A propos de la grippe aviaire (1)

Décidément, la grippe aviaire est à l’honneur ces jours-ci. De trop ? Pas assez au regard des risques encourus ? Je n’en sais trop rien et je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Toujours est-il que l’observation des oiseaux (qu’ils soient sédentaires ou migrateurs) est une activité qui me passionne et que, dans cette affaire, les oiseaux sauvages sont en première ligne et sont montrés du doigt. Cette histoire m’amène donc à quelques réflexions.

A priori, tous les oiseaux peuvent être atteints par le virus. Pourquoi alors ne parler que d’oiseaux migrateurs ? Surtout qu’il n’existe que très peu d’espèces strictement sédentaires, beaucoup d’espèces sont erratiques et se baladent de l’automne au printemps. Et puis, les populations migratrices sont largement en contact avec les populations sédentaires, et le virus, à partir du moment où il est présent quelque part, doit s’y répandre à la vitesse grand V et dans l’ensemble de la population d’oiseaux. Donc, première remarque : il n’y a pas à prendre des mesures différentes selon qu’il s’agisse de migrateurs, d’erratiques ou de sédentaires.

Examinons par ailleurs quelques chiffres dont on ne parle pas. Il faut savoir que le flot de migrateurs qui transitent entre l’Eurasie et l’Afrique est estimé annuellement à 6 milliards d’oiseaux. Ce flux migratoire est très accentué sur l’Europe occidentale et on peut estimer à peut-être un milliard le nombre d’oiseaux qui transitent par la France. C’est beaucoup à priori, mais réparti sur un territoire aussi vaste que la France … Sachant que tous ces oiseaux, pour la plupart petits, ne vivent que très peu (à mon avis, ça n’excède pas mille jours en moyenne toutes espèces confondues), ça voudrait dire, avec un calcul très rapide et plus qu’approximatif, que le nombre d’oiseaux qui meurent chaque jour en France est peut-être de l’ordre du million. Impressionnant, non ? Ces chiffres nous apportent un éclairage nouveau sur le problème de la grippe aviaire et sur l’impuissance de l’homme a pouvoir juguler une quelconque dispersion du virus, car il ne s’agit pas seulement de quelques oiseaux dont il faudrait se prémunir mais plutôt de l’ordre du milliard à l’échelle de notre seul pays. C’était la deuxième remarque.

Il y a surtout un autre aspect qui m’intrigue beaucoup, c’est le constat que les oiseaux retrouvés morts sont essentiellement des cygnes. Cela s’explique d’ailleurs très facilement, si l’on y réfléchit bien, car lorsqu’un cygne meurt, ça ne passe pas inaperçu et il est retrouvé dans quasiment 100% des cas (c’est le plus gros des oiseaux d’Europe et sa couleur d’un blanc pur, qui est rare dans la nature, ne passe pas inaperçue). Par contre, lorsqu’il s’agit d’un petit oiseau, le cadavre de celui-ci n’est quasiment jamais retrouvé, il disparaît toujours incognito. D’un point de vue statistique, si l’on part de ce constat mais aussi de l’hypothèse que tous les oiseaux, petits ou gros, peuvent être atteints par la maladie, on peut en déduire une conclusion intéressante. Car cela voudrait dire que pour un cygne retrouvé mort porteur du virus, il existe des milliers, voire des dizaines de milliers d’autres petits oiseaux qui meurent aussi de la maladie mais sans qu’on puisse jamais retrouver (et en plus, les petits oiseaux erratiques et grégaires du genre verdiers ou chardonnerets me semblent avoir infiniment plus de contact entre eux que n’en ont les cygnes). Fort de ce constat, le nombre de cygnes retrouvés morts pour cause de virus étant déjà actuellement de plus d’une centaine (135 simplement pour l’Iran), on peut extrapoler et imaginer que le nombre de petits passereaux morts pour la même raison est infiniment supérieur. Ce qui voudrait dire que la grippe aviaire est déjà largement répandue, au moins dans les pays où les cygnes ont été découverts. C’était la troisième remarque.

Voilà, les chiffres énumérés ci-dessus peuvent nous donner un peu le vertige et nous foutre la frousse car on imagine l’ampleur que peut prendre très rapidement le phénomène. Mais, les mêmes chiffres peuvent au contraire nous rassurer car s’il existe déjà une centaine de cygnes morts de la grippe aviaire, et donc à fortiori au moins des dizaines de milliers de petits oiseaux décimés par le même virus (peut-être même déjà autour de nous), il y a peut-être aussi matière à être optimiste car nous ne sommes toujours pas atteints.

Tout cela me parait très complexe. En tous les cas, les mesures draconiennes qui sont prises actuellement par la plupart des pays occidentaux me semblent être décidées en haut lieu sans tenir compte de la réalité de terrain (nombre réel d’oiseaux, dynamiques de population, différents types de migrations, mouvements saisonniers, …). Comment par exemple peut-on ignorer le risque dû aux chats qui prélèvent chaque année en France cinq millions d’oiseaux, dont une partie aux postes de nourrissage hivernal où viennent se nourrir des migrateurs venant des pays plus au nord ?

Enfin, que dire du comportement des pouvoirs publics qui me semble très incohérent : avez-vous remarqué que nous n’avons plus du tout entendu parler de la grippe aviaire en décembre ? Il fallait bien vendre les volailles en période de fête, non ! Et pourquoi avoir prolongé de quinze jours la chasse aux grives et aux merles dans certaines régions françaises alors qu’on nous raconte que les manipulations d’oiseaux morts présentent un risque susceptible d’engendrer ni plus ni moins qu’une pandémie au niveau de toute la planète ? Légèreté d’un côté, moyens lourds et disproportionnés de l’autre ?

J’avoue que je suis un peu perdu mais garde un certain scepticisme quant aux infos qui sont distillées dans les médias. Alors, si vous avez des avis sur la question … !

7 réflexions au sujet de “A propos de la grippe aviaire (1)”

  1. Bernard fait une analyse raisonnée et raisonnable de la situation. C’est vraiment un Homo sapiens !
    Nous devons être vigilants et ne pas céder ni à une psychose irréfléchie, ni à un optimisme béat.
    Attardons-nous sur l’émergence d’un virus pathogène : il y a partout, de manière endémique, des foyers où évoluent, mutent et se propagent des souches virales très pathogènes. S’il n’y a pas circulation des animaux (marchés locaux, exportations officielles à grande échelle) ces foyers restent confinés à des zones vite repérées et faciles à assainir. Avec notre manie de travailler en intensif sur des énormes populations serrées dans des élevages concentrationnaires, nous amplifions en un temps très court la multiplication des virus ; si la surveillance sanitaire est défaillante, si les producteurs dissimulent les morts suspectes… la dispersion hors des élevages se fait à une vitesse grand V.
    Rappelons-nous l’ESB. C’est l’Omerta qui a contribué à la dispersion gravissime de l’épidémie, ajoutée à des pratiques alimentaires aberrantes. Et maintenant on n’en parle plus ! Pourtant je suis certain que quelque part un foyer ou deux d’ESB n’attendent qu’une occasion pour se réveiller.
    Allez voir sur les sites Internet concernant les volailles infectées : c’est édifiant le nombre de bestioles qu’on a déjà incinérées. C’est rassurant et c’est inquiétant ; rassurant parce que ça montre qu’on prend des mesures drastiques pour arrêter l’épizootie ; inquiétant parce qu’on se demande comment sur de telles distances, à une telle échelle ce virus (relativement fragile de surcroît, comme tous les virus) peut atteindre la Chine, la Thaïlande, la Turquie, la Bulgarie, l’Europe du Nord et du Sud et maintenant l’Afrique. Les migrateurs sont des boucs-émissaires commodes !
    J’ai des éléments de réponse, mais je ne vois pas comment on va se protéger contre ce danger.
    La vaccination de tous les poulets, canards, pintades, oies et perroquets ???
    Pourquoi pas ! Mais aïe, aïe le prix de revient …
    En attendant si j’étais éleveur de volaille je me ferais du souci pour assurer mes fins de mois.
    Et pour les ornithos je commencerais à me reconvertir vers l’entomologie !!!

  2. Déjà, merci Bernard pour ces éléments qui éclairent bien la complexité du sujet et les questions qu’il soulève (et que les médias occultent allègrement). Où les as-tu pêchés d’ailleurs ces chiffres, steuplé ?

    Bon, donc, que peut-on (modestement) penser de cette affaire ?

    D’abord… que ce n’est justement pas une affaire qui est traitée pour nous faire « penser ». Plus grand chose nous incite à ça d’ailleurs. Je n’oublie pas, en 91, au moment de la 1ère Guerre du Golfe, un homme politique déclarant sans scrupules (ni répondant de la part des journalistes l’interwievant), pour faire taire les voix discordantes qui doutaient (déjà) du bien fondé de la guerre déclarée : « Dans les périodes de crise, il faut des pensées simples et de fortes convictions »… Bref, en d’autres mots « …des crétins militants ». La crise dure… et le programme est plus que jamais appliqué.

    C’est en effet avant tout une affaire médiatique traitée pour nous « émouvoir ». Et ça y va plein pot, on se croirait dans un vrai film hollywoodien : les héroïques chercheurs qui luttent contre un ennemi invisible venu du ciel (et qui se cache sous ce qu’il y a de plus innocent), les méchants et archaïques chasseurs qui se révèlent être en fait des gardiens de la civilisation, sur le front (au même titre que les pompiers, c’est dire !), la société entière prête à se serrer les coudes, se mobiliser pour repousser le danger, etc… Une sorte de jolie mascarade qui semble avant tout avoir pour but de nous donner l’illusion d’être encore en vie… puisque nous allons peut-être risquer de mourir !!!!!

    Ce qui me semble surtout remarquable c’est que les médias font monter la panique tant qu’elle n’a pas lieu d’être (le « passage à l’humain » n’est pas encore avéré). Je parie en revanche qu’on ne les entendra plus autant lorsque par contre le danger sera vraiment là (quand ça deviendra vraiment sérieux). Et une fois que la chose sera passée, s’il reste des survivants, ils se pousseront du coude pour nous montrer à quel point on a été manipulés.
    Ce ne sera pas la première fois qu’on nous fait le coup (cf. Guerres du Golfe) !

    Nous vivons depuis longtemps dans un monde virtuel, un véritable « parc d’abstractions ».

  3. Faut quand même le faire !
    C’est à Joyeux que le premier canard infecté a été idenfifié !
    Mais il paraît qu’il n’est pas tout seul, et que quelques cygnes auraient eu des faiblesses…
    Donc le virus se rapproche ; on prend les mesures qu’il faut (on l’espère en tout cas) ; les éleveurs crient déjà au désastre (on les comprend)… et les chercheurs cherchent.
    Le « danger est-il vraiment là »? Pour rebondir sur le commentaire de Vincent, je dirai que la vigilance s’impose, et que nos pratiques intensives nous reviennent sur la figure comme un boomerang.
    La vaccination des volailles ? Pourquoi pas !
    Et la vaccination des humains ? C’est envisageable d’autant plus qu’un labo belge a mis au point un vaccin universel contre toutes les variantes du H5, mais les grands groupes pharmaceutiques freinent des 4 fers car tout un pan de leurs juteux profits disparaitrait.
    Il sera vraiment intéressant de voir si on est prêt à changer d’habitudes, tant dans le domaine de la production que dans le domaine de la prophylaxie.

  4. Que dois-je faire, docteur ?
    Je viens de trouver une Charbonnière morte sur ma terrasse.
    A mon avis elle s’est pris un coup de vitre au moment de l’envol à la vue d’un chat.
    Mais si ça n’était pas ça ? Hein, si le H5N1 était à ma porte ?
    Alors, pour commencer j’ai collé des silhouettes de faucon sur mes vitres… précaution que j’aurais dû prendre depuis belle lurette. Mea culpa !
    Est-ce que Bernard s’est inquiété du sort des Harles bière (pardons … bièvres) qui gavouillent dans les eaux du Doubs … ? Pauvres oiseaux qui, s’ils ramassent le H5N1, vont boire la tasse !!!

  5. Quand on nourrit des oiseaux en hiver, il est très difficile d’éviter la mort d’un ou deux individus dans les vitres.
    Le risque peut-être diminué en plaçant (comme tu le dis Roland) des silhouettes de rapaces sur la vitre (cela dit, il paraît que les oiseaux s’y habituent). Mais on peut aussi nourrir directement les oiseaux sur le rebord même de la fenêtre. Car losqu’on nourrit à quelques mètres de la maison, des oiseaux effrayés par une cause quelconque (souvent la présence de l’épervier) se laissent berner par les reflets de la fenêtre, croient y voir du ciel et pan … , surtout qu’en quelques mètres, ils ont eu le temps de prendre de l’élan ! Roland, la grippe aviaire n’est pas à ta porte, à la rigueur à la fenêtre … !
    Quand aux harles bières dont tu parles, ils risquent plus de boire la chope que la tasse !

  6. On peut aussi coller des cygnes morts sur sa fenêtre : ça ne fera pas fuir que les petits zoziaux !

  7. J’entends aujourd’hui à la radio :

    – La peste du XVIe siècle a tué en quelques années un quart de la population mondiale de l’époque.

    – La grippe espagnole, en 1918, a fait plus de morts que la Première Guerre Mondiale.

    C’est drôle, ces informations, je suis sûr de les avoir déjà entendues et pourtant elles ne m’avaient pas marqué plus que ça.
    Merci donc la « grippe aviaire », au moins de me (nous ?) rappeler ce qu’est la réalité de la vie sur Terre (…de nous sortir de ce « parc d’abstractions » que j’évoquais plus haut)

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