J’aime les petites fleurs

Je ne suis pas un grand amateur de fleurs au jardin. Les fleurs cultivées sont en général trop grosses, elles étalent un peu trop leurs couleurs vives. Il y a beaucoup de vulgarité dans les fleurs d’ornement, alors que ce n’est pas le but recherché. Pourquoi l’homme s’acharne-t-il à sélectionner des fleurs de plus en plus grosses ?

J’aime par contre les choses plus nuancées, les fleurs de petite taille. Il y a un mois, les ancolies (dont Maryse et Dom nous avaient donné des graines) fleurissaient. J’ai aimé leur discrétion au jardin … mais j’ai oublié de les photographier.

Je déteste les massifs de pensées qui ornent tous les espaces publics, ronds-points et autres entrées d’hôpital. Mais j’ai un faible pour les toutes petites pensées sauvages que ma grand-mère avait dans son jardin et dont j’ai transplanté quelques pieds (les pieds des pensées évidemment, pas ceux de ma grand-mère !) dans les graviers de notre cour. C’est le domaine réservé de Joëlle qui veille à ce que les mauvaises herbes ne viennent pas trop les envahir. Au rythme où elles progressent, les pensées devraient avoir coloniser toute la cour d’ici deux ou trois ans.

pensees.png

Je n’ai pas non plus d’affection particulière pour la plupart des roses, ces soit-disant « reines des fleurs ». Beaucoup trop grosses en général. Mais Pascale m’a donné il y a quelques années une bouture de rosier grimpant à petites fleurs blanches qui me convient bien. Au bout de cinq ans, les dimensions sont impressionnantes.

rosegrimpante.png

Dans l’affreuse haie de Tuhya dont j’ai héritée en achetant la maison (et que je n’ai pas encore remplacée), émerge un églantier d’ornement dont les fleurs sont beaucoup plus petites que les vraies roses mais infiniment plus nuancées.

eglantines.png

Je ne connais pas du tout la technique du bouturage (il va falloir que je me penche un peu là-dessus, c’est une technique qui offre des tas de possibilités) mais si un lecteur de ce blog est intéressé par ces deux plantes à bouturer – petit rosier blanc et églantier rose – le jardin lui est ouvert (en contrepartie : un petit cours sur le bouturage, dont je suis preneur !). Avis aux amateurs.

104 réflexions au sujet de “J’aime les petites fleurs”

  1. Ouaip ! Il y aussi énormément de fleurs que je déteste, depuis l’œillet d’Inde en passant par les jacinthes et autres dahlias…
    Mais dans les roses, il y a quelques variétés anciennes, grimpantes et de cette superbe couleur grenat qui ont aussi une odeur remarquable.

    C’est comme ça qu’à deux pas de la maison régionale de l’environnement j’ai été envouté par l’odeur de fleurs superbes. Comme il était passé minuit, j’en ai coupé une pour la poser au-dessus du frigo et la faire respirer aux habitants.
    Plus d’une semaine après, devenue un tas noircissant et rabougri, elle embaumait encore très puissamment.
    Rien que pour ne pas avoir à répéter mon forfait, et pour le plaisir de cette merveilleuse odeur, je suis aussi intéressé par la technique des boutures de rosiers.

    La plupart du temps, je n’aime pas cueillir les fleurs, mais j’aime tellement certaines associations que je ne peux m’empêcher de faire quelques grands bouquets avec plein d’espèces communes en mai.

  2. Bah, il est de bon ton dans mon entourage de détester les fleurs trop cultivées, mais moi les dahlias, je trouve ça chouette et plein d’insectes à photographier, et si j’ai un penchant pour les roses sauvages (toutes simples et magnifiques !), je crache rarement sur l’occasion de poser mon nez sur une belle grosse rose cultivée, bien vulgaire, mais… j’aime ça… aussi ;-)

    PS : maudits codes de sécurité j’ai encore failli perdre mon message !!

  3. Les dalhias font exception à mes propos, ils font partie des grosses fleurs que finalement j’aime bien.

    La remarque de Serenense sur les insectes est intéressante. J’ai l’impression que les fleurs qui attirent beaucoup d’insectes ont beaucoup plus d’attraits, probablement à cause de ce cortège de vie autour d’elles.

  4. Parce que je suis une rose,
    disait la fleur,
    il est de bon ton de m’admirer.

    *

    Je ne me fais pas belle,
    disait la rose,
    j’y suis forcé.

    *

    Oui, je provoque,
    disait la rose rouge,
    que faire d’autre ?

    *

    Moi,
    disait la rose,
    je me respire.

    (Eugène Guillevic, EchosGallimard 1991)

  5. Pour rester dans la poésie…
    Si vraiment ce qui compte c’est le cortège d’insectes qui tourne autour
    J’connais d’autres trucs (qui attirent notamment les mouches)

  6. Des roses
    Qui ne pensent pas

    A être des roses

    *

    Pas besoin
    De regarder en arrière

    Les jonquilles
    Sont devant toi.

    *

    Comme si les fleurs
    Etaient toujours

    Au plein de leur temps.

    *

    Au matin,

    Ta rose
    Démaculée de nuit.

    *

    L’ombellifère
    Accepte.

    *

    Il sait peut-être,
    Le coquelicot,

    La joie qu’il annonce.

    *

    Un banc de violettes

    Assuré
    Dans son quant-à-soi.

    *

    Le glaïeul
    N’a besoin de personne.

    (Eugène Guillevic, Du domaine, extraits, Gallimard, 1977)

  7. Je ne m’étais jamais posé la question de pourquoi j’aime certaines fleurs et d’autres pas.

    J’aime de moins en moins les fleurs coupées des fleuristes. Sans doute influencée par ce que je connais des ravages que leur culture peut occasionner dans certains pays d’Afrique.
    Mais, n’étant pas à une contradiction près, je suis ravie quand on m’offre un bouquet. Je crois me souvenir de Diane Dufresne refusant un bouquet de roses, il y a fort longtemps, à la fin d’un concert à Montreux.

    Comme Christophe, j’aime certaines fleurs pour leur parfum (ah, l’odeur des freesias blancs…). Mais là aussi, le plaisir est plus intense quand il s’agit de fleurs sauvages (aahh, se faire surprendre par le parfum d’un chèvrefeuille en forêt…).

    Une chose est sûre, j’adore les petites pensées qui parsèment la cour des Dupdup. Je les aime d’autant plus qu’elles ont l’air d’être là par hasard (même si Bernard vient de nous apprendre que ça n’est pas le cas). Elles ne sont pas confinées dans des jardinières qui leur seraient réservées. D’ailleurs, elles vont un peu où elles veulent, rétrécissant l’accès à l’escalier, nous empêchant les trajets en ligne droite dans la cour.

  8. Les nouvelles tulipes sont là, encore intimidées, leurs gros pétales refermés, on dirait des pinces de crabe, la couleur est rose, un rose orangé, il faudrait un peintre pour les accueillir dignement, quelqu’un qui ouvrirait une voie royale de l’oeil à l’esprit, sans l’intermédiaire bruyant des mots.

    Je vous aime les filles, et j’aime avec autant d’intensité vos parentes lointaines, les fleurs gitanes des terrains vagues, celles qui sont trop frêles ou communes pour avoir une valeur marchande. Je vous aime et j’aime avec autant d’amour les pissentlits, comme j’aime chaque atome de cette matière : la tache qui est au plafond de la salle, juste au-dessus de ma tête lorsque j’écris, me semble aussi princière qu’un soleil, elle me donne même joie.

    ***

    Dans la cuisine, des roses minuscules, adorables. Deux sont en grande conversation, appuyées l’une sur l’autre. Quand je quitte l’appartement, je les regarde et j’ai la sensation de partir en laissant la lumière.

    ***

    Qu’est-ce que c’est bavard, une rose.

    ***

    Tulipes aux couleurs franches comme des dessins d’enfants. Elles sont entrées vertes dans l’appartement. Le pinceau des lumières les tire déjà vers le jaune.

    ***

    Il a suffi que je m’absente toute la journée : à mon retour je découvre les tulipes courbées vers la lumière, ployées vers la lumière, tendues vers la lumière avec une telle intensité que j’en suis presque gêné et que j’ai l’impression de surprendre un secret, de voir ce qu’il est interdit de voir.

    ***

    Dans mes amis je compte un étang, quelques arbres et presque toutes les fleurs de la création. Presque toutes – je n’aime pas les lys, trop m’as-tu-vu-dans-ma-robe-de-gala, et j’ai des souçons sur les oeillets : impossible de savoir s’ils sont morts ou vivants. Fanés, ils sont inchangés. Je soupçonne tous les oeillets d’être en papier et quant aux lys, rien qu’à les voir, je me sens anarchiste.

    ***

    Les roses dans la cuisine font peine à voir. Fripées, noircies, elles ont la tête que j’avais, enfant, lorsqu’il me fallait vivre ne serait-ce qu’un jour loin de chez moi.

    ***

    « Chez moi », c’est là où il y a assez de solitude pour qu’une rose y vive.

    ***

    A nouveau des roses. Celles qui sont dans la cuisine, d’un rouge velours, sont les plus belles. D’ici où j’écris, dans la salle, je les entends.

    ***

    A l’agitation de la lumière, les roses répondent par une seule phrase indéfiniment répétée : « C’est pas grave, c’est pas grave. »

    ***

    Cette fois, c’est moi qui me suis réveillé le premier : je découvre les roses en petite tenue, marquées par les plis du sommeil.

    ***

    Les fleurs que je viens d’acheter ressemblent à des liserons. Le fleuriste m’a dit leur nom. Quelque chose en latin. J’ai préféré les baptiser, leur donner un nom rien qu’à elles, pour leur vie dans l’appartement. Je les appelle des pièges-pour-les-fées.

    ***

    Ce soir, les fleurs et moi, on est fatigués. Rien de grave. Demain, j’inviterai de nouvelles fleurs et un nouveau « moi ».

    ***

    Des lys. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai ramené à la maison des fleurs qui ne sont pas mon genre. Peut-être parce que je ne les aimais pas, justement – pour le plaisir de me contredire, d’aller pour une fois contre mes habitudes : un vrai coup de foudre.

    ***

    Au réveil, deux lys sur trois s’étaient brisés, accablés par le poids de leurs fleurs. Avec un couteau, j’ai coupé les tiges au-dessus de leur blessure. Les fleurs continuent de s’ouvrir, grasses, blanches, tachées d’orange. L’eau leur monte plus vite à la tête – l’eau et peut-être la solitude, le silence, la jouissance de vivre sans prudence aucune.

    ***

    Les lys ont tout enduré : la fumée des cigarettes, l’odeur du café, la musique à deux heures du matin. Pas facile de partager la vie d’un célibataire. Cela dit, ils sont en pleine forme. Ils ont quitté ce côté raide qu’ils avaient au début, et c’est tant mieux : la vraie beauté ne va pas avec le solennel. La vraie beauté a toujours un je-ne-sais-quoi de nonchalant, d’abandonné – d’offert.

    ***

    Momifiés, les lys. Pétrifiés. Je viens d’acheter des roses aux pétales gros comme des ongles, blancs dans leur centre, rouge-violet sur leurs bords – des jupons sur lesquels on aurait versé du vin rouge.

    ***

    Les roses font leur travail de rose. Elle s’ouvrent, elles s’offrent. Celles qui sont dans la cuisine restent plus longtemps fraîches. Quant à celles du salon, sept filles en jupon blanc maculé de rouge, elles partagent la même eau, mais pas le même destin. L’une d’elles, par exemple, a, contrairement aux six autres, sa tête inclinée très bas comme sous le coup d’une mauvaise nouvelle. Ses voisines ne semblent pas avoir entendu la même chose.

    ***

    Les roses ont tout donné et maintenant elles meurent, ce qui est une façon de donner encore.

    ***

    etc…

    (Christian Bobin, Autoportrait au radiateur, Gallimard, 1997)

  9. Il me semblait bien que les pensées à Dupdup ne permettaient pas toujours la ligne droite !

  10. Petite fleur des champs –
    Mais pourquoi petite ?

    Nous avons les mêmes dimensions,
    Toi et moi,

    Dans cet univers
    Qui nous écrase et nous exalte,

    L’espace dont on ne sait
    S’il finit quelque part.

    ***

    Si j’étais la rose
    Qui s’offre à mes yeux,
    Qu’est-ce que je ferais ?

    Rien d’autre sans doute
    Que ce que je fais maintenant :
    Etre, simplement être,

    Eprouver plus fort
    Le passage du temps,

    Accepter
    Que tombent des pétales.

    ***

    Qu’est-ce
    Que je te confierais,
    Pâquerette ?

    Sur moi tu en sais
    Au moins autant que moi.

    ***

    A vous voir dialoguer,
    Etoile et pâquerette,

    On comprend que vous êtes
    En train de travailler

    A la perfection du monde,
    Perfection qui serait

    A vous entendre,
    Un reflet de vous deux.

    ***

    Cette nuit, rêver de vivre
    A l’intérieur de la fleur,

    Participer à tout ce qui l’occupe,
    En savoir sur elle
    Autant qu’elle-même –

    Ou bien s’imaginer
    Que l’entourage

    Est le calice d’une fleur, et vivre
    La fleur que l’on est.

    ***

    N’essayez surtout pas
    De me faire sortir
    De la tulipe.

    Je m’y suis établi,
    Son temps me convient.

    Pour cette nuit,
    J’y reste.

    ***

    etc…

    (Eugène Guillevic, Maintenant, Gallimard, 1993)

  11. C’est quoi ce truc ?
    Chaque fois que quelqu’un va intervenir, y’a un pseudo-poète qui va rajouter son grain de pollen ?

  12. La rose
    Est décolletée
    Jusqu’aux reins.
    La fleur
    Qui montre
    Ses fesses
    Est le dahlia.

    *

    Les lys
    Glacent
    L’espace
    De leurs cris
    Blancs.

    *

    La tulipe
    Souleva
    Sa robe
    Pour cacher
    Ses fesses.

    *

    Le parfum
    Se promena
    Nu
    Avec
    Pour tout cache-sexe
    La forme
    De la fleur.

    *

    « Prends-moi
    Nue »
    Dit la fleur
    Au soleil
    « Avant
    Que la nuit
    Ne me ferme
    Les cuisses. »

    *

    La rose
    Rougit
    Et devint
    Blanche
    De bonheur.

    *

    Le lys
    Retira
    Sa gaine
    Le dahlia
    L’embrassa
    A mi-cuisse.

    *

    La lumière
    Se fit
    Une blessure
    A l’oeil
    Et donna
    Le glaïeul.

    *

    La lumière
    Dans les fleurs
    Jaunes
    A
    Sa tirelire.

    *

    Le dahlia
    Avait
    Mauvaise haleine.
    Il avait
    Mangé
    Trop de fumier.

    (Malcolm de Chazal, Sens magique, Léo Scheer, 2004)

  13. Pas si étrange que ça ces allusions sexuelles (même poétiques) à propos de la fleur :

    N’est-ce pas tout bêtement l’appareil reproducteur de la plante que l’on vénère ainsi, dans lequel on fourre avec tant d’enthousiasme le nez, que l’on apprécie plutôt grand (…ou petit, n’est-ce pas Bernard ?), que l’on préfère sauvage ou domestique, etc… ?

    Bref, parle-moi de la fleur, je te dirai (un peu) qui tu es !!!

  14. LA PAROLE ETOUFFEE SOUS LES ROSES

    C’est trop déjà qu’une rose, comme plusieurs assiettes devant le même convive superposées.
    (…)
    Il est une façon de forcer les roses qui ressemble à ce qu’on fait quand, pour que ça aille plus vite, l’on met des ergots d’acier à des coqs de combat.
    Oh l’infatuation des hélicoïdogabalesques pétulves ! La roue du paon aussi est une fleur, vulve au calice… Prurit ou démangeaison : chatouiller fait éclore, bouffer, s’entrebaîller. Elles font bouffer leurs atours, leurs jupons, leurs culottes…
    (…)
    Une chair mélangée à ses robes, comme toute pétrie de satin : voilà la substance des fleurs. Chacune à la fois robe et cuisse (sein et corsage aussi bien) qu’on peut tenir entre deux doigts – enfin ! et manier pour telle ; approcher, éloigner de sa narine ; quitter, oublier et reprendre ; disposer, entr’ouvrir, regarder – et flétrir au besoin d’une seule ecchymose terrible, dont elle ne se relèvera plus : de valeur âcre et opérant une sorte de retour à la feuille – ce que l’amour, pour chaque jeune fille, met au moins quelques mois à accomplir…
    (…)
    Cet arbuste batailleur, dressé sur ses ergots et qui fait bouffer son plumage, y perdra rapidement quelques fleurs…
    Une superposition nuancée de soucoupes.
    Une levée de tendres boucliers autour du petit tas d’une poussière fine, plus précieuse que l’or.
    (…)
    Les roses sont enfin comme choses au four. Le feu d’en haut les aspire, aspire la chose qui se dirige alors vers lui (voyez les soufflés)… veut se coller à lui ; mais elle ne peut aller plus loin qu’un certain endroit : alors elle entr’ouvre les lèvres et lui envoie ses parties gazeuses, qui s’enflamment… C’est ainsi que roussit et noircit puis fume et s’enflamme la chose au four : il se produit comme une éclosion au four, et la Parole n’est que…
    (…)
    Voilà aussi pourquoi il faut arroser les plantes, car ce sont les principes humides qui, soudoyés par le feu, entraînent à leur suite vers leur élévation tous les autres principes des végétaux.
    (…)
    Du même élan les fleurs alors débouchent – définitivement – leur flacon. Toutes les façons de se signaler leur sont bonnes. Douées d’une touchante infirmité (paralysie des membres inférieurs), elles agitent leurs mouchoirs (parfumés)…
    Car pour elles, en vérité, pour chaque fleur, tout le reste du monde part incessamment en voyage.

    (Francis Ponge, Pièces, Gallimard, 1962)

  15. Etant sujet au rhume des foins (bref, allergique au pollen), je m’abstiendrai ce coup-ci de tout commentaire : il est parfois des sujets tabous qui demandent de rester à distance !

  16. Si nous savions regarder le réel de chacun de nos jours, nous tomberions à genoux devant tant de grâce. Dans un fossé du parc de la Verrerie, quelques myosotis triomphent des ténèbres par l’innocence de leur bleu et leur enfantine soumission aux ordres contradictoires du vent. Ces petites fleurs ne semblent flotter sur aucune tige, comme un ciel second égaré parmi nous. Un regard aimant sur elles et elles sont délivrées, remontant aussitôt au ciel premier à l’intérieur duquel – selon le prophète Hénoch – les anges forgent leurs épées et leurs cuirasses. Me croira-t-on si je dis que les myosotis sont plus beaux de fleurir au Creusot à l’ombre des usines asthmatiques ? C’est un même secret que la grâce et l’infortune, une même vue donnée sur l’éternel par la puissance et la douceur.

    (Christian Bobin, Prisonnier au berceau Mercure de France, 2005)

  17. CQFD
    Quand je disais que notre rapport aux fleurs nous révélait : m’aurait étonné que Vincent ne cherche pas (encore une fois) à se distinguer des autres… tout en se dissimulant !!!

  18. La rose
    Marié
    Au jaune
    Prit
    Du ventre.

    *

    Les fleurs
    Ne mettent
    Un chapeau
    Que
    Dans la brise.

    *

    La
    Marguerite
    Blanche
    Allaitait
    La
    Lumière
    Lunaire.

    *

    Les plantes
    N’ont
    De complexe
    Qu’en
    Pot.

    *

    Les fleurs
    S’envoyaient
    Des baisers
    Poste restante.

    *

    A midi
    Toutes
    Les fleurs
    Regardent
    Entre
    Leurs cils.

    *

    Les fleurs
    Qu’on
    Sent trop
    Ont
    Des
    Maux de tête.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Contes et poèmes de Morne Plage, L’éther vague, 1994)

  19. Merci, merci, mille fois merci.
    Quel luxe d’avoir accès à un peu de poésie pendant la pause café !

  20. Une petite remarque toutefois.

    Les fleurs, on peut certes les admirer, les sentir, les cultiver, les photographier, les dessiner…

    … mais on peut aussi les manger (une façon plus « charnelle » de les aimer).

    Sincèrement c’est une expérience qui vaut le coup d’être tentée.

    Pour info, sont comestibles – et « traditionnellement » consommées – (si je me réfère au volume 2 de l’Encyclopédie des plantes comestibles d’Europe » de François Couplan), les fleurs de…

    CRUES
    Pin (châton mâle), Coquelicot (pétales), Mûrier (châtons), Tilleul, Rose Trémière, Guimauve officinale, Mauve, Violette, Peuplier, Saule blanc, Aubépine, Fraise, Pommier (pétales), Rosier (pétales), Eglantier (pétales), Ronces (pétales), Framboisier (pétales), Arbre de Judée, Luzerne, Robinier faux-acacia, Trèfles, Carotte sauvage, Bourrache, Lamiers, Sureau, Chardon, Chicorée, Tournesol, Porcelle, Aunée, Laitue, Lampsane, Liondent, Marguerite, Scorsonère, Laiteron, Pissenlit, Tussilage, Comméline, Hémérocalle, Lis, Ornithogale des Pyrénées, Ail triquètre…

    CUITES
    Pin (châtons mâles), Rhubarbe, Rose Trémière, Guimauve officinale, Mauve, Glycine, Berce spondyle, Chardon, Marguerite, Massette, taro, Jacinthe d’eau, Lis, Agave, Yucca…

    EN INFUSION
    Tilleul, Bruyère, Reine des Prés, Fenouil…

  21. En sautillant ou pas, il serait temps que j’aille chez le fleuriste chercher de nouvelles roses. Celles qui sont là, penchées sur ce carnet, n’ont plus assez de force pour filtrer la lumière, agrandir l’appartement.

    ***

    Il serait temps que je vous offre quelques mots : vous êtes là depuis deux jours et je ne vous ai pas encore saluées. Je commence par vous, les iris. J’aime l’élégance avec laquelle vous accrochez des lambeaux de lumière – comme à la pointe d’une épée. Quant à vous, dans la salle, j’ai oublié votre nom. Une tige puissante et, au sommet, la grâce de petites fleurs violettes. Je ne me souviens plus de ce que la fleuriste m’a confié à votre sujet. Je pense que vous ne serez pas vexées si je me permets de vous appeler des « je-ne-sais-quoi ». Vous auriez tort de vous fâcher : c’est adorable, des je-ne-sais-quoi violets dans la tombée du jour.

    ***

    Fatigués, les iris. Lers ongles ont rayé la lumière pendant trois jours, maintenant ils sont cassés et la lumière est toujours là, intacte.

    ***

    A nouveau des fleurs dans cette maison. Elles me maquaient. Pour la cuisine j’ai pris des roses un peu trop sombres. On dirait des femmes de la grande bourgeoisie, embaumées dans leur condition. Un maintien crispé, un côté lèvres pincées. Bah. Un rien de temps et elles finiront par s’ouvrir et connaître désordre et gaieté – toutes choses que la grande bourgeoisie ne saura jamais donner. Pour la salle, j’ai pris des fleurs que je n’avaies jamais vues : des crêtes-de-coq. Enormes, une tige semblable à celle du céleri, une fleur rouge cardinal, comique. Leurs enfantillages compenseront la sévérité des roses.

    ***

    Les grandes bourgeoises dans la cuisine demeurent froides, sans grâce – sauf une qui a pris sa liberté, s’est ouverte sous le regard dédaigneux de ses soeurs, et s’amuse comme une petite folle avec la lumière orageuse qui entre à flots par la fenêtre. Je me demande d’où viennent ces roses, quelle enfance elles ont eue pour être aussi peu souples. Est-ce qu’elles savent qu’elles ne disposent que d’une semaine de vie et qu’elles sont – à part la petite folle – en train de gâcher cette semaine sous prétexte de tenir leur rang ?

    ***

    je suis parti tôt le matin, revenu dans la nuit, j’ai poussé la porte et les roses m’ont fait la fête. La fatigue se lisait sur leurs pétales. Je leur ai donné un peu d’eau puis j’ai écouté une sonate de Mozart, et c’était au fond la même chose, la même fraîcheur versée, reçue.

    ***

    Il peut sembler étrange de faire entrer, chaque semaine, deux bouquets de fleurs dans un endroit où l’on vit seul. C’est pourtant un geste dont je ne peux plus me passer. Ce geste […] est peut-être une façon d’ouvrir dans le noir une quinzaine de fenêtres, autant que de fleurs, par où du clair arrive. […] Lorsque, de retour du fleuriste, je passe le seuil de l’appartement, j’ai l’heureuse certitude d’apporter à manger aux invisibles qui m’entourent. Ces invisibles ne sont pas des morts et ne sont pas des vivants. Ils ont besoin, pour se nourrir, de mon silence, de ma solitude – et de deux bouquets de roses fraîches par semaine. Je ne connais pas leurs noms. Je ne sais d’où ils viennent. Je sais seulement qu’ils ont toujours été là, que ma vie leur doit ses joies les plus fines, et que quelques grammes de pétales roses ou mauves ne sont pas de trop pour les aider dans ce dur travail d’accompagnement.

    ***

    etc…

    (Christian Bobin, Autoportrait au radiateur, Gallimard, 1997)

  22. Et si, avec les tomates, en août, on partageait aussi des plats à base de fleurs sauvages ?

    (Je peux d’ici là, pour ceux que ça tente, faire passer les diverses recettes recensées par Couplan)

  23. OK pour la consommation de fleurs pour la soirée du 21 août mais il faut que quelqu’un s’occupe de l’organisation de cet aspect de la soirée. Je ne suis pas très compétent en la matière …

  24. FLEURS ET COURONNES

    Homme
    Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre
    Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom
    Tu l’as appelé Pensée
    Pensée
    C’était comme on dit bien obeservé
    Bien pensé
    Et ces sales fleurs qui ne vivent ni ne se fanent jamais
    Tu les as appelées immortelles…
    C’était bien fait pour elles…
    Mais le lilas tu l’as appelé lilas
    Lilas c’était tout à fait ça
    Lilas… Lilas…
    Aux marguerites tu as donné un nom de femme
    Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleurs
    C’est pareil
    L’essentiel c’était que ce soit joli
    Que ça fasse plaisir…
    Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples
    Et la plus grande et la plus belle
    Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère
    Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés
    A côté des vieux chiens mouillés
    A côté des vieux matelas éventrés
    A côté des baraques de planches où vivent les sous-alimentés
    Cette fleur tellement vivante
    Toute jaune toute brillante
    Celle que les savants appellent Hélianthe
    Toi tu l’as appelée soleil
    … Soleil…
    Hélas ! hélas ! hélas et beaucoup de fois hélas !
    Qui regarde le soleil hein ?
    Qui regarde le soleil ?
    Personne ne regarde plus le soleil
    Les hommes sont devenus ce qu’ils sont devenus
    Des hommes intelligents…
    Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur boutonnière
    Ils se promèennt en regardant par terre
    Et ils pensent au ciel
    Ils pensent… Ils pensent… ils n’arrêtent pas de penser…
    Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes
    Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées
    Les immortelles et les pensées
    Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets…
    Ils se trainent
    A grand-peine
    Dans les marécages du passé
    Et ils traînent… ils traînent leurs chaînes
    Et ils traînent les pieds au pas cadencé…
    Ils avancent à grand-peine
    Enlisés dans leurs champs-élysées
    Et ils chantent à tue-tête la chanson mortuaire
    Oui ils chantent
    A tue-tête
    Mais tout ce qui est mort dans leur tête
    Pour rien au monde ils ne voudraient l’enlever
    Parce que
    Dans leur tête
    Pousse la fleur sacrée
    La sale maigre petite fleur
    La fleur malade
    La feur aigre
    La fleur toujours fanée
    La fleur personnelle…
    … La pensée…

    (Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1949)

  25. Je veux bien tenter de m’y coller (ben oui : « C’est c’ui qui dit qui fait ») mais je crains juste qu’aient poussé quelques lacunes dans le jardin abandonné de mes compétences botaniques.

    As-tu une idée des plantes (fleuries) qu’on pourra trouver (dans ton jardin, ou près de chez toi) à cette période de l’année ?

  26. Si tu ne sais pas lui répondre, Bernard, dis-nous au moins les espèces d’oiseaux qui seront là : les brochettes de passereaux c’est pas mal non plus !

    (En plus, si j’ai bien tout saisi, il suffira de se placer dans l’affût et d’ouvrir la main)

  27. Ce texte de Prévert sur les pensées doit absolument être écouté dans l’interprétation qu’en fait Reggiani. C’est une pure merveille, comme toutes les interprétations de Prévert par Reggiani. Je peux prêter le disque.

  28. Pour trois jours, analphabète : rien de tel qu’un souci pour rendre le monde illisible. Le souci est une manière de porter à soi une attention si bruyante que l’on finit très vite par ne plus rien entendre – ni soi ni les autres. Une mort à même la vie. Après ma mort j’ai ouvert les yeux. La première chose que j’ai vue était à un mètre de moi, sur la droite : sept roses dans un vase transparent, sept présences si drôles que j’ai regretté d’avoir passé trois jours aussi loin d’elles.

    ***

    Leur tête à tête avec la lumière a épuisé les roses. J’ai rassemblé les deux bouquets, coupé les tiges, installé ce petit monde à la cuisine, dans un vase-maison-de-retraite. Du mimosa a pris leur place sur le bureau, poussins solaires, chatons dorés, Pâques au milieu de l’automne.

    ***

    Les roses ne se sont pas ouvertes. En un seul jour elles ont fait faillite. Têtes basses, tachées de brun, elles mendient un regard plus fin que le regard habituel, distrait : « Aime-moi. Je suis peu à mon avantage dans la lumière. Je n’ai pas su faire mon travail de beauté, je ne sais rien faire et je te demande de m’aimer, d’aller chercher cet amour en toi qui ne doit plus rien à l’apparence. Aime-moi parce que je suis là, terne, souffreteuse et vivante, simplement vivante donc parfaite. »

    ***

    Dans la cuisine, oeillets et mimosa – du rouge et du jaune en bonne intelligence. Les pétales des oeillets ont la même découpe que les guirlandes de bois qui sortent d’un taille-crayon.

    ***

    A ma gauche, un livre ouvert de Kierkegaard, Vie et règne de l’amour. A ma droite, les tulipes qui viennent de finir leur carrière. A ma gauche, un mort qui parle de son Dieu comme un amant ivre de sa belle. A ma droite, des fleurs qui défendent les couleurs d’un temps qui les a tuées. A ma gauche, le Danemark, à ma droite, la Hollande. A ma gauche, des phrases imprimées en caractères si petits qu’elles me font mal aux yeux. Tu devrais porter des lunettes, me dit Kierkegaard, entre deux paroles sonnant à la volée. A ma droite, pieds dans l’eau, têtes navrées, les tulipes qui murmurent : ce n’est pas un reproche, ne le prends pas mal, mais si tu fumais un peu moins, tu nous aurais peut-être donné un jour à vivre de plus. Ne les écoute pas, dit Kierkegaard : leur beauté est trompeuse. Elle passe comme le reste. Qu’est-ce qu’il nous chante, le veux gars perdu dans sa Bible, répliquent les tulipes. Qu’est-ce que c’est que cette folie de vouloir de ciel sans passer par la terre incertaine et si belle ? Et le ton monte, à ma gauche, à ma droite, entre de Danois allongé dans son livre et les Hollandaises barbotant dans un vase. Ma solitude, ce matin, ressemble à un hall de gare. Elle est aussi vaste et résonante. Je vais sortir, attendre que les adversaires se calment. Cela dit, ils n’ont pas tout à fait tort : je devrais penser à des lunettes et fumer un peu moins. Oh rien qu’un tout petit peu moins.

    ***

    Vert franchement vert, jaune franchement jaune : les tulipes ont une manière adolescente de simplifier le monde.

    ***

    Un seul regard sur les tulipes et je me sens ragaillardi. Je goûte par là au meilleur de la vie conjugale : quand l’autre, contagieux de lui-même, transmet sa gaieté sans même s’en rendre compte.

    ***

    Les tulipes dans leur décomposition ressemblent à des iris. Morts depuis trois jours, elles continuent leur métamorphose. S’ouvrir n’était que la première étape d’un bien plus long voyage.

    ***

    Les tulipes, après leur mort, quand la main les frôle, bruissent comme du papier froissé. La lumière continue d’arriver mais ne peut plus rien pour elles. Je ne sais pourquoi je les garde si longtemps, sans doute parce qu’il leur reste quelque chose à me dire.

    ***

    Nombreuses anémones, mauves et rouges, l’équivalent d’une classe de collège. Elles se bousculent autour de la lumière comme autour d’une petite nouvelle, arrivée en cours d’année scolaire.

    ***

    Les roses mortes gardent un peu de fraîcheur, un jour ou deux, avant de sécher. Leurs pétales, effondrés sur eux-mêmes, font penser à des dessous féminins légers, sur une chaise. Les roses mortes ne sont pas mortes : elles ont jeté tous leurs vêtements pour filer nues entre les bras de la lumière.

    ***

    Aucune fleur depuis trois jours, et c’est bien : je devenais trop dépendant de leur lumière. J’en arrivais à confondre mon amour pour elles avec cette dépendance. C’est une confusion qu’un peu de solitude dissipera.

    ***

    etc…

    (Christian Bobin, Autoportrait au radiateur, Gallimard, 1997)

  29. Pour le disque de Reggiani, je suis preneuse (je veux dire, emprunteuse).

    Pour les fleurs qui se mangent, je sais que ma mère met régulièrement des fleurs de capucines dans la salade. C’est délicieux, légèrement poivré. La difficulté étant de trouver des capucines sans pucerons….

    T’es allé faire tes courses à Monop ces jours-ci, Vincent, pour avoir cette idée-là ? J’y ai vu, pas plus tard qu’hier, des barquettes de fleurs fraîches à rajouter dans la salade. Enfin, fraîches, fallait pas être trop regardant. J’ai trouvé que 3,30 € pour quatre pensées fanées, c’était vraiment gonflé. Ça doit être très « branché ».

  30. Le travail – phénoménal – de Couplan est resté pendant longtemps quasi-confidentiel, mais depuis que Marc Veyrat (deux fois 3 étoiles au guide Michelin, 20 au Gault & Millau) s’inspire de ses recherche et collabore avec lui (ils ont une émission de télé sur France 3, un livre écrit en commun : Herbier gourmand) c’est vrai que c’est devenu un peu « branchouille » de manger des fleurs et plantes sauvages.

    (Pour info : une des thèses de Couplan, c’est que la caractéristique du fameux régime crétois (qui ferait vivre les gens centenaires) ne serait pas uniquement l’huile d’olives, comme on le prétend souvent, mais avant tout dans le maintien de la tradition de la cueillette de plantes sauvages comestibles.)

  31. Le chant de certaines fleurs
    Est a cappella :
    La scabieuse, par exemple.

    Celui d’autres fleurs
    Est polyphonique :
    L’orchidée.

    (Eugène Guillevic, Le chant, Gallimard, 1990)

  32. Rien n’est autant que lui
    L’ami de la pervenche

    Et du plant de salade
    Qui commence à pousser.

    (Eugène Guillevic, Inclus, Gallimard, 1973)

  33. Ben dis donc… le poème de Guillevic extrait d’Inclus, on dirait une dédicace pour Bernard !!!

  34. Ah les pauvres fleurs dans les parterres des jardins ordonnés.
    On dirait qu’elles ont peur de la police…
    Mais si vraies qu’elles fleurissent de la même façon
    Et ont le même coloris ancien
    Qu’elles eurent en liberté sous le premier regard du premier homme
    Qui les vit déjà écloses et les effleura délicatement
    Pour les voir avec les doigts également.

    (Alberto Caiero, alias Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeau, C.Bourgeois, 1989)

  35. Quelqu’un connaît-il la légende qui associe le Myosotis à la phrase « Ne m’oublie pas ! » ? Je ne m’en rappelle plus, et ne sait trop om la chercher.

    Sinon, Bernard, ta grand-mère (tu sais, celle qui avait un conte expliquant pourquoi les mésanges avaient une cravate noire sur une chemise jaune), elle n’a pas une autre version que celle de Prévert sur l’origine du nom des « Pensées » (ou d’autres fleurs) ?

  36. A midi
    Toutes
    Les fleurs
    Regardent
    Entre
    Leurs cils.

    *

    La rose
    Rouge
    Agitée
    Eut
    Une
    Syncope
    Du blanc.

    *

    Les
    Fleurs
    Ne
    Rient
    Qu’au
    Bord
    Des
    Sources.

    *

    Les fleurs
    Sont
    Myopes
    Sans
    Leurs feuilles.

    *

    La pâquerette
    Est
    La plus belle
    De toutes
    Les lingères.

    *

    Des fleurs
    Grises
    Causeraient
    Un arrachement
    De feuilles.

    *

    Si les fleurs
    Ne nous
    Voyaient
    Nous
    Ne les verrions
    Pas.

    *

    Il faisait
    Si chaud
    Que
    Les fleurs
    Durent
    Se servir
    De
    Leurs couleurs
    Comme éventail.

    *

    La fleur
    Connaît
    Le vice
    Quand
    On la met
    Sur le dos.

    *

    Les feuilles
    Dans le bouquet
    Sont
    Autant de doigts
    Tendus
    Vers la fleur.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Poèmes, Léo Scheer éditions)

  37. Je ne sais pas si cela vient d’une légende, mais les noms anglais et allemand de Myosotis veulent tous deux dire Ne m’oublie pas. Brassens le chante dans Les deux oncles :

    Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin
    Un p’tit forget me not pour mon oncle Martin
    Un p’tit Vergiss Mein nicht pour mon oncle Gaston
    Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons…

    L’étymologie grecque du nom signifie «oreille de souris» en raison de la forme des feuilles

  38. « Pour une seule rose, il faut donner de l’eau à cent mille épines. »

  39. La prochaine fois, Vincent, tu feras tes recherches tout seul sur Wikipédia… On n’est pas tes sbires, tu sais. Voilà en tout cas ce qu’on y trouve qui devrait répondre à ton attente :

    Selon la légende, un chevalier et sa dame se promenaient le long d’une rivière. Il se pencha pour lui cueillir une fleur, mais perdit l’équilibre à cause de son armure et tomba à l’eau. Alors qu’il se noyait, il lança la fleur vers sa dame en criant « Ne m’oubliez pas ! » Cette phrase pour désigner la fleur est d’ailleurs restée en allemand (das Vergissmeinnicht), en anglais (forget-me-not), en espagnol (no-me-olvides), en italien (nontiscordardime), et dans beaucoup d’autres langues (polonais, danois, néerlandais, roumain, etc.). Le nom myosotis vient du grec ancien et signifie « oreilles de souris. »

  40. L’OEILLET

    […] L’opposer aux fleurs calmes, rondes : arums, lis, camélias, tubéreuses.
    Non qu’elle soit folle, mais elle est violente (quoique bien tassée, assemblée dans des limites raisonnables).

    *

    Au bout d’une tige, hors d’une olive, d’un gland souple de feuilles, se déboutonne le luxe merveilleux du linge.
    Oeillets, ces merveilleux chiffons.
    Comme ils sont propres.

    *

    A les respirer on éprouve le plaisir dont le revers serait l’éternuement.
    A les voir, celui qu’on éprouve à voir la culotte, déchirée à belles dents, d’une fille jeune qui soigne son linge.

    *

    […] Trompettes pleines gorgées bouchées
    Par la redondance de leur propre expression

    Gorges entièrement bouchées par des langues

    Leurs pavillons leurs lèvres déchirées
    Par l aviolence de leurs cris de leurs expressions

    *

    etc…

    (Francis Ponge, La rage de l’expression, Gallimard, 1976)

  41. Hééééé hoooooooooo !
    Reste correct, HB, steuplé !

    T’as le droit d’être totalement étanche (ou allergique) au moindre soupçon de poésie (on l’a bien remarqué), mais c’n’est pas une raison pour devenir grossier, voire injurieux !

    Ok ?

  42. Tu devrais carrément te créer un troisième personnage HB, avec lequel tu discutes (je ne parle pas de ceux que tu fais intervenir ponctuellement, je parle d’un autre, récurent…, avec qui tu aimes dialoguer!)… comme ça, les dialogues seraient encore plus intéressants et auraient encore moins l’allure de monologue…
    Il te reste quoi comme facette à explorer?

  43. ça fait 4 jours que je cherche quelles fleurs je n’aime pas et je n’arrive pas à trouver !!!
    ce que j’aime le plus, c’est au printemps quand les premières fleurs sortent de terre, dès fois sous la neige : perce-neige, crocus, jonquilles & narcisses, jacinthes, tulipes…. on a mis des bulbes dans l’herbe et c’est la surprise tous les ans… qu’est ce qui va repousser ou pas ?
    je trouve ça magique…

  44. « Tout monologue est un dialogue.
    Tout dialogues est un monologue. »

    (Paul Valéry, Cahiers, 1973)

  45. Si tu savais, Humeur ironique, combien j’ai d’hétéronymes ici, tu n’en reviendrais pas.
    Et si toutes les discussions de ce blog étaient des illusions, issues d’un même cerveau délirant ?
    Toi même d’ailleurs, es-tu bien sûr d’exister vraiment ?
    Regarde rien que ton nom… et le mien… Ça ne t’intrigue pas ?

  46. Ohé les gentils 68 tards !
    Vos fleurs poussent sur les décombres d’une révolution morte ou pas encore née.
    Respect au monde des racines, s’il vous plaît.
    Et votre fleur des poètes là, elle repousse vraiment ?

  47. Laisser les racines

    Resserrer sous terre
    Leurs filets

    (Eugène Guillevic, Du domaine, Gallimard, 1977)

  48. Flore
    A de la lumière
    Dans les mains

    Et quand elle les ouvre
    Ses paumes
    Rappellent des ciels.

    *

    Et toi, pissenlit,

    Pourquoi toujours
    Faire le modeste
    A ras de terre,

    Toi qui vers le zénith
    Elèves ton jaune solaire ?

    *

    Pas une fleur épanouie
    Qui ne crie au monde

    Sa joie d’exister,
    Sa certitude
    Qu’elle est indispensable.

    *

    La joie d’être au monde,
    Le goût de s’offrir,
    L’absence de peur,
    La gloire de durer,
    L’infini du fini –

    Flore en fait
    Le coquelicot.

    *

    C’est parce qu’il est ce rouge
    Que Flore lui donne

    Que le coquelicot
    Parle pour tous ceux
    Qui n’ont pas de couleur
    Ou qui la cachent.

    *

    Miracle, cette églantine
    Au milieu des fougères
    En pleine forêt,

    Miracle, c’est vrai,
    Mais dans cette forêt
    Tout est miracle :

    Vois la chenille
    Devenir papillon.

    *

    Iris,
    Que tu pousses
    Avec tes méandres,

    Que tu te tendes,
    Que tu t’ouvres,

    Toi, tu ne te vois pas,
    Mais nous, nous,
    Tu nous éblouis.

    *
    Jamais,
    Par aucun temps,

    Les colzas en fleur
    Ne contestent le ciel.

    *

    Tu es ainsi, Flore,
    Que tu ne peux pas croire

    Que jamais violette
    Ne veut essayer

    De lancer sur les champs
    Le cri de l’alouette

    Pour voir se dresser vers elle
    Toutes les herbes.

    *

    Rose,
    Je te respecte.

    Pâquerette.
    Je t’aime !

    *

    Même défleurie
    L’aubépine

    Célèbre encore
    Sa victoire.

    *

    Pour nous

    La fleur du pommier
    Deviendra la pomme.

    La fleur du rosier
    Meurt avec la rose.

    *

    Flore a vu le géranium
    Supplier la rose
    D’aller moins vite.

    *

    etc…

    (Eugène Guillevic, De la nature, 1994)

  49. Voici revenu
    Le temps des pétales.

    Je me sens
    Plus inclus dans le monde.

    *

    Altier
    Comme un iris ouvert
    Le premier jour

    *

    Le chardon
    Tend vers le ciel

    Le bleu qu’il lui voue.

    *

    La clématite
    N’est jamais
    Entrée en révolte.

    Mais l’iris.

    *

    Fleur
    Dont je ne connais pas le nom,

    Je te pardonnerais
    Si tu m’obligeais

    A t’aimer.

    (Eugène Guillevic, L’oeil des pétales, 1991)

  50. Toutes les fleurs
    Ont de la beauté
    A donner.

    Pas la même.
    Pas de la même façon.

    *

    Je finis par croire
    Que j’ai bu

    Dans le calice
    De toutes les fleurs
    De ce terroir.

    *

    Toutes les corolles
    Clament très fort

    Que jamais le temps
    Ne fera demi-tour.

    *

    Si la fleur le voulait,
    Pourrait-elle
    Ne pas devenir fruit,

    Se laisser tomber
    Pétale après pétale ?

    *

    J’ai rencontré la rose
    Un jour comme les autres.

    Depuis,
    On ne se quitte pas.

    *

    J’ai dit à la fleur
    Que je n’étais pas elle,
    Que je le regrettais.

    Elle m’a répondu :
    Ne le regrette pas,
    Tu dures, toi.

    *

    Je suis devant la fleur
    Que je ne nomme pas.

    Elle attend
    Et j’ai du plaisir

    A la voir qui se tend
    Vers ce qu’elle soit être.

    *

    Quand on n’a pas le goût
    De saisir le jour,

    La rose elle-même
    N’est que du végétal.

    *

    Crois-tu
    Que pour en arriver là,
    Pour ainsi s’épanouir,

    La rose
    N’a pas dû souffrir ?

    *

    Rose,
    Regarde-moi.

    Ce n’est pas
    Que je sois seul au monde,

    Mais toi,
    Toi.

    *

    A rose égale,
    Soleil égal.

    (Eugène Guillevic, Pour trois compositions végétales, 1989)

  51. Rose, quand tu seras défunte,
    C’est que ce n’était pas possible.

    Peut-être tu n’acceptais pas
    D’être la rose, toi qui sais
    A l’intérieur comme on est.

    (Eugène Guillevic, Choses, 1970)

  52. Ne cherche oas
    A déchiffrer
    Ce que tu vois là,

    C’est tout un monde :
    C’est une rose.

    *

    Faut-il dire à larose
    Qu’elle est une rose ?

    Ou elle le sait déjà,
    Ou elle ne l’apprendra jamais.

    *

    Qu’importe si
    Je ne comprends pas
    La rose :

    Par elle, je vois.

    *

    Aller jusqu’à croire
    Que la rose est un oeil

    Et dire encore
    Que je ne crois en rien.

    *

    Rose,
    Regarde-moi.

    Bien sûr,
    Je ne suis pas seul
    Au monde,

    Mais toi,
    Toi.

    *

    Rose,
    On dit que « tu es sans pourquoi »,

    Mais en toi, tout m’apostrophe :
    Je crois que tu t’interroges

    Sur ton devenir
    Que tu pressens

    Comme cette explosion
    Qui t’accomplira,

    Mais que tu redoutes.

    *

    Rose,
    Pour que tu m’ignores
    Si superbement

    C’est que tout ton être
    Se prépare
    Au magnificat.

    *

    Rose,
    Plus les jours passent
    Et plus tu t’ouvres.

    Est-ce davantage d’air
    Ou de temps
    Que tu cherches ?

    Dépêche-toi.

    *

    Rose,
    Parmi toutes les fleurs,

    Tu as une façon
    De t’offrir sans te donner
    Qui n’appartient qu’à toi.

    Pour rivaliser avec toi
    Il n’y a que le soleil.

    *

    Montre-moi
    Ton visage, rose,

    Qu’est-ce que tu crains ?

    *

    Rose, peut-être
    Que si tu te savais si belle

    Tu n’aimerais pas autant jouer
    A nous provoquer.

    *

    La rose
    Ne prétends rien,

    Surtout pas
    Etre une rose.

    *

    Rose qui sous mes yeux
    S’expose,

    Que de fleurs
    J’ai caressées !

    Toi,
    Je n’ose pas.

    *

    Rose, j’ai rêvé
    Que tu avais une main

    Et que tu me la tendais.

    *

    Rose,
    Tu m’en demandes trop.
    Tu m’arraches à moi

    Et tu m’emmènes
    Vers ce qui te domine,
    Te possède.

    *

    Rose,
    Près de toi
    L’homme se sent
    Mal accordé à son destin,

    Lui qui
    A chaque instant
    Doit faire l’effort
    De se mériter.

    *

    Rose,
    Qui que tu sois,
    Tu es fleur.

    Alors, ne vis pas fermée
    Sur un bien-être solitaire,

    Montre ton intérieur :
    Avoue tout.

    *

    Rose,
    Ne méprise ni la pâquerette
    Ni la violette.

    Elles aussi ont leur destin
    Et la sensation de ce qu’il sera,

    Elles, comme toi, reçoivent
    Regards d’amour
    Et de jalousie.

    *

    Rose,
    Ta parenté
    Avec les épines ?

    *

    Mais oui, rosier,
    Je vais t’aider
    A finir ta rose.

    *

    Rose, quand je te vois
    Je me dis que tu viens
    D’un autre monde,

    D’un monde
    Où les couleurs
    Sont l’unique langage.

    Un grand merci, rose,
    Puisque tu nous révèles
    Tant d’alchimies de la lumière.

    *

    Je comprends, rose,
    Que tu me dises : éveille-toi.

    Je crois l’être,
    Mais à te voir

    Je constate
    Que tu voudrais

    Que moi aussi
    Je t’éblouisse.

    *

    Pourquoi cette rose
    S’offre-t-elle à moi ?

    Qui n’a rien fait pour elle ?

    *

    On n’en finira pas
    De te remercier, rose,

    A te voir t’appliquer
    Pour finir en beauté.

    *

    Savoir, hélas,
    Que faire durer l’extase

    N’est pas donné
    Même à la rose.

    *

    Absolu : Le monde
    Ne serait pas ce monde
    S’il n’y avait la rose.

    (Eugène Guillevic, Mémoire de roses, 1994)

  53. LE MIMOSA

    Sur fond d’azur le voici, comme un personnage de la comédie italienne, avec un rien d’histrionisme saugrenu, poudré comme Pierrot, dans son costume à pois jaunes, le mimosa.
    Mais ce n’est pas un arbuste lunaire : plutôt solaire, multisolaire…
    Un caractère d’une naïve gloriole, vite découragé.
    Chaque grain n’est aucunement lisse, mais, formé de poils soyeux, un astre si l’on veut, étoilé au maximum.
    Les feuilles ont l’air de grandes plumes, très légères et cependant très accablées d’elles-mêmes ; plus attendrissantes dès lors que d’autres palmes, par là aussi très distinguées. Et pourtant, il y a quelque chose actuellement de vulgaire dans l’idée du mimosa ; c’est une fleur qui vient d’être vulgarisée.
    … Comme dans tamaris il y a tamis, dans mimosa il y a mima.

    *

    Nous dirons plutôt qu’une fleur, une branche, un rameau, peut-être même une plume de mimosa.
    Aucune palme ne ressemble plus à une plume, à de la plume jeune; à ce qui est entre le duvet et la plume.

    *

    Peut-être, ce qui rend si difficile mon travail, est-ce que le nom du mimosa est déjà parfait. Connaissant et l’arbuste et le nom du mimosa, il devient difficile de trouver mieux pour définir la chose que ce nom même.
    Il semble qu’il lui soit parfaitement appliqué, que la chose ici ait déjà touché des deux épaules…
    Mais non ! Quelle idée ! Puis, s’agit-il tellement de le définir ?

    *

    N’est-il pas beaucoup plus urgent d’insister, par exemple, sur le caractère à la fois glorieux et doux, caressant, sensible, tendre du mimosa ? Il y a de la sollicitude dans son geste et son exhalaison. L’une et l’autre sont des épanchements, au sens qu’en donne Littré : communication de sentiments et de pensées intimes.
    Et de la déférence : condescendance mêlée d’égards et dictée par un motif de respect.
    Tel est le tendre salut de sa palme. Par là peut-être voulant faire excuser sa gloriole.

    *

    Bosquet de plumes grises aux derrières d’autruches. Des poussins d’or s’y dissimulent (mal), sans cachotterie.

    *

    Accessoire de cotillon, accessoire de la comédie italienne. Pantomime, mimosa.

    Un fervent de la pantomime osa.
    Enfer ! Vendre la pente aux mimosas.

    (Ex-martyr du langage, on me permettra de ne pas le prendre plus tous les jours au sérieux. Ce sont tous les droits qu’en ma qualité d’ancien combattant – de la guerre sainte – je revendique. – Non, vraiment ! Il doit y avoir un juste milieu entre le ton pénétré et ce ton canaille.)

    *

    Embaume cette page, ombrage mon lecteur, rameau léger aux plumes retombantes, aux poussins d’or !
    Rameau léger, gratuit, à floraison nombreuse.
    Plumets découragés, poussins d’or.

    *

    etc…

    (Francis Ponge, La rage de l’expression, Gallimard, 1976)

  54. La rose
    A toujours encore
    A me chuchoter.

    *

    La rose
    Définit mieux que d’autres
    L’état de fleur.

    *

    Mais si j’étais une rose
    Je ne le saurais
    Peut-être pas.

    *

    Ce n’était rien,
    Rien qu’une rose
    Qui criait sa soif.

    *

    Je ne voulais
    Plus rien dire de la rose,
    Mais elle me force.

    (Eugène Guillevic, Rose, rose, 1993)

  55. Le ptit Lou s’ébattait dans un joli parterre
    Où poussait la fleur rare et d’autres fleurs itou
    Et Lou cueillait les fleurs qui se laissaient bien faire
    Mais distraite pourtant elle en semait partout
    Et perdait ce qu’elle aime

    Morale

    On est bête quand on sème.

    (Guillaume Apollinaire, )

  56. FLEURS

    D’un gradin d’or, – parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, – je vois la digitale s’ouvrir sur un tapis de filigranes d’argent, d’yeux et de chevelures.
    Des pièces d’or jaune semées sur l’agate, des piliers d’acajou supportant un dôme d’émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d’eau.
    Tels qu’un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.

    (Arthur Rimbaud, Illuminations)

  57. UN DAHLIA

    Courtisane au sein dur, à l’oeil opaque et brun
    S’ouvrant avec lenteur comme celui d’un boeuf,
    Ton grand torse reluit ainsi qu’un marbre neuf.

    Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun
    Arome, et la beauté sereine de ton corps
    Déroule, mate, ses impeccables accords.

    Tu ne sens même pas la chair, ce goût qu’au moins
    Exhalent celles-là qui vont fanant les foins,
    Et tu trônes, Idole insensible à l’encens.

    – Ainsi le Dahlia, roi vêtu de splendeur,
    Elève sans orgueil sa tête sans odeur,
    Irritant au milieu des jasmins agaçants !

    (Paul Verlaine, Fêtes galantes)

  58. Si ta fraîcheur parfois nous étonne tant,
    heureuse rose,
    c’est qu’en toi-même, en dedans,
    pétale contre pétale, tu te reposes.

    Ensemble tout éveillé, dont le milieu
    dort, pendant qu’innombrables, se touchent
    les tendresses de ce coeur silencieux
    qui aboutissent à l’extrême bouche.

    *

    Je te vois, rose, livre entrebâillé,
    qui contient tant de pages
    de bonheur détaillé
    qu’on ne lira jamais. Livre-mage,

    qui s’ouvre au vent et qui peut être lu
    les yeux fermés…,
    dont les papillons sortent confus
    d’avoir eu les mêmes idées.

    *

    Rose, toi, ô chose par excellence complète
    qui se contient infiniment
    et qui infiniment se répand, ô tête
    d’un corps par trop de douceur absent,

    rien ne te vaut, ô toi, suprême essence
    de ce flottant séjour ;
    de cet espace d’amour où à peine l’on avance
    ton parfum fait le tour.

    *

    Abandon entouré d’abandon,
    tendresse touchant aux tendresses…
    C’est ton intérieur qui sans cesse
    se caresse, dirait-on ;

    se caresse en soi-même,
    par son propre reflet éclairé.
    Ainsi tu inventes le thème
    du Narcisse exaucé.

    *

    T’appuyant, fraîche claire
    rose, contre mon oeil fermé -,
    on dirait mille paupières
    superposées

    contre la mienne chaude.
    Mille sommeils contre ma feinte
    sous laquelle je rôde
    dans l’odorat labyrinthe.

    *

    De ton rêve trop plein,
    fleur en dedans nombreuse,
    mouillée comme une pleureuse,
    tu te penches sur le matin.

    Tes douces forces qui dorment,
    dans un désir incertain,
    développent ces tendres formes
    entre joues et seins.

    *

    J’ai une telle conscience de ton
    être, rose complète,
    que mon consentement te confond
    avec mon coeur en fête.

    Je te respire comme si tu étais,
    rose, toute la vie,
    et je me sens l’ami parfait
    d’une telle amie.

    *

    Contre qui, rose,
    avez-vous adopté
    ces épines ?
    Votre joie trop fine
    vous a-t-elle forcée
    de devenir cette chose
    armée ?

    Mais de qui vous protège
    cette arme exagérée ?
    Combien d’ennemis vous ai-je
    enlevés
    qui ne la craignaient point.
    Au contraire, d’été en automne,
    vous blessez les soins
    qu’on vous donne.

    *

    Seule, ô abondante fleur,
    tu crées ton propre espace ;
    tu te mires dans une glace
    d’odeur.

    Ton parfum entoure comme d’autres pétales
    ton innombrable calice.
    Je te retiens, tu t’étales,
    prodigieuse actrice.

    *

    Ne parlons pas de toi. Tu es ineffable
    selon ta nature.
    D’autres fleurs ornent la table
    que tu transfigures.

    On te met dans un simple vase -,
    voici que tout change :
    c’est peut-être la même phrase,
    mais chantée par un ange.

    *

    Tout ce qui nous émeut, tu le partages.
    Mais ce qui t’arrive, nous l’ignorons.
    Il faudrait être cent papillons
    pour lire toutes tes pages.

    Il y en a d’entre vous qui sont comme des dictionnaires ;
    ceux qui les cueillent
    ont envie de faire relier toutes ces feuilles.
    Moi, j’aime les roses épistolaires.

    *

    Rose, eût-il fallu te laisser dehors,
    chère exquise ?
    Que fait une rose une rose là où le sort
    sur nous s’épuise ?

    Point de retour. Te voici
    qui partages
    avec nous, éperdue, cette vie, cette vie
    qui n’est pas de ton âge.

    (Rainer Maria Rilke, Les roses, Seuil, 1972)

  59. La pauvre fleur disait au papillon céleste :
    – Ne fuis pas !
    Vois comme nos destins sont différents. Je reste,
    Tu t’en vas !

    Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
    Et loin d’eux,
    Et nous nous ressemblons, et l’on dit que nous sommes
    Fleurs tous deux !

    Mais, hélas ! l’air t’emporte et la terre m’enchaîne.
    Sort cruel !
    Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine
    Dans le ciel !

    Mais non, tu vas trop loin ! – Parmi les fleurs sans nombre
    Vous fuyez,
    Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre
    A mes pieds.

    Tu fuis, puis tu reviens ; puis tu t’en vas encore
    Luire ailleurs.
    Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
    Tout en pleurs !

    Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles,
    O mon roi,
    Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes
    Comme à toi !

    *

    Roses et papillons, la tombe nous rassemble
    Tôt ou tard.
    Pourquoi l’attendre, dis ? Veux-tu pas vivre ensemble
    Quelque part ?

    Quelque part dans les airs, si c’est là que se berce
    Ton essor !
    Aux champs, si c’est aux champs que ton calice verse
    Son trésor !

    Où tu voudras ! qu’importe ! oui, que tu sois haleine
    Ou couleur,
    Papillon rayonnant, corolle à demi pleine,
    Aile ou fleur !

    Vivre ensemble, d’abord ! c’est le bien nécessaire
    Et réel !
    Après on peut choisir au hasard, ou la terre
    Ou le ciel !

    (Victor Hugo, Les chants du crépuscule, 1834)

  60. […]

    On voit rôder l’abeille à jeun,
    La guêpe court, le frelon guette ;
    A tous ces buveurs de parfum
    Le printemps ouvre sa guinguette.

    Le bourdon, aux excès enclin,
    Entre en chiffonnant sa chemise ;
    Un oeillet est un verre plein,
    Un lys est une nappe mise.

    La mouche boit le vermillon
    Et l’or dans les fleurs demi-closes,
    Et l’ivrogne est le papillon,
    Et les cabarets sont les roses.

    […]

    (Victor Hugo, L’art d’être grand-père)

  61. LA VIOLETTE

    « Pourquoi faut-il qu’à tous les yeux
    « Le destin m’ait cachée au sein touffu de l’herbe,
    « Et qu’il m’ait refusé, de ma gloire envieux,
    « La majesté du lis superbe ?

    « Ou que n’ai-je l’éclat vermeil
    « Que donne le printemps à la rose naissante,
    « Quand, dans un frais matin, les rayons du soleil
    « Ouvrent sa robe éblouissante ?

    « Peut-être pourrais-je en ces lieux
    « Captiver les regards de la jeune bergère
    « Qui traverse ces bois, et, d’un pied gracieux,
    « Foule la mousse bocagère.

    « Avant qu’on m’eût vu me flétrir,
    « Je me serais offerte à ses beaux doigts d’albâtre ;
    « Elle m’eût respirée, et j’eusse été mourir
    « Près de ce sein que j’idolâtre.

    « Vain espoir ! on ne te voit pas ;
    « On te dédaigne, obscure et pâle violette !
    « Ton parfum même est vil ; et ta fleur sans appas
    « Mourra dans ton humble retraite. »

    Ainsi, dans son amour constant,
    Soupirait cette fleur, amante désolée ;
    Quand la bergère accourt, vole, et passe en chantant ;
    La fleur sous ses pas est foulée.

    Son disque, à sa tige arraché,
    Se brise et se flétrit sous le pied qui l’outrage ;
    Il perd ses doux parfums, et languit desséché
    Sur la pelouse du bocage.

    Mais il le fut pas sans attrait
    Ce trépas apporté par la jeune bergère,
    Et l’on dit que la fleur s’applaudit en secret
    D’une mort si douce et si chère.

    (Chênedollé, Etudes poétiques)

  62. C’est vrai qu’elles sont parfois un peu bourgeoises, m’as-tu-vue, parvenues, les roses, pas très humbles, fines et discrètes quoi (comparées à d’autres)… mais quelle délicatesse elles ont su faire naître dans les écrits des poètes qui se sont penchés sur elles !!!!

  63. LE JARDIN PRECIEUX

    Les pourpres hortensias timides en leur coin
    écoutaient la clochette à l’entrée du jardin
    Les galants gardénias dans leurs suaves pourpoints
    entendaient le doux cri des arbres enfantins
    Les charmants géraniums, agiles et mutins,
    se lavaient les cheveux tout autour du bassin
    Les violettes émues en robe de satin
    tendrement respiraient le bon air du matin

    Une gente fillette avec un sécateur
    en fit tout un bouquet – la fin de ce bonheur

    (Raymond Queneau, Battre la campagne, Gallimard, 1968)

  64. LE COQUELICOT

    Le champ de blé met sa cocarde
    coquelicot.
    Voici l’été, le temps me tarde
    De voir l’arc-en-ciel refleurir.
    L’orage fuit, il va mourir,
    Nous irons te cueillir bientôt,
    coquelicot.

    (Robert Desnos, Chantefables et chantefleurs, Gründ, 1945)

  65. A propos des fleurs

    Les récoltes s’annonçaient belles cette année-là et Tierno admirait avec tous la lourdeur des épis de mil. L’un des élèves demanda :

    – Tierno, ne trouves-tu pas que les métropolitains qui plantent et entretiennent des fleurs qui ne portent pas de fruits agissent comme des grands enfants qui perdraient leur temps en des jeux pénibles et coûteux ?

    – Frères en Dieu, je ne partage pas du tout ton avis. Celui qui cultive des fleurs adore, car ces délicates parties du végétal, parées de couleurs éclatantes ne s’ouvrent que pour saluer Dieu dont elles sont des outils pour l’oeuvre de la reproduction. La symbolqiue des fleurs n’est pas de notre race mais ne blasphémons pas à propos d’elle. Si, au moment où les plantes fleurissent, il t’arrive de faire une promenade en brousse, examine les abeilles. Tu sauras que chaque fleur est un sentier mystique. Avant de fabriquer le miel dont Dieu lui-même a dit qu’il était un remède l’abeille se pose sur chaque fleur qui a sa tête au soleil pour lui demander sa contribution. Et cela doit être comme Dieu l’a dit à la fin du 76e verset de la sourate XVI : « Il y a en cela un signe pour ceux qui réfléchissent. »

    Il revenait à la ville et sans prendre de repos reprenait la leçon de ses grands élèves. Le moindre fait, le plus banal accident, l’oiseau qui passe, la tige de mil qui éclate dans le feu, tout était occasion d’enseignement pour cet amoureux de la nature et, à travers elle, de son créateur. A ses élèves il ne cessait de dire :
    « Faites votre travail, non pour l’espoir du gain, mais pour faire toujours de votre mieux ce que vous avez à faire. »

    (Amadou Hampâté Bâ, Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, Présence africaine, 1957)

  66. Les roses du jardin, sur la table, avaient souffert de l’orage, la veille d’être cueillies : leurs pétales se sont détachés en quelques heures, tombant en pluie blanche sur un livre ouvert. Cette vision était si belle que je n’ai pas osé toucher le livre de toute la semaine. Il m’a bien manqué pendant ce temps, mais les pétales faisaient de ses phrases une lecture sans aucun doute plus fine et pertinente que la mienne.

    *

    Le rosier qui frissonne sous la petite fenêtre de la cuisine, devant la maison de M.-C et N. à Saint-Ondras, les acacias dont les fleurs grêles maintiennent la présence de l’éternel à la maison de long séjour au Creusot, le magnolia de la rue Notre-Dame à Marciac qui s’endort et se réveille au chant des tourterelles et le tilleul devant ma fenêtre, dont les lueurs vertes ricochent sur la page du livre que je lis : tous font partie de ma famille et, bien qu’enracinés à jamais là où ils sont, dans mon coeur qui les aime leurs feuilles se touchent et se parlent.

    *

    L’exubérante floraison du magnolia dans les derniers jours de mars est ce qui ressemble le plus au coeur des saintes.

    *

    J’ai placé le vase rempli de roses jaunes sur le sol, devant la fenêtre basse, pour donner à boire à la lumière.

    *

    Au maché ne vieille femme proposait des fleurs de son jardin. Leurs couleurs étaient si fraîches que, mises à leurs côtés, les fleurs des fleuristes auraient ressemblé à des femmes un peu vulgaires et grassement maquillées, affolées par le désir de plaire. A midi la vieille femme a compté ses sous puis elle est remontée au paradis où elle possédait un peu de terre.

    *

    J’ai trouvé dans les bois une jonquille solitaire, luisant comme une trompette de plastique jaune qu’un enfant aurait gagnée à une fête foraine et qu’il aurait ensuite – sous le coup d’une colère – plantée là.

    *

    F. n’aimait que les fleurs dont la couleur s’accordait à celle du canapé de son salon. Par ses exigences esthétiques, elle bâtissait un enfer chic où son mari, ses enfants et elle-même mouraient à petit feu, donnant alentour l’image d’une famille parfaite et d’une vie réussie, jusqu’à ce que son mari la quitte comme on saute par la fenêtre avant que l’incendie ne mange toute la maison.

    *

    Les petites fleurs de l’hortensia, dans la cour de la maison d’enfance, ressemblaient aux alvéoles d’un poumon qui, au lieu d’être roses, auraient été bleus. Elles remuaient faiblement sous le vent, comme la discrète respiration d’un autre monde que celui où l’on m’invitait à grandir.

    *

    Elles jetaient leurs feux à une cinquantaine de mètres en avant de moi, brillant comme des éclats de verre bleu, éparpillés sur un écrin bombé de velours vert. Mes pas, jusque-là nonchalants sur le chemin goudronné qui traversait la forêt, ont adopté l’allure plus ferme quoique mélangée d’inquiétude de l’amoureux qui arrive près du lieu convenu de rendez-vous, apercevant au loin celle dont le nom fait battre les tambours de son coeur. La route n’était pas tout à fait plate et par instants leurs étincelles disparaissaient, comme si elles n’étaient qu’une invention de mes yeux fatigués. Quand je suis arrivé près d’elles, elles m’ont aussitôt, avec la simplicité qui fait leur âme, révélé leur nom : des pervenches. Dans leur coeur légèrement creusé, le Christ dont elles sont les frêles prophéteresse avait commencé à boire un peu de l’eau du ciel.

    *

    Le Polonais à la maison de retraite cueillait des fleurs dans les plate-bandes pour les offrir aux infirmières. Les fleurs volées étincelaient entre ses doigts, réjouies par une vie devenue soudain plus brève mais plus pure.

    (Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard, 2001)

  67. Ainsi donc, rose,
    Malgré

    Les cajolements, les répétitions,
    Les analyses, les descriptions,
    Les lyriques modulations,
    Les amoureuses dévastations,

    Malgré même
    Les comparaisons,

    Tu continues,
    Pareille.

    *

    Rien
    N’était moins étranger
    Que les violettes.

    Elles ne promettaient pas plus
    Que le possible.

    *

    Ente la saxifrage et la bruyère,
    Ente la mousse et la pervenche,
    Ente le pissenlit et le genêt,
    Ente le myosotis et le chèvrefeuille,

    Comme entre l’azur et le nuage,
    Entre le ciel et la barque,
    Ente le chêne et le toit d’ardoise,

    J’existais. J’étais là.
    Je servais de lieu.

    (Eugène Guillevic, Etier, Gallimard, 1979)

  68. Nous ne faisons pas assez attention. Si nous regardions bien, si nous regardions calmement, nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette : elle est là, toute bête, toute jaune. Pour être là, elle a dû traverser des morts et des déserts. Pour être là, toute menue, elle a dû livrer des guerres sans pitié.

    (Christian Bobin, L’équilibriste, Le temps qu’il fait, 1998)

  69. J’ai vécu dans la fleur.
    J’y ai vu le soleil
    Venir s’occuper d’elle
    Et l’inciter longtemps
    A tenter ses frontières.

    *

    Va, fleur,
    Avance.

    Tout veut s’ouvrir
    Et même nous, ces hommes
    Plus effrayés qu etoi,

    Moins assurés que toi
    De donner leur mesure.

    Allons de pair,
    Dépensons-nous.

    (Eugène Guillevic, Sphère, Gallimard, 1963)

  70. Avoir en écrivant l’autorité absolue d’une pâquerette, telle est mon ambition.

    *

    Je m’étais fait dans mon enfance une idée de la beauté qui ne devait rien aux visages hautains des vendeuses de parfumerie ni aux vitrines ruisselantes de lumière des bijouteries, et tout aux moineaux que je voyais par la fenêtre de ma chambre se poser sur les larges fleurs roses d’un hortensia, aussi légères et diaphanes que les dentelles d’un nouveau-né à son baptême, illuminées par des milliers de gouttes de pluie. J’avais grandi dans cet émerveillement que donne la pauvreté mariée avec l’amour : l’argent manquait souvent mais l’amour qui brûlait entre mes parents, et d’eux à moi, donnait aux vitres de la maison un brillant de rivière. La rudesse distraite de quelques fleurs des champs dans un ancien verre à moutarde, leur allure invinciblement libre composaient un bouquet d’un éclat bien plus pur que celui des roses rouges martyrisées par l’industrie, glacées, garottées – leur teint violacé ne disant plus un incendie mais une apoplexie qui leur ferait sous peu choir lamentablement la tête -, mises en rond sur le stables d’apparat dans les grands restaurants.

    *

    Je pensais à l’impatience des vivants, qu calme des morts et à la dure joie cachée dans cette vie et parfois, comme ici, dévoilée dans l’incendie des fleurs : une flambée pour rien, pour personne sinon pour Dieu même.

    *

    « Voici mes petites soeurs », me dit Louise Amour en me désignant d’un geste ample la roseraie avec ses milliers de pensionnaires penchées les unes contre les autres pour des confidences angéliques. « Vous allez me tromper avec toutes ! » ajouta Louise Amour, coquette. Je me tournai vers elle, aveuglé par tant de beauté, souriant : « Non, car je vous retrouverai dans chacune. »

    *

    « Le merveilleux chez les roses, c’est que, de leur vivant, elles ne montrent leur coeur à personne. »

    *

    Elle me montra une rose : chaque pétale semblait retroussé par l’ongle d’un sculpteur invisible, travaillant une matière de buée, de chair ou de nuage : « La théologie est inutile. Une rose est un livre saint : elle ouvre le coeur de celui qui la lit. Vous êtes ici dans la plus belle bibliothèque du monde. »

    *

    Chaque parole de la rosiériste me sonnait comme un boxeur. Celle-ci me renversa : « Le parfum des parfumeurs, c’est l’âme volée des fleurs. On devrait l’interdire aux belles dames et l’utiliser uniquement pour laver les clochards et les agonisants. »

    (Christian Bobin, Louise Amour, Gallimard, 2004)

  71. Regardons quand même,
    Regardons toujours.

    Ces fleurs prouvent
    La source d’abondance.

    Elles sont
    Dans leur exploit,

    Ne se doutent, on dirait,
    De rien,

    Même pas qu’une fois
    Elles n’auront plus
    A témoigner.

    *

    Jour après jour
    Essayer d’être fleur,

    D’être comme elles
    Pleines du toucher
    De l’immédiat,

    Porteur d’un vent de lumière
    Au milieu des autres passants.

    Etre fleur
    Contre la menace.

    (Eugène Guillevic, Parcs, 1979)

  72. Dieu adopte les jardins abandonnés, posant sur leurs herbes fiévreuses une main de vent frais. Il n’y a rien d’oublié par le monde qui ne soit, dans l’invisible, connu et exalté.

    *

    J’ai vu le pré, comme un miroir de l’âme, subir les assauts de l’infini. Chaque mois des corps francs débarquaient de l’invisible. D’abord des centaines de pissentlits précédant une armée de marguerites bientôt soutenues par la mitraille des boutons d’or puis par celle des bleuets. Les fleurs des champs sont les yeux d’un dieu aveugle tourné vers nous de toute sa bienveillance.

    *

    Il était impossible de rester innocent quand on marchait dans son jardin, tellement il contenait de primevères, de coucous et de violettes. Même en faisant attention on écrasait des petites ames coloriées, comme si le jardinier avait laissé des sentinelles pour le défendre en son absence.

    *

    Vivre – longer une muraille jusqu’à trouver une brèche lumineuse. J’ai découvert de telles fissures dans le jaune assourdissant des pissenlits, ces enfants pauvres du soleil. J’avance très lentement. Je mourrai sans être arrivé au fond du jardin.

    *

    Le fleuriste qui pour les enterrements vendait des fleurs flétries après leur avoir donné une fausse vigueur en les réfrigérant, est resté dans mon esprit comme ce diable de l’avarice qui ouvre grand sa gueule de pierre, dans la cathédrale d’Autun. Les morts ont à faire un tel travail dans le noir qu’ils ont besoin des lampes allumées des fleurs fraîches. Les vivants devraient élever un arc de triomphe floral sous lequel défileraient les âmes harassées de leurs disparus.

    (Christian Bobin, Une bibliothèque de nuages, Lettres vives, 2006)

  73. L’eau du ruisseau
    Se regardait

    Vivre le jaune

    Dans le narcisse
    Epris de ciel.

    *

    L’églantine

    Qui cherche en elle,
    Trouve en elle

    Ce qui peut
    La faire plus fleur.

    *

    Roses,
    Que diriez-vous

    Si le matin
    Vous promettait
    L’éternité ?

    *

    A voir autour de lui
    Tant de coquelicots,

    Le bleuet
    Préférait le rouge.

    (Eugène Guillevic, Relier, Gallimard, 2007)

  74. Tu ne vas quand même pas passer ta vie dans l’adoration d’un brin d’herbe me disait celui qui passait sa vie dans l’adoration du monde où rien ne pousse, pas même un brin d’herbe.

    (Christian Bobin, L’éloignement du monde, Lettres vives, 1993)

  75. Hé bé… Tu traînes encore par ici, Bernard ?
    Et en plus tu parviens à toujours lire ce qui s’y écrit (en flot continu… et plutôt sirupeux) ?
    Chapeau !
    En tout cas, il en fait fuir plus d’un ton « spam’poétique » !
    (Ça a un peu, comme qui dirait, cloué le bec à tout le monde. A l’avenir, faudra vraiment trouver un fltre plus efficace !)

    J’profite du léger répis qu’il semble nous accorder (aurait-il épuisé son stock ?), pour laisser un ti commentaire sans intérêt… si ce n’est de ramener le « niveau » un peu plus près du sujet (« au ras des pâquerettes ») : les pensées de ta grand-mère, t’as remarqué ? on dirait qu’elles portent des oreilles de Mickey !

    Voilà ! Rien de plus !

  76. A propos de Mickey et des pensées de ma grand-mère, ça me fait penser à d’autres pensées, celles de Gainsbourg, un peu osées, et dont je ne me rappelle que quelques bribes :

    J’ai un Mickey Mouse
    Un gourdin dans sa housse
    Et quand tu s’cousses,
    Y mousse !
    J’ai un Mickey Mouse
    Une paire de pamplemousse
    … »

  77. LA PREMIERE AUBEPINE

    Il faisait frais encor, je ne m’attendais pas,
    Aubépine adorable,
    A voir se balancer à l’entour de mes pas
    Ton ombre sur le sable.

    Mais j’ai levé la tête, et ta sublime odeur
    Sur mon front s’abandonne.
    Juliette n’a pas plus d’amour dans le coeur
    Au verger de Vérone.

    Je tremble, je m’arrête et je te tends les bras,
    Vanille sur la branche !
    Est-ce donc cette fois que ta langueur fera
    Mourir mon corps qui penche ?

    Hélas ! on n’est jamais averti contre vous,
    On ne peut se défendre,
    Quelles armes prend-on contre un parfum si doux
    Dont le coeur va se fendre ?

    Et vous avez l’air bon, simple, calme, ingénu,
    Attirant les abeilles ;
    On ne peut soupçonner qu’un calice ténu
    Ait des forces pareilles.

    Se peut-il, chère fleur, que vous vous complaisiez
    A ce jeu qui transperce ?
    Que n’ai-je sur mon coeur un bouclier d’osier,
    Comme un soldat de Perse !

    Inépuisable odeur, qui nous lie et nous tient
    Jusqu’à ce qu’on se pâme,
    Il n’est pas de plus doux et de pire entretien
    Que d’écouter votre âme.

    Ah ! les dieux soient loués ! Vous allez défleurir,
    Car les jours se dépêchent…
    Mais l’Amour a déjà, de vos mortels soupirs,
    Enduit ses dures flèches !

    (Anna de Noailles, Les jardins)

  78. ELOGE DE LA ROSE

    […]

    O douceur des jardins ! beaux jardins dont le coeur
    Avec l’infini cause,
    Régnez sur l’univers par la force et l’odeur
    De la limpide rose,

    De la rose, dieu vif, petit Eros joufflu
    Armé de courtes flèches,
    A qui les papillons font un manteau velu
    Quand les nuits sont plus fraîches.

    Rose de laque rose, ô vase balancé
    Où bout un parfum tendre,
    Où le piquant frelon doucement convulsé
    Sent son âme s’épandre,

    Rose, fête divine au reflet argentin
    Sur la pelouse éclose,
    Orchestre de la nuit, concert dans le jardin,
    Feu de Bengale rose !

    Rose dont la langueur s’élève, flotte ou pend,
    Tunique insaisissable,
    Que ne peuvent presser les lèvres du dieu Pan
    A genoux sur le sable,

    Rose qui, dans le clair et naïf paradis
    De Saint-François-d’Assise,
    Seriez, sous le soleil tout ouvert de midi,
    Près de sa droite assise !

    Rose des soirs d’avril, rose des nuits de mai,
    Roses de toute sorte,
    Rêveuses sans repos qui ne dormez jamais
    Tant votre odeur est forte,

    Fleur des parcs écossais, des blancs cloîtres latins,
    Des luisantes Açores,
    Vous qui fûtes créée avant Eve, au matin
    De la plus jeune aurore,

    Rose pareille au ciel, au bonheur, au lac pur,
    A toute douce chose,
    Rose faite de miel, et faite d’un azur
    Qui est rose, ma rose !…

    (Anna de Noailles, Les jardins)

  79. LE VERGER DE LIS

    C’est un verger de lis, fleurs vives, blanches, rousses :
    Des lis aussi hauts que mon coeur !
    Sous un azur sans pli, sans tache, sans secousse
    Uni comme une longue odeur,

    Ces lis sont le printemps, et je ne suis qu’une âme
    Qui meurt sur leur calice étroit ;
    J’enroule, décollant leurs antennes de flamme,
    Du sucre humide sur mes doigts.

    Ah ! que c’est peu de chose, une âme avide et tendre
    Près du peuple ardent et gluant
    Les innombrables lis, où le jour vient étendre
    Les langes bleus du matin blanc !

    Leur sève est un ruisseau baignant leurs longues tiges
    D’un courant toujours frais et vert,
    On se sent pris d’un triste et languissant vertige
    Au-dessus de leurs cols ouverts.

    On se sent pris d’une âpre et délirante angoisse
    De ne pouvoir multiplier
    Son désir et ses mains autant de fois que croissent
    Des lis blancs dans les prés mouillés

    Ah ! pouvoir soulever leur lumineux visage,
    Pouvoir leur parler dans le coeur,
    Surprendre en leur calice un végétal ramage,
    Avoir la gloire chez les fleurs !

    Casser leur vive tige, et la portant aux lèvres
    Aspirer ce suc et ce vin,
    Puis moduler sa joie et ses plaintives fièvres
    Aux trous de ces pipeaux divins.

    Il n’est pas suffisant qu’on regarde et qu’on touche
    Les vergers odorants et verts,
    Je voudrais n’être plus qu’une amoureuse bouche
    Qui goûte et qui boit l’univers !

    (Anna de Noailles, Les jardins)

  80. LA ROSE-THE

    La plus délicate des roses
    Est, à coup sûr, la rose-thé.
    Son bouton aux feuilles mi-closes
    De carmin à peine est teinté.

    On dirait une rose blanche
    Qu’aurait fait rougir de pudeur,
    En la lutinant sur la branche,
    Un papillon trop plein d’ardeur.

    Son tissu rose et diaphane
    De la chair a le velouté ;
    Auprès, tout incarnat se fane
    Ou prend de la vulgarité.

    Comme un teint aristocratique
    Noircit les fronts bruns de soleil,
    De ses soeurs elle rend rustique
    Le coloris chaud et vermeil.

    Mais, si votre main qui s’en joue,
    A quelque bal, pour son parfum,
    La rapproche de votre joue,
    Son frais éclat devient commun.

    Il n’est pas de rose assez tendre
    Sur la palette du printemps,
    Madame, pour oser prétendre
    Lutter contre vos dix-sept ans.

    La peau vaut mieux que le pétale,
    Et le sang pur d’un noble coeur
    Qui sur la jeunesse s’étale,
    De tous les roses est vainqueur !

    (Théophile Gautier, Émaux et Camées)

  81. La rose, c’est les dents de lait du soleil.

    *

    Pressentie par le vent, la fleur hoche la tâte et l atige s’incline, comme femme qui accepterait en refusant.

    *

    On trouve chez les fleurs des yeux en coloris variés à l’infini, sauf les yeux verts. La plante en eût-elle de pareils, qu’elle paraîtrait folle, par l’effet d’ « égarement » avec le vert des feuilles.

    *

    Les fleurs dans la brise branlent la tête ; les fruits secouent leurs hanches ; la liane ondule du torse. Prise dans son ensemble, la nature se démène dans l’ouragan, comme quelqu’un essayant de se dégager dans un filet.

    *

    Les fleurs bleues ont des regards poids plume, et les fleurs rouges ont des regards poids lourds. Quand les fleurs, entre elles, boxent dans la lumière, c’est toujours les rouges qui l’emportent. Mais dans le fleuret, nul ne vaut le jaune ; et pour la sabre, le blanc.

    *

    Comme une femme qui s’est laissé prendre un baiser, et qui ensuite dérobe ses lèvres, la fleur, prise de court par le vent, plie la taille et se laisse « voler » ses lèvres – pour rejeter ensuite la tête à droite et à gauche, dérobant de plus en plus sa bouche à mesure que se feront plus pressantes les sollicitations du vent.

    *

    Toute fleur est comme la Joconde, dont le regard, d’où que nous le fixons, partout nous suit.

    *

    Toutes les fleurs sont en robe courte, sauf la rose, dont les épaules débordent sur les hanches, telle dame noble portant manteau à traîne et robe de cour.

    *

    La fleur est en même temps sein, bouche et sexe – femme au complet – sexe-trinité dans l’unité.

    *

    Fleurs mauves : crépuscule dans le soleil. Fleurs pourpres : il fait nuit dans la lumière.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens plastique, Gallimard, 1948)

  82. En s’épanouissant, la fleur cambre la taille, comme le sexe qui éclot creuse les reins des femmes à la puberté.

    *

    La fleur ne paraît jamais plus grande qu’avec un gosier blanc. Dents éclatantes grandissent la bouche.

    *

    Comme un aimant, le rouge attire à soi les teintes qui l’entourent, et déplace les formes. Robe rouge s’accommode mal d’autres teintes, auxquelles elle donnera, si on l’accouple, l’air bancal. Roses rouges placées d’un seul côté de la gerbe, feront verser le bouquet.

    *

    La « feuille de vigne » ajoute au nu. La fleur n’est jamais plus nue qu’habillée de ses feuilles. Fleur sans feuilles à l’air asexuée.

    *

    Il n’y a pas de « nord » du pétale, mais seulement le dos et la face, car le pétale n’a pas de points cardinaux, étant privé de pôles. Et c’est ce qui fait son côté vivant, aérien, indéfini et infini.

    *

    Pétales mi-épanouis donnent à la fleur bouche bée.

    *

    La coquetterie chez les fleurs se porte en jaune, et la pudeur en blanc. Marguerite : oeil câlin, lèvres pudiques. Excitants suprêmes du baiser.

    *

    Profusion d’étamines met la fleur en « oeil doux » perpétuel.

    *

    Fleurs multiclores que balance le vent. La couleur tambourine en dansant sur le parquet des feuille.

    *

    La fleur ne connaît pas les « jours de la semaine ». Elle est toujours en costume du dimanche.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens plastique, Gallimard, 1948)

  83. Pétales d’une même teinte : la fleur est en robe unie. Pétales en teintes variées : la fleur est fleurie.

    *

    La fleur est, de la plante, un nez embaumé qui sent. Les fleurs, en groupe, se hument à tel point les unes les autres, qu’elles soustraient par autant à la somme parfumée du bouquet.

    *

    Etalon même du bon goût, les fleurs ne portent jamais en même temps dentelles au corsage et dentelles à leur robe. Pétales dentelés : simplicité des téamines. Etamines dentelées : pétales simples.

    *

    Que serait un roi sans sa suite ?… Tombés ses pétales, le coeur de la fleur ne rayonne plus.

    *

    Au printemps, les fleurs ensemencent l’air de parfums, que la pluie versera ensuite à d’autres plantes au lointain. Qui sait ce que l’orchidée doit au champ de narcisses ; le pissenlit à la violette pour en atténuer l’odeur ; la giroflée à l’oeillet ; le bégonia au pois de senteur ; et le parfum de la femme épanouie à la rose écarlate ?…

    *

    Le volubilis fait la roue ; la tulipe parade des hanches ; la reine-marguerite minaude ; le mimosa fait les yeux doux ; la pensée à l’oeil calin ; et la violette fait l’ingénue. Chaque fleur est une coquette à sa façon – sauf la rose, dont le charme est si grand qu’il lui suffira d’être « nature » pour plaire.

    *

    Le jaune met aux fleurs un auvent de clarté ; le rouge met aux fleurs un péristyle de lumière. Le jaune flambe, face à l’oeil ; et le rouge, de tous côtés.

    *

    Les pétales sont le tympan de la plante. Bruits au lointain font vibrer les pétales en sismographe.

    *

    Brise sèche qui fait papilloter les pétales, fait cligner l’oeil de la fleur dans la forêt de ses étamines, comme quelqu’un faisant les yeux doux des cils.

    *

    Toutes les fleurs sont en robe longue, sauf les fleurs des champs, qui ont robe aux genoux, pour mieux gambader dans les bois.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens plastique, Gallimard, 1948)

  84. Les roses d’un même rosier sont soeurs sur la plante et cousines germaines dans le vase, car ici, un peu de leur âme commune a passé dans le vase – allongeant leur parenté.

    *

    La fleur est un sexe à nu, mais dénué d’indécence, du fait qu’elle ne fait pas d’efforts pour se cacher. C’est surtout parce que le corps ne se livre pas assez sous la robe qu’il est impudique.

    *

    L’abeille qui soulage la fleur de son suc rend plus suave son parfum. Femme qui allaite purifie son haleine.

    *

    Fleurs des bois sentent l’écorce : fleurs des prés sentent la sève ; fleurs des cavernes ont un relent de racines. L’odeur de la fleur, par rapport à celle de la plante, monte en parenté avec l’élévation de l’habitat.

    *

    Toujours en robe de bal, en grande toilette ou en manteau de cour, la fleur ne laissera glisser sa robe à plein, pour se mettre en déshabillé, qu’à parution du fruit.

    *

    Le jaune est la couleur « étonnement ». A formes égales, on suivra une robe jaune avec un regard plus inquisiteur que toutes les robes d’autres teintes. Bosquets de fleurs jaunes nous jettent des regards épastrouillés.

    *

    Tel l’oeil humain qui nous regarde à distance, mais qui est « sans regard » à bout portant, la fleur, dont le regard nous fixe à longueur de bras, regardera « ailleurs » lorsque notre visage se rapprochera jusqu’à être à même le sien.

    *

    Toutes les fleurs s’épanouissent comme un foulard noué qui graduellement se désserre, sauf la rose en bouton dont le coeur s’ouvre en éventail, comme un mouchoir de poche gicle en V d’un habit.

    *

    Ce n’est pas en se fourrant le nez à l’intérieur d’une fleur qu’on sentira mieux son parfum. Les joies à bout portant sont sans goût. A vouloir trop étreindre le bonheur, on l’étouffe.

    *

    La corolle est, de la fleur, le petit doigt. D’où, comme dans la main de l’homme, son air « détaché » contre les doigts des pétales en fleur.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens plastique, Gallimard, 1948)

  85. Les artistes ne sont que des étudiants de la lumière, la fleur en étant la seul diplômé. L’artiste n’a que l’art des couleurs. La fleur a aussi la science des couleurs. Par science, comprenez-en le sens parfait, qui signifie connaissance intuitive et absolue, et qui écarte la fausse-note et le faux-pas. Peintres, vous avez dans la fleur le meilleur maître à dessin, coloriste et formiste. Mais comme la fleur n’enseigne ses secrets que par le regard seul, il ne suffit pas que de regarder la fleur pour apprendre d’elle, mais surtout de se faire regarder par elle. L’homme qui n’a jamais senti l’oeil de fleur se poser sur lui, n’est pas un artiste, quelque grand puisse être son prestige et quelque incomparable ses toiles.

    *

    Quelle que soit la fleur, qu’elle soit striée, unie, large ou longue, osseuse ou bien en chair, que ses étamines versent jusqu’au bas des pétales, ou remontent vers le haut de la face en moustache fière, il n’est de fleur qui porte barbe au menton – sauf l’orchidée, dont les pétales « versent en barbe blanche » vers le bas de sa face, comme un fleuve qui s’écoule. D’où l’air vieillot, fatigué, archaïque et antédiluvien de l’orchidée. Comme des meubles d’une autre époque, dont l’air « passé » fait « détonner » le salon, les orchidées, placées auprès de roses « modernes », semblent, grâce à leur air désuet, tellement plongées dans la nuit des temps, que nous n’en trouvons aucune trace dans notre mémoire héréditaire, et que, par absence de tout vestige dans le souvenir ancestral, l’orchidée semble avoir été cueillie d’une autre planète infiniment plus vieille que celle où nous vivons.

    *

    Toutes les fleurs sur la plante, dans leur forme vivante, esquissent des oh ! en permanence, pour ne jeter les ah ! émouvants des mourants que dans le vase où elles meurent, la bouche grande ouverte.

    *

    L’odeur de la fleur est presque toujours associée à son âme secrète. Si nous savions « lire » dans certaines chevelures de femmes, point n’aurait fallu de psychologie quintessenciée pour deviner leur âme.

    *

    Chambre multicolore agrafée dans l’espace malgré l’attache de sa tige, la fleur n’a ni plafond ni parquet, parce qu’elle est suspendue entre ciel et terre.

    *

    Les fleurs sont plus grasses dans les climats froids, et plus colorées dans les tropiques, plus poilues d’étamines dans un cas, et ayant les étamines tellement rachitiques dans l’autre, que par moments toutes les étamines ont l’air d’avoir passé dans le pistil. Il en est de même de l’homme, chez qui la chair et le poil s’adaptent aux frimas.

    *

    La fleur est à mi-voie entre le solide et le liquide, grâce à ses couleurs-gelée et ses formes qui « coulent » en place. »

    *

    La feuille est tout profil ; la fleur n’a que des regards de face, quel que soit l’angle où on la voit.

    *

    Plus petit est le coeur de la fleur par rapport à l’étendue de ses pétales, plus la fleur aura l’air jeunet. L’air vieux et archaïque de l’orchidée provient précisément de la déformation de ses pétales qui prennent l’apparence de pistil et d’étamines gigantesquement déformés.

    *

    La fleur, étant plus que toutes choses naturelles, un être vivant, opère ce miracle de communiquer aux goutelettes d’eau sur ses pétales, une lumière venant comme l’eau elle-même, et non des pétales ou du milieu ambiant. Boules de rosée sur la chair mauve du franciscea ont des effets de soleils bleus.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens plastique, Gallimard, 1948)

  86. Dans le champ des couleurs-bascules, le jaune est le plus puissant de tous les contrepoids. Nul plus que le jaune n’est aussi apte à hausser l’intensité des teintes juxtaposées, en pesant à l’autre bout de la bascule-lumière. Le rouge ne rutile jamais autant que juxtaposé au jaune. Si les fleurs rouges s’accompagnaient de feuilles jaunes, elles incendieraient la vue.

    *

    On a beaucoup étudié jusqu’ici l’usage du pistil et des étamines dans la fleur que du seul point de vue « reproduction » – et il y a encore beaucoup à découvrir en ce domaine – mais ce n’est ici qu’oeuvre de botanistes. Le Créateur n’a cependant pu destiner ces organes de la fleur qu’au seul usage de la reproduction. Si nous devions en juger par les organes sexuels chez l’homme et en faire un parallèle, pourquoi ne nous serait-il pas permis de penser que le pistil des fleurs tient en même temps le rôle de l’urètre pour éliminer les déchets liquides des fleurs ?… Et les étamines, de glandes salivaires, puisque la fleur est une bouche-sexe surimprimés ? Et qui nous dit aussi que ces mêmes pistil et étamines ne sont pas, dans le champ de la fleur, respectivement un pylône et des antennes pour capter la radio-activité terrestre et peut-être même des ondes par delà la Terre, venant des autres astres, pour les transmettre à la fleur et la nourrir de magnétisme inerstellaire, indispensable à tout le corps de la plante, comme il doit l’être aussi à l’homme ?… Le rôle de la fleur n’est connu, et encore partiellement, qu’en tant qu’organe de reproduction. Il reste tout encore à découvrir de ses autres usages. Mais rien de neuf ne sera accompli dans ce domaine, tant que l’homme continuera à considérer la fleur comme un automate, et non tel un être vivant, qu’on ausculte et qu’on palpe, autant de l’esprit que des mains et des yeux.

    *

    Penchée vers le sol, fuyant de côté, ou rentrant dans l’arbre, de quelque façon qu’elle se « tiendra » sur la plante, la tige en fleur semblera toujours en offrande perpétuelle. N’est totalement « femme » que celle qui s’offre de partout à la fois, qui est « visage » de la tête aux pieds.

    *

    Toutes les fleurs sont en décolleté. Il n’est d’espace plus nu que l’air enclos entre deux pétales – comme l’espace entre deux seins, ces deux pétales du buste, sont le summum du déshabillé dans l’humain.

    *

    L’abeille « cherche » la fleur. La fleur appelle l’abeille de son odeur. Il n’est de sensations à sens unique nulle part dans la vie.

    *

    La fleur est la plus parfaite forme d’hélice. Car les formes de ses pétales-palettes sont faites de telle sorte qu’elles conviennent non seulement au fuselage de la tige, mais aux formes d’ailes de ses feuilles. Si les fleurs pouvaient tourner sur leur tige, si la plante n’avait pas racines en terre, en un mot si la plante pouvait voler, le vol des plantes allierait l’hélicoptère à l’avion, comme le vol liquide de l’eau, dont le gouvernail est dans l’aile.

    *

    Les corolles sont les caleçons des fleurs. Arrachez leurs corolles aux fleurs, et la fleur aura l’air indécent. La corolle est la « feuille de vigne » pré-adamique de la nature, avant que celle-ci corollât la hanche de la première Eve.

    *

    Parmi toutes les fleurs, l’orchidée est celle qui refuse le plus de se marier avec la nature ambiante. La plus sob de toutes les fleurs, l’orchidée fait « tache d’encre » là où elle se pose. Piquez une orchidée dans une gerbe quelconque, et quelque marié pourait être le bouquet avant, vous aurez réussi malgré tout à faire « divorcer » la gerbe d’un seul coup. La snob ne « va » qu’aux snobs, comme un bouquet d’orchidées « refuse » toute autre fleur.

    *

    Les émotifs rougissent à tout propos. Les fleurs aussi sont sensitives pour des raisons qui nous sont inconnues. Et plus que toutes, les fleurs bleues qui ont les teintes les plus changeantes dans la lumière, tel un baromètre du soleil.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens plastique, Gallimard, 1948)

  87. Je ne sais pas ce qu’il fume le Malcolm, mais c’est du lourd.

    Pendant qu’il y est pourquoi ne pas prétendre que ce qu’on chuchote dans la corolle d’une fleur peut être entendu instantanément par qui approche l’oreille de toute fleur de la même espèce de part le monde.

    ou que…

    Les fleurs sont les organes sensoriels de la Terre qui, ne pouvant être partout à la fois, partage son année entre ses deux hémisphères. Pendant six mois, elle regarde, sent, goûte, écoute, touche… tout ce qui se passe dans l’hémisphère nord (et hiberne pedant ce temps dans le sud) et vice versa.

  88. Plus sérieusement, je découvre en lisant ces textes de Malcolm de Chazal que certaines de ses intuitions poétiques se rapprochent beaucoup du travail botanique (passionnant mais trop méconnu) de Goethe.

    Je rappelle, en quelque mots, que ce dernier, s’étonnant des variations morphologiques des fleurs selon les latitudes et climats, en déduisit, à la fin de sa vie, une théorie botanique (« La métamorphose des plantes ») qui est totalement ignorée de la botanique scientifique classique (qui ne reconnaît pas à un poète le droit de « faire science ») mais qui inspire encore pourtant, notamment, la médecine anthroposophique.

    C’est peut-être pas le lieu (ou le moment) de développer davantage, mais si ça intéresse du monde, ça vaudrait le coup qu’on discute du sujet un jour ou l’autre, nan ?

  89. Plus la forme de la fleur est compliqué, plus semblera-t-elle avoir « une idée derrière la tête ». L’orchidée est de ce fait même la plus grande de toutes les énigmes naturelles, et la boîte à Pandore de la Nature. A noter chez l’orchidée : ses pétales ont forme de feuilles, et ses pétales-feuilles ont forme de plante – formant, de la fleur totale, une fleur-plante. Cela n’indiquerait-il pas, par hasard, qu’avant que la plante ne se scindât en fleurs, feuilles, tiges et tronc, de gigantesques fleurs-plantes ornaient aux temps premiers, les surfaces de notre planète, et d’où plus tard jaillirent des feuilles en même temps que fleurissaient des bouquets, comme fleurit l’homme de sa souche-singe – synthèse absolue de toute animalité ; animal clef de toutes espèces ?…

    *

    L’aristocratie de la fleur tient en ceci que ses couleurs font des gestes et que sa forme est retenue. La beauté de la robe vient de sa coupe muette aux tons parlants – la coupe de la robe articulant le langage des couleurs.

    *

    Toutes les fleurs, quelle que soit leur espèce, sont une imitation de la rose – en moins bien – imitations déformées, alourdies ou bosselées. Il n’est aucune fleur où l’on ne retrouve la rose en attribu, dans un de ses « principes » allongés ou raccourcis. De même qu’il y a dans l’homme toute l’animalité, de même aussi la rose renferme l’universalité des fleurs comme un tout, en forme-essence de Beauté.

    *

    Chaque plante a une forme de fleur selon les besoins du fruit et de la graine qu’elle couve. Et même la coloration est là pour s’adapter aux besoin biologiques de lumière, servant de cornet acoustique chromatique aux cellules de la plante, tel un micro inversé où « parle » le soleil. Point de formes ou de couleurs « inutiles » dans le nature, où esthétique et nécessité marchent la main dans la main et sont étroitemet liées.

    *

    Quelques multipliées les fleurs sur une même tige, ou quelque touffue la gerbe, il n’est comme les fleurs blanches pour nous donner l’effet de « un ». « Un » : le plus « nu » de tous les nombres. Innocence du blanc. Blanc : « un-nu » de l’absolu. Il ne devait y avoir que des fleurs blanches dans l’Eden. La fleur blanche, c’est les exe, intérieur au nu. La fleur de couleur, c’est le sexe, extérieur au nu. Les fleurs de couleur préludent à la Chute – moment où l’homme se déganta de son innocence, perdit son état de plaisir-un et de joie nue, et fourcha en delta de désirs, usant sa force et anémiant la volupté, comme un torrent meurt dans les embranchemets, et comme l’ambition s’effiloche de désirs multipliés.

    *

    La fleur, au couchant, se déshabille de sa vêture, du coeur à la circonférence ; et remet ses vêtements, à l’aurore, des pétales au coeur. La couleur dans la fleur, se couche et se réveille dans les extrêmes bouts des pétales, comme nous, humains, nous dormons en dernier dans nos membres la nuit, et nous réveillons tels au matin. L’Orient et l’Occident forment « un » chez les fleurs, car la couleur est un flux et un reflux perpétuels sur le lit des pétales, dont les extrêmes bouts touchent aux plages de l’invisible.

    *

    La fleur est le plus miraculeux des ciboires, dont les anses circulaires sont autant de mains qui se rejoignent en encorbellement autour de l’encens de son parfum, pour communier, de l’hostie de son coeur, l’ardente bouche du soleil. Il n’est de plus haute forme de communion que la communion du soleil et de la fleur – ciboire, prêtre et communiant « communiant » l’un dans l’autre – forme, couleur et espace formant une même hostie-lumière, issus tous trois du même astre-dieu, et se réintégrant en lui. A midi, le soleil semble aspirer tout dans son sein – le sillage du temps même semblant s’être réabsorbé dans la fuite des choses, comme une barque ramassant sa longue traîne d’écume derrière elle. Midi crée une involution des couleurs dans la lumière, comme au lever du jour le soleil déploie ses toiles colorées au-devant des magasins des formes.

    *

    Les plis d’ombre « font » le sourire des fleurs. Aussi à l’aube et à la fin du jour, le sourire des fleurs est-il plus doux, car en ces heures en pastel leurs commissures d’ombre sont crayonnées au lieu d’être marquées au fusain, quand les doigts de l’ombre se tiennnent à pic sur les pétales versés, comme le dessinateur relève son crayon pour affiner ses traits.

    *

    La fleur est la Beauté même, parce que ses splendeurs non pareilles se réhaussent, en plus, d’une totale patine de simplicité. La Beauté compliquée « s’écaille » bien vite à nos yeux. Femme, simplifie ton âme pour agrandir ta séduction !

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens plastique, Gallimard, 1948)

  90. Tombée de la branche
    Une fleur y est retournée :
    C’était un papillon

    *

    A celle du liseron
    Elle sera sans doute aujoud’hui pareille
    Ma propre vie !

    *

    Que n’ai-je un pinceau
    Qui puisse peindre les fleurs du prunier
    Avec leur parfum !

    *

    Du coeur de la pivoine
    L’abeille sort,
    Avec quel regret !

    *

    Sur le bord du chemin
    Fleurissait une mauve :
    Le cheval l’a mangée !

    *

    Qui se soucie de regarder
    La fleur de la carotte sauvage
    Au temps des cerisiers ?

    *

    Juste assez de douceur
    Pour qu’au prunier une fleur,
    Après l’autre, éclose.

    *

    Tout à brûlé.
    Heureusement les fleurs
    Avaient achevé de fleurir.

    *

    Le batelier
    A l’oreille dure,
    Comment lui parler des fleurs de pêcher ?

    *

    Ça, ça
    C’est tout ce que j’ai pu dire
    Devant les fleurs du mont Yoshino.

    *

    En ce monde nous marchons
    Sur le toit de l’enfer et regardons
    Les fleurs.

    *

    L’escargot n’accorde
    Pas un regard
    A l’oeillet.

    *

    Il hume un camélia
    Le jette, reprend sa marche
    Le mendiant.

    *

    Ne chasse pas le taon
    Venu visiter
    Les fleurs de cerisier.

    *

    Sous l’apparence de la
    Minuscule violette
    J’aimerais revivre.

    *

    Pissenlits !
    Pissentlits ! sur la plage
    Le printemps se déploie.

    *

    Sur les iris,
    Collées
    Des chiures de milan.

    *

    La rose de Sharon
    Ne rit
    Ni pleure.

    *

    Le chêne
    Sa mine indifférente
    Devant les cerisiers fleuris.

    *

    Dans le vaset ciel
    Les fleurs de magnolia
    Se balancent.

    *

    Sur les oeillets
    Blanchoie un papillon
    De qui est-ce l’âme ?

    *

    Elles se cachent derrière les fleurs
    Les fleurs
    Au mont Yoshino.

    *

    Les yeux sont à l’horizontale
    Le nez à la verticale
    Les fleurs viennent au printemps.

    *

    Parfum de la fleur de melon
    Le renard éternue
    Nuit de lune.

    *

    Il fait lourd
    On a cousu des lys
    Sur la pelouse.

    *

    Sous la hache de la nouvelle lune
    Elles s’éparpillent, les fleurs
    A l’aube.

    *

    Près du lys-plantain
    La sauterelle
    Psalmodie.

    *

    Narcisses !
    Cette beauté a mal
    Au crâne.

    *

    A quoi rêvent-ils dans les fleurs
    Les papillons
    Muets ?

    *

    Ne la cueille pas
    Laisse-la dans le champ
    La fleur-fille.

    *

    Si elle pouvait parler
    Quele voix aurait-elle
    La fleur-fille ?

    *

    etc…

  91. L’orchidée
    Met ses mains
    Dans les poches
    Et les cherche
    Partout.

    *

    La lumière
    Se fit
    Une blessure
    A l’oeil
    Et donna
    Le glaïeul.

    *

    Le parfum
    Se promena
    Nu
    Avec
    Pour tout cache-sexe
    La forme
    De la fleur.

    *

    etc…

    (Malcolm de Chazal, Sens magique, 1957)

  92. Avec les doigts des fleurs autour de moi, je tourne les feuillets de mon album de l’âme.
    Et je suis dans le jardin de Dieu.

    (Malcolm de Chazal, Sens magique, 1957)

Laisser un commentaire

:D :-) :( :o 8O :? 8) :lol: :x :P :oops: :cry: :evil: :twisted: :roll: :wink: :!: :?: :idea: :arrow: :| :mrgreen: