L’oeuvre de Paul Géroudet

Il a été incontestablement le plus grand ornithologue européen du 20ème siècle. Paul Géroudet s’est éteint ce matin à l’âge de 89 ans. Les journaux n’en ont pas parlé. J’ai reçu vers midi un mail de Magalie qui m’apprenait la nouvelle qu’un oiseau lui avait sans doute donnée en passant.

Il y a trente ans, quand j’ai commencé de m’intéresser aux piafs, chaque fois que je voyais une espèce nouvelle, je me précipitais dans ce que l’on peut appeler « la bible » de l’ornithologue : « le Géroudet ». J’y trouvais toujours les renseignements scientifiques que je cherchais mais aussi et surtout beaucoup de poésie. J’étais à l’époque à l’université et la froideur toute scientifique avec laquelle certains enseignants et chercheurs abordaient le monde du vivant me faisait froid dans le dos. Seul mon prof et ami Roland avait su me montrer la nature sous un visage plus rieur et enchanteur.

La lecture de Géroudet est une véritable bouffée d’air frais. Le bonhomme est capable de vous parler d’une seule espèce sur une quinzaine de pages. L’écriture est parfaite. Quand vous avez commencé un article, vous allez forcément jusqu’au bout. Les ornithologues ne sont-ils pas prédisposés à avoir une bonne plume ?

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Son oeuvre est colossale : huit ouvrages, je crois, qui balaient l’ensemble du monde des oiseaux européens. Il faudra sans doute attendre au moins un siècle de plus pour trouver un vrai scientifique/naturaliste/écrivain doublé d’un vrai poète !

21 réflexions au sujet de “L’oeuvre de Paul Géroudet”

  1. Philippe Noiret aussi est mort aujourd’hui. LeMonde en a fait un article tellement complet ce soir (deux longues pages !) que l’article devait être prêt bien avant sa mort, ce n’est pas possible autrement ! La décence voudrait parfois que l’on attende que les corps refroidissent !
    Désolé, pour Paul Géroudet, je n’avais pas anticipé !

  2. En effet, seulement quelques lignes au chapitre « Nature » des pages régionales de L’EST REPUBLICAIN de ce vendredi 24.
    Il y a environ an, j’avais lu une interview de Paul Géroudet parue dans la revue de la LPO. J’avais été emballée par la personnalité du bonhomme et impressionnée par la qualité des propos qui incitaient à aller à aller plus loin dans la connaissance des oiseaux. Je m’étais promis alors de me plonger dans un de ses écrits…peux tu me dire Bernard par quoi commencer ?

  3. Avec la disparition de Géroudet, je pense aussitôt à son ami Robert HAINARD ; ensemble ils ont partagé de forts moments à observer la nature dans le Jura suisse ou ailleurs.
    Ces départs laissent un grand vide.

  4. Les livres sur les mammifères de Robert Hainard (dont parle Albert) et ceux de Paul Géroudet sont disponibles aux éditions Delachaux et Niestlé. Il sont plutôt chers dans l’ensemble, je crois que les deux tomes sur les passereaux valent de l’ordre de 50 euros le tome. Je crois qu’en fait il y a 7 livres sur les oiseaux (2 sur les passereaux, deux sur les limicoles, un sur les rapaces, un sur les grands échassiers et un sur les palmipèdes).

    Je viens d’ouvrir l’un d’entre eux, le tome 1 consacré aux passereaux et je suis tombé sur l’article de 8 pages consacré au rouge-gorge. En voici deux extraits, d’abord l’introduction de l’article puis le passage qui parle du chant de cet oiseau :

    « Novembre chasse les feuilles désséchées, les derniers vols de freux et de choucas rament vers le midi, au-dessus des brumes bleuâtres des bas-fonds. Dans le bois, les clameurs aigres des geais percent le silence. Asseyons-nous en lisière d’une coupe, puisque les troncs abattus gisent encore au bord du chemin. Quelques mésanges vagabondes ont passé, et soudain, sur une souche, un petit oiseau surgit, gris-brun, avec un grand plastron orangé et deux grands yeux noirs qui nous regardent. Le rouge-gorge, toujours curieux, est-il attiré par le bruit des pas brisant les branches mortes ? Attendrait-il quelque chose ? De ci, de là, il sautille à distance, puis l’inspection est terminée et il regarde le fourré où éclatent aussitôt quelques petits cris secs.
    Familier le rouge-gorge ? A l’occasion sans doute. Ainsi le jardinier qui laboure le voit souvent suivre son travail et picorer les vers et les larves que la bêche met au jour ; le bûcheron reçoit sa visite aux premiers coups de cognée, et il s’approche volontiers des chemins et des routes, si bien qu’il n’échappe pas toujours aux autos qui passent en trombe. mais n’est-ce pas plutôt l’intérêt qui le pousse ? Sans doute trouve-t-il avantageux de rechercher les gros animaux qui remuent la terre, les sangliers, les blaireaux, les chevreuils – ce serait à vérifier – et pour lui, un homme est une « grosse bête » qui peut-être lui procurera des proies en mettant le sol à nu… »

    Et plus loin, à propos du chant :

    « Les qualités de douceur et de musicalité du chant ne laissent guère supposer sa véritable signification belliqueuse. Dès l’aube, dans le bois encore dénudé de mars, dans les feuillages frais d’avril, ou dans les taillis humides et jaunis d’octobre, l’oiseau déverse ses phrases liquides, et l’on dirait qu’il improvise pour lui-même, qu’il épanche précieusement sa mélancolie : quelle erreur ! Les motifs sont brefs mais d’une extrême variété, gazouillés sur une tonalité si aigüe que bien des sons doivent échapper à notre oreille. Certains semblent sortir avec peine de son gosier, comme forcés ; puis c’est une mélodie délicate et perlée qui tombe en cascade, des sifflements étirés et sussurés, des modulations en demi-teinte… Dans l’ensemble, c’est un récitatif intime, sans grande sonorité, sans ordre, sans mélodie typique, mais d’un charme fin et discret. Quel délice de l’écouter au crépuscule, quand la fraîcheur acide monte de la terre et que de toutes parts les rouge-gorges exhalent leurs strophes confuses ou cristallines dans la forêt qui s’endort ! »

    Voilà, en espérant que ça vous aura incités à aller plus loin dans la lecture des livres de Paul Géroudet.

  5. Les rédactions peuvent mesurer « l’importance » des gens selon la taille de nécrologies rédigées, bien-entendu, à l’avance.
    J’imagine le boulot du type chargé de rallonger ou de raccourcir les articles en question, en fonction de la cote de popularité du futur défunt.

    Pour Paul Géroudet, j’avais également beaucoup aimé son interview dans l’Oiseau Magazine.
    J’imagine que tes article et commentaires vont donner envie de le lire. Je n’ai que les anciennes éditions de ses livres (des années 50 !) et je sais que certaines données ne sont plus d’actualité (sur les effectifs notamment), mais l’observation des comportements des piafs d’Europe est très complète, et, comme tu le dis, très plaisante à lire. Je pense que ses bouquins me font observer les piafs différemment.

  6. Magnifiques ces passages !
    Je connaissais Géroudet de nom parceque je suis passionné par les oiseaux mais je n’avais encore jamais lu du Géroudet …
    Merci Bernard de nous faire découvrir ce naturaliste qui avait une vraie plume de poète, comme tu le dis et comme je viens de le constater.
    Je vais donc très certainement me procurer un de ses ouvrages afin de le découvrir plus amplement…

  7. petit rectificatif : d’après ce que je viens de trouver sur le net (j’ai cherché en vain une biographie du bonhomme), il ne serait pas mort le 23 mais le 2 novembre !

  8. Robert Hainard… Robert Hainard… n’est-ce pas cet excellent naturaliste qui s’étonnait de notre étrange souci des plus faibles (débiles mentaux, drogués, etc.) que la sélection naturelle aurait cruellement mais justement éliminés ? Qui fustigeait la « mentalité d’assuré social » et n’accordait que « le droit d’être mangé ou de servir de fumier » (Expansion et nature, p 113), s’exclamant « Quel hôpital serait le monde si la force n’avait pas toujours triomphé ! » (Et la nature ? réflexions d’un peintre p 206).
    Je ne sais pas s’il laisse un grand vide, toujours est-il qu’un Sarkozy ou Le Pen dirait aujourd’hui le dixième de ce genre de propos qu’on leur tomberait dessus en criant au diable !

  9. En hommage à Géroudet, écoutons donc un morceau de Messian ou de Charlie Parker, dit « The Bird » !

  10. Oui, effectivement, je me rappelle avoir lu ces propos de Hainard il y a une vingtaine d’années et je devrais pouvoir retrouver ce livre dans mes cartons de vieux bouquins. Si un politique tenait aujourd’hui ce genre de propos (avec toutes ces caméras qui traînent dans tous les coins), c’est vrai qu’il serait « grillé à vie » !

  11. Il vivait de quoi l’Géroudet ? De ses bouquins (qqun sait-il combien il en a vendu ? s’il en a écrit d’autres ?) ? Il était prof ? Rentier ?
    Je ne suis pas parvenu à trouver ce genre d’info en surfant (rapidement je l’avoue) sur le net. Qqun a-t-il des éléments de sa bio ? Ca serait une belle façon de lui rendre hommage, nan ? de parler un peu du bonhomme et pas uniquement de son oeuvre. Qqun d’entre vous l’a-t-il rencontré ? Traînait-il dans le milieu « natur’écolo » franco-suisse ?

  12. Voilà ce que j’ai pu tiré de l’interview de Paul Géroudet, parue dans l’Oiseau Magazine du printemps 2006, il avait alors 88 ans :
    Au collège de Genève, il s’intéresse aux plantes puis aux oiseaux. Quelqu’un lui prête des jumelles (trop coûteuses pour lui) et « le feu l’a pris » vers ses 15 ans.
    Il s’inscrit alors à la Ligue suisse pour la protection de la nature ainsi qu’à la société romandes « Nos oiseaux », pour recevoir des revues.
    Il fait la connaissance du directeur du Museum d’histoire naturelle de Genève qui l’initie à la bibliothèque du musée, qu’il a entièrement parcourue, y compris les ouvrages en allemands et en anglais.
    Il fait la connaissance de Robert Hainard.
    Il est totalement autodidacte et lit des ouvrages de plus en plus arides.
    Il commence à travailler dans l’enseignement : il est instituteur.
    Il adore la littérature française qu’il dévore.
    Il commence à collaborer à la revue « Nos oiseaux » et le rédacteur s’intéresse à lui car il envisage de partir à la retraite.

    Géroudet devient rédacteur de la revue alors qu’il n’a pas 22 ans et aucun diplôme scientifique. Il le restera de 1939 à 1994 !

    La maison d’édition Delachaux et Niestlé, qui publie la revue, remarque Géroudet et lui demande de relire un ouvrage écrit par Paul A ; Robert : « Rapaces, colombins et gallinacés ».
    Puis il est mobilisé, et par à l’armée avec les deux premiers volumes du « Handbook Of British Birds » pour continuer à travailler.

    Il trouve qu’il manque de documentation d’actualité sur les oiseaux en langue française, et que, le peu qu’il existe est très marqué de l’esprit chasseur. L’ornithologue Henri Heim de Balzac ( !) disait qu’on ne pouvait pas être bien sûr de ce que l’on voyait si on n’avait pas descendu l’oiseau, et il prônait l’usage de la canne-fusil…

    Paul Géroudet a été le premier à traduire les cris et les chants d’oiseaux par des syllabes et des onomatopées.( différentes selon les langues).

    Il reportait absolument toutes ses observations dans un « grand journal », dont il s’est énormément servi pour ses écrits.

    Il sera docteur honoris causa deux fois.

  13. Comme le dit Anne qui rapporte les propos de Heim de Balzac, il est vrai qu’au 19ème siècle, les naturalistes usaient et abusaient du fusil. Il est vrai que les moyens n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Quand on voulait dessiner un oiseau, il n’y avait guère d’autre solution que de « le descendre ». ça nous paraît incongru aujourd’hui. Mais je pense que les manières de procèder des naturalistes d’aujourd’hui seront remises en question par les générations de naturalistes qui vont suivre.

    Il y a trente ans, je me suis passionné, avec mon ami Sam, pour les coléoptères. J’ai « trucidé » avec du cyanure puis épinglé quelques centaines de coléoptères dans des boîtes vitrées. C’était un pratique normale à l’époque. Quand j’y repense, je n’ai pas vraiment de sentiment de culpabilité, non, je m’interroge simplement sur le fait que je ne me suis pas posé de questions à l’époque. Et je m’interroge aussi sur le fait que les naturalistes d’aujourd’hui ne se posent pas plus de questions sur leurs pratiques.

  14. Je ne sais pas si tous les naturalistes ne se posent pas de questions sur leurs pratiques. Je vais ajouter un extrait de l’interview de Paul Géroudet car j’ai particulièrement aimé ce passage qui répond en partie au dernier commentaire de Bernard.
    A la question :
    Souvent, on reproche l’interventionnisme des protecteurs (pose de nichoirs pour les chevêches, sauvetages de nichées de busards), quel est votre avis sur la question ?
    Paul Géroudet répond :
    « Il y a toujours eu, dans l’ornithologie comme dans beaucoup d’autres domaines, des puristes 100 % et des réalistes. Je suis plutôt du côté réaliste, pragmatique. Bien-entendu, on peut discuter de la théorie, de la doctrine, mais gardons-nous des discussions vaines, il faut arriver à des résultats concrets si l’on veut que la situation reste au moins stable et acceptable. De plus, des actions comme la pose de nichoirs ou le nourrissage ont eu un effet éducatif énorme et cela, vous l’avez bien compris à la LPO. On vous reproche parfois d’être un peu populistes, mais cela ne me chiffonne pas, parce que nous sommes à une époque où il faut être le nombre pour obtenir le progrès.[…]Pour protéger la nature, n’est-il pas essentiel de travailler aussi avec les hommes ? Peut-on faire autrement ? Et les hommes, il faut les séduire, il faut les convaincre, il faut les attirer. »

  15. C’est vrai que les milieux ornithos ont rendu un bel hommage à Paul Géroudet. Mais tout ça reste en milieu fermé et la faute n’en revient qu’aux médias. Dommage que le grand public n’ait pas eu connaissance de la mort d’un Grand Homme.

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