La chèvre ventriloque

Les Inrockuptibles viennent de sortir un numéro spécial consacré à Bob Dylan qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à qualifier de « premier artiste total ». Il y a de très belles choses dans ce 100 pages, comme par exemple l’article introductif de Francis Dordor sur Dylan surnommé « le roi des voleurs ». Voici par exemple une phrase de Dordor : « Dylan, c’est Arlequin en costume arc-en-ciel, une mirror ball qui tourne au plafond du mystère du monde, distribuant mille et un scintillement dont au moins un nous concerne ou nous éclaire. C’est encore un funambule, une éponge, un caméléon, un comédien et bien sûr un charlatan ».

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Mais ce qui m’a énormément plu dans ce numéro, c’est un article anonyme intitulé « J’aime pas Dylan » qui s’en prend à la voix tant décriée du chanteur. Bien qu’aimant énormément la voix de Dylan, j’ai été plié de rire en lisant l’article, Joëlle aussi. Voici de larges extraits de cet article :

« Cet article ne sera pas signé. Je suis un lâche. Je ne veux pas finir couvert de goudron et de plumes. Je ne veux pas que ma maison brûle. Je ne veux pas me cacher au fond de la jungle amazonienne sous un nom d’emprunt. Je ne veux pas avoir à mes trousses tous les fans de Bob Dylan – même si je cours sans doute plus vite que beaucoup d’entre eux. Je ne veux pas que des bonnes âmes me forcent encore une fois à réécouter ses disques. J’avoue, j’ai honte et je demande pardon : j’adore la musique américaine, mais je n’aime pas Bob Dylan. Je ne comprends pas moi-même. Imagine-t-on un fan de pop qui ne supporterait pas d’écouter les Beach Boys et les Beatles ? Je respecte Dylan mais je ne l’aime pas. Ou plutôt : je ne supporte pas sa voix. Pourtant, j’ai écouté (presque) tous ses disques, j’en ai plein à la maison, j’aime bien les pochettes. J’ai voulu les aimer. Je me suis même fait aider, j’ai voulu qu’on m’explique. « Ecoute celui-là, sa voix est différente… » Différente oui, mais pas mieux. J’aimerais bien, mais je peux point.
J’aime le personnage de Dylan, sa duplicité, son opportunisme, sa légende. Je l’ai aimé en Charlie Chaplin du farwest dans Pat Garett & Billy the Kid. Ces dernières années, ce que j’ai préféré de lui, c’est No Direction Home et Chronicles, un film et un livre. Je n’ai pas aimé son dernier album, le genre de vieux truc dont la critique rock établie chante les louanges sans se poser de questions, simplement parce que Dylan est une vache sacrée. Qui chante comme une chèvre ventriloque.
Des gens sont venus au folk par Dylan, et lui disent merci pour ça. Moi, c’est le contraire : je suis venu à Dylan par le folk. Ou plutôt pas : je n’ai jamais trouvé le chemin. Quand j’ai envie d’écouter Dylan première période, j’écoute Woody Guthrie dernière période : pourquoi préférer la copie à l’original ? Quand j’ai envie d’écouter Dylan, je mets un disque de Tom Waits. Ou de Neil Young. Ou de Nina Simone. Ou de Johnny Cash. Ou des Byrds. Ou de murat. Ou de Beck. Ou de Martha Wainwright. Ou de Kaolin. Ou de Cabrel (mais c’est plus rare). J’aime les chansons de Dylan quand il ne les chante pas. Le meilleur de Dylan, c’est toujours les autres. J’aime les artistes qui l’aiment. J’ai entendu Shan Mashall (Cat Power) parler d’un bootleg de Dylan comme de la plus belle chose du monde. Et je me suis senti seul, exclu. (…).
Au fond, peut-être que ma mauvaise fois m’aveugle, peut-être que j’aime ne pas aimer Dylan. parce que c’est marrant, ça occupe. J’ai tapé « Bob+Dylan+voice » sur un célèbre moteur de recherche : 2 100 000 résultats. Et puis j’ai essayé « Bob+Dylan+voice+sucks (sucer, pomper) » : 474 000 résultats. Soit plus de 20% des résultats totaux. J’ai terminé avec « Bob+Dylan+sings+like+a+goat (chèvre) » : 166 000 résultats. Je ne suis pas seul, je n’ai peut-être pas complètement tort. je connais même quelques personnes qui auraient pu ne pas signer cet article à ma place ».

19 réflexions au sujet de “La chèvre ventriloque”

  1. Très belle photo (y a pas que les oiseaux que tu photographies avec talent, Bernard).
    Pour ceux qui aiment à se prêter à ce genre de jeu, dans ce visage, moi je vois un savant mélange de Jean Cocteau, Jean-Louis Barrault et James Coburn. Et vous ?

  2. Pas mal le mélange proposé par Humeur Badine. Et un peu de Souchon non ?
    Si on ajoutais la voix décrite dans cet article, il faudrait y ajouter les meilleurs chanteurs du nez nationaux : Julien pas Clerc, Michel Jaunasse… eux aussi j’ai du mal, et ils ont pourtant du talent.
    Quand au vieux Bob, ç’est assez intéressant le fond de ce chapeau :
    J’adore Dylan et il a le don de savoir saccager ses propres pépites avec sa voix nasillarde et une articulation de pochtron : il ne reste parfois plus aucune consonne !
    C’est pour moi la signature suprême de l’artiste, sa capacité à détruire ou transfigurer l’œuvre. Yaka écouter les reprises, souvent, on se rend compte alors de la merveille créée.
    J’ai bien aimé la recherche sur Internet… Google ! Un truc pourtant facile à articuler pour Dylan !

  3. Très bien écrit cet article des Inrocks. Et pas tout à fait faux…
    Je dois reconnaître que j’ai longtemps eu du mal avec son timbre, au point de me gâcher une partie du plaisir.
    Mais j’aime son interprétation malgré tout, cette distance qui fait que l’émotion affleure au lieu de déborder. (Je ne pourrais pas dire la même chose de Julien Clerc…).
    D’accord avec Christophe sur le fait que certaines reprises aident à révéler le chef d’œuvre, et pas que dans le cas de Dylan. Je pense, par exemple, au Proud Mary des Creedence Clearwater Revival (qui est excellent interprété par eux) et qui devient extraordinaire par Ike et Tina Turner.
    http://www.dailymotion.com/relevance/search/proud+mary/video/x1ns3_ccr-proud-mary_music
    http://www.dailymotion.com/relevance/search/proud+mary/video/x4rlt_tina-turner-ike-turner-proud-mary
    Sur le second lien, il faut attendre quelques minutes pour avoir un plan suffisamment éloigné pour voir les mini-robes de Tina et des Ikettes…

  4. La différence entre l’ironie et l’humour, c’est que la première est l’art de se moquer… des autres, quand le second est celui de se moquer… de soi.
    En nous faisant copie de cet article, Bernard, (qui se moque non pas de toi directement mais de ce que tu aimes, ce qui n’est pas très différent) tu fais donc preuve d’une bonne dose d’humour.
    Bravo !

  5. On dirait, Vincent, que tu le découvres que Bernard a de l’humour… alors que simplement accepter que tu viennes ici, systématiquement, le contredire prouve depuis le début qu’il en a une sacrée dose !
    ;-)

  6. Quelqu’un connait-il l’origine du nom de se site ?
    Cela a-t-il un rapport avec les Evènes, un peuple nomade de Sibérie ?

  7. Je crois que ça vient d’événements … Un diminutif .
    J’aime bien aller sur ce site pour y découvrir des citations .

  8. Tiens, à propos de citations, j’en ai reçu une qui m’a été envoyée par « humeur grivoise » mais je n’ose pas trop la publier sur ce blog ! :lol:

  9. Ben oui, évidemment, evene vient d’évènement.
    J’ai vraiment l’esprit déformé pour avoir seulement pensé aux Evènes !

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