Le deuxième couplet est aussi dénudé. Pendant que résonnent les trois mots Bird I’m gone, la caméra refait le chemin inverse. Zoom arrière donc. L’harmonica est alors planté dans le bouche et les mains continuent ailleurs leur travail : les doigt claquent puis les mains se frappent.

La danse hypnotique se termine en douceur. Dos voûté, saluant timidement le public, Sonny Boy Williamson quitte le champ de la caméra sur la pointe des pieds. Le coeur du spectacteur bat alors très fort.

Scène filmée en 1963, avec une seule caméra. Sobriété de moyens typique de l’époque. Et qui sied à merveille à cette musique dépouillée. Toute la magie du blues condensée dans trois minutes d’émotion.

25 réflexions au sujet de “Le blues de Sonny Boy”

  1. Bonsoir monsieur,
    je sais par l’intermédiare de Nicolas D. que vous êtes un fervent spécialiste et admirateur d’oiseaux. Je permets juste une petite question; voici par deux fois à deux endroits vraiment différents (éloigné de plus de 40 km) que j’obserbe un roitelet huppé, « accompagné » d’une mésange huppée. Tous deux à quelques centimètres à se suivre dans leur envol. Est ce souvent (toujours) le cas ou le simple fruit du hasard?

    Bien cordialement.

    Emmanuel

  2. Non, non, ce n’est pas le fruit du hasard. Après la période de nidification, les mésanges se regroupent entre elles. On peut ainsi voir dès l’été des bandes de charbonnières, auxquelles se mêlent des mésanges bleues, mésanges noires et mésanges huppées. C’est ce que l’on appelle des « rondes de mésanges ». A ces bandes de mésanges se joignent d’autres espèces, régulièrement le roitelet huppé mais aussi le grimpereau des jardins et parfois la sittelle.

    Il peu y avoir à mon avis deux raisons à ces regroupements : la recherche alimentaire (quand un filon a été trouvé, toute la troupe en profite) mais aussi et surtout des raisons de sécurité. Quand un prédateur passe (l’épervier en général mais aussi une martre), l’alarme est beaucoup plus vite donnée lorsqu’il s’agit d’un groupe et les oiseaux sont alors aussitôt sur leurs gardes.

    Autre raison qui explique le rapprochement des roitelets et des mésanges huppées : ces oiseaux ont tous deux une nette prédilection pour les conifères (en période de nidification surtout) et sont donc habitués à se fréquenter.

  3. Le DVD dont je parle est consacré à deux artistes majeurs de blues : Sonny Boy Williamson et Memphis Slim. Il est disponible sur le site d’Amazon, je l’y trouve un peu cher (25,99 euros) (d’autant plus que le minutage du disque est plutôt court), il me semble que je l’avais acheté beaucoup moins cher à Forum.
    Je rappelle qu’il n’y a pas de prix fixe pour les DVD musicaux et qu’un DVD acheté 26 euros quelque part peut être trouvé à moins de 10 euros ailleurs. Il suffit de fouiner un peu.

  4. Il y a quelques rares morceaux de musique (sur support audio) que je suis capable d’écouter plusieurs fois en boucle.
    Par contre, parmi les documents vidéo, je n’en connais qu’un seul qui me fasse encore vibrer après trois au quatre écoutes successives : ce Bye bye Bird de Sonny Boy Williamson.

  5. Curieux bonhomme que ce Sonny Boy Williamson, qui prétendait être né en 1899, alors qu’un chercheur a prouvé qu’il était né en 1912. Sans doute pour défendre sa thèse qu’il fut le premier Sonny Boy Williamson, alors qu’il a usurpé le nom du « vrai » Sonny Boy Williamson (John Lee Williamson), premier harmoniciste de blues à avoir imposé cet instrument des rues.
    « Lorsqu’il arrive en Europe en 1963, encore inconnu, Sonny Boy Williamson déclenche une hystérie en partie attribuable à son extraordinaire présentation scénique. Ce sexagénaire on ne peut plus vert se produit vêtu d’un costume de bouffon, coiffé d’un chapeau melon, un parapluie au bras. Si l’on ajoute à cela des yeux de magot chinois et une barbichette de mousquetaire, on comprendra peut-être pourquoi le public européen – anglais en particulier- lui fait un triomphe. Sonny Boy Williamson n’est plus seulement un bluesman ; pour toute une génération de musiciens britanniques, il EST le blues ».

  6. Je me souviens que lors du visionnage nous étions plus d’un à ne pas pouvoir nous empêcher de RIRE en le voyant (pourtant il n’était pas déguisé en « bouffon » et jouait/chantait un vrai « blues »).
    Comment l’expliquer ?

  7. Si Sonny Boy Williamson est né en 1912 (et non en 1899), on comprend pourquoi on a écrit sur lui « ce sexagénaire on ne peut plus vert ». Car en 1963, ce séxagénaire n’était pas vraiment sexagénaire, il n’avait que 51 ans !

  8. Je rappelle que, chaque fois que je parle d’un CD ou d’un DVD, c’est aussi pour pouvoir le prêter à quiconque voudrait l’écouter ou le visionner (enfin, pour celles et ceux que je vois régulièrement et qui n’habitent pas trop loin).

    Dans le cas de Sonny Boy Williamson, en plus du DVD dont je parle, je peux également prêter les 4 CD de l’intégrale éditée chez Chess.

  9. Vincent, moi aussi, Sonny Boy Williamson me fait RIRE. Ton commentaire m’a conduit à me demander pourquoi il faisait effectivement rire. J’ai une réponse qui est complétement irrationnelle, mais la seule chose qui me vient à l’esprit est que Sonny Boy Williamson … a une tête de gnome ! Ou plutôt non, c’est l’inverse. J’ai ouvert un jour un livre extraordinaire qui parlait des gnomes et je me souviens maintenant que dans ce livre, il y avait un vieux gnome qui avait la tête de Sonny Boy Williamson.

  10. Je ne dirais pas que tu as toi aussi un tête de gnome… mais ton commentaire m’a aussi fait rire !!!

  11. C’est pas si irrationnel que ça, cette histoire de tête de gnome de SBW !

    Me vient à l’esprit cet extrait d’un sketch de Coluche qui provoque le même genre de rire (dont on a presque honte après coup) : « Dieu a dit : il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, il y aura des hommes noirs et il y aura des hommes blancs… Et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile tous les jours… Et il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux ce sera très dur ! »

    C’est vrai qu’il a pas de bol SBW… Petit, noir, moche (yeux inexpressifs de merlan frit, bouche édentée) et en plus… sa copine vient de se barrer !!!

  12. Ce qui est drôle aussi, je pense, dès qu’il se met à chanter, après une bonne minute d’introduction instrumentale virtuose – au-delà du fait qu’on découvre alors qu’il est édenté (ce qui en rajoute une couche dans son côté caricatural) – c’est qu’il se contente de ce lapidaire « Bye Bye Bye Bird ! ».
    Il y a décalage risible en effet entre ce qu’on ne peut s’empêcher d’attendre (une longue plainte, aussi virtuose et expressive avec les mots qu’il l’était en intro avec son instrument) et ce qui finalement vient. Peut-être rit-on aussi de « notre » ridicule, car c’est en réalité lui qui a raison : qu’y a-t-il d’autre à dire que ça dans une telle situation ?

  13. C’est tout de même étonnant cette magie du blues. Musicalement pauvre (deux ou trois accords seulement, toujours les mêmes), des paroles encore plus pauvres et pourtant, c’est l’une des plus belles musiques que l’on puisse écouter.

  14. Pour la « magie » du blues, je dirais :

    – c’est une musique qui nous est forcément proche, accessible. Quand la musique savante (dite « classique ») véhicule en effet les valeurs élitistes, aristocratiques, de l’ancien régime, le blues est par excellence la musique égalitaire des temps démocratiques, celle que tout le monde peut comprendre, et jouer, même les plus démunis (surtout eux même). La musique savante contemporaine reflète aussi très bien notre époque (la froideur effrayante de l’intellectualité orgueilleuse et techniciste) mais nous parle évidemment moins, nous les « péquins (ça s’écrit comme ça ?) moyens » !

    – C’est aussi, contrairement aux apparences et au lieux communs, une musique hyper-joyeuse. Car chanter le bonheur, l’amour et les petites fleurs, chanter quand tout va bien est une chose (plutôt facile, sans grand intérêt donc), mais chanter quand tout va mal, chanter au fond du gouffre, le malheur, le tragique… ça c’est vraiment chanter et la marque d’une p… de puissance et de joie de vivre !!! C’est en ça, je pense, que ça fait du bien (au même titre que le »cante jondo », le chant profond du flamenco).

    – C’est, pour conclure de façon pompeuse, une des rares musiques « réaliste » et « matérialiste » au milieu d’un univers musical surtout dominé par l’ « idéalisme » et le « spiritualisme ».

  15. Je me pose la question de savoir si la sobriété des moyens n’est pas l’une des principales conditions pour que le blues nous remue les tripes. Oui, j’aime bien quand Luther Allison joue comme un forcené sur sa guitare électrique. Mais quand il n’y a qu’une pauvre guitare bricolée, sans batterie, sans guitare basse, bref un mec tout seul et dénudé face à son public, l’émotion est infiniment supérieure. Je me demande parfois si le vrai blues n’est pas mort dans les années 40 ou 50.

  16. D’accord avec toi, Bernard, quand tu lies l’émotion à la sobriété des moyens. Mais il existe encore des bluesmen qui jouent seuls avec une guitare accoustique ! Tu m’avais bien dit que tu connaissais Kelly Joe Phelps, non ?

  17. Oui, Anne, je connais bien sûr Kelly Joe Phelps, d’autant plus que tu m’as fait connaître deux de ses disques. C’est vrai, il existe encore de vrais bluesmen mais peut-être que leur existence n’a plus tout à fait la même signification aujourd’hui (même si, je te l’accorde, d’un point de vue musical, K.J. Phelps n’a rien à envier aux bluesmen des années 50) car les conditions n’étaient absolument pas les mêmes. Le blues est très lié à un époque même s’il continue à vivre aujourd’hui, mais sous des formes différentes.

    Cela dit, je ne suis pas un puriste du blues et je ne pense pas que pour être un bon bluesman, il faut être forcément noir, dans la merde, avec sa petite copine qui vient de foutre le camp et avoir fui les champs de coton.

  18. Trop fort Bernard !
    Je conseille à tous ceux qui vont la visionner de relire ensuite l’article initial de Bernard.
    Sacrément bien écrit, nan ?

    On imagine alors facilement le grand bonhomme à l’allure dégingandée – et qui semble un peu étranger à notre monde – devant son ordi : « (…) les mains évoluent de manière incroyable. A-t-on déjà vu des mains pareilles ? Les doigts se lient, se délient et jouent une danse reptilienne autour du clavier. Ils semblent presque faire l’amour à l’instrument. Le corps est animé de mouvements chaloupés. L’homme fait corps avec son texte. (…) La danse hypnotique se termine en douceur. Dos voûté, saluant timidement spn écran, Sonny Boy Bernardson quitte sa table de travail sur la pointe des pieds. Le coeur du lecteur bat alors très fort. Toute la magie des mots condensée dans trois paragraphes d’émotion. »

  19. ça m’a fait beaucoup plaisir ce texte, Vincent.
    Est-ce que vous avez remarqué que la caméra bouge dès les premières images et qu’elle semble être animée d’un mouvement faiblement chaloupé. C’est elle qui va inciter notre bonhomme à en faire autant. Sonny Boy Williamson n’a aucune personnalité, ce n’est qu’un vil imitateur !

  20. Le blues a été inventé dans les champs de coton, c’est une musique que tu entends en mettant ton oreille sur ta chaussette.

    ***

    Dans les champs de coton, t’avais pas de pianistes.

    ***

    Avec les machines à ramasser le coton, t’as plus le même jazz.

    (J.M. Gourio, Brèves de comptoir, J’ai lu, 1992-2000)

  21. Je vous remercie ( avec un peu de retard et je m’en excuse) des explications que vous m’avez fournies. J’en profite pour vous envoyer un second remerciement suite au commentaire déposé sur mon blog et concernant les bernaches. Je vous envie quelque peu de vivre ces grands rassemblements, maintenant que j’en ai vécu un petit, que je trouvais déjà particulièrement bruillant et d’une cacophonie incroyable.. J’imagine le résultat multiplié par 10 ou 100….
    Merci de vos expériences, à très bientôt, j’espère.
    Emmanuel

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