La capture de l’autour

Les ornithogues de Franche-Comté, regroupés au sein du Groupe Naturaliste de Franche-Comté (appelé maintenant LPO de Franche-Comté) participent depuis les années 70 à des programmes scientifiques de baguage d’oiseaux. Cette pratique, placée sous l’égide du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, consiste à capturer différentes espèces d’oiseaux et à les relacher après les avoir munis d’une petite bague numérotée. Elle permet d’affiner nos connaissances sur le monde des oiseaux : migrations, sédentarité, grandeur du territoire, fidélité au site …

L’association où je travaille accueille depuis vingt ans le petit groupe de bagueurs sur son site (en moyenne six ou sept fois par an). Au fil des années j’ai ainsi pu voir, à portée de main, un grand nombre d’espèces dont certaines sont difficiles à observer dans la nature. Et pendant toutes ces années, j’ai pu apprécier la patience, la passion et la constance du petit groupe de fidèles regroupés autour de Pierre : Maurice, Jean-Marie, Dominique et bien d’autres.

Le site de Brussey est très riche et il arrive régulièrement que des espèces inhabituelles se fassent capturer dans les filets : martin-pêcheur, pic épeiche, pic vert, gros-bec, hypolaïs … C’est toujours un moment d’émotion lorsqu’on tient l’un de ces oiseaux en main. Chaque séance apporte sa petite surprise. Mercredi dernier, ce fut la plus grande surprise de toute l’histoire du baguage à Brussey : un autour des palombes a été capturé pour la première fois.

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Je sais que ce rapace n’est pas forcément rare en Haute-Saône et qu’il est vraisemblablement présent dans la plupart des grands massifs forestiers mais son observation n’est pas aisée, cet oiseau étant plustôt très discret. L’autour est incontestablement le plus puissant de nos rapaces de plaine : Paul Géroudet dit que ce prédateur de pigeons ramiers et de geais est capable de capturer un canard colvert en plein vol mais aussi des rapaces tels que la buse, la hulotte ou le moyen-duc.

Chose étonnante : ce puissant rapace, une fois capturé, se laisse faire sans résistance. Une fois la bague mise à la patte, l’oiseau posé sur le dos au sol « fait le mort » sur l’herbe (tel le All-black moyen sur la pelouse après un match de rugby contre la France). Beaucoup d’autres espèces d’oiseaux ont d’ailleurs ce comportement étonnant. Ce n’est qu’en faisant pivoter l’oiseau d’un bon quart de tour sur le côté qu’il prendra appui sur le sol et s’envolera de quelques coups d’ailes.

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Je n’ai malheureusement pas assisté à la scène. J’étais en réunion à l’extérieur lorsque la capture de l’autour a été faite. Je n’ai pu voir que les photos après coup. Merci donc à Jean-Marie Michelat pour m’avoir autorisé à mettre en ligne ses clichés.

19 réflexions au sujet de “La capture de l’autour”

  1. Je suis scotché, j’en reste sans voix ! … C’est juste exceptionnel ! et ça me rappelle de supers souvenirs de baguages d’oiseaux à Brussey…

  2. Etonnant, en effet, ce réflexe de « faire le mort »… surtout pour un prédateur (à la limite, pour une proie, on pourrait comprendre l’intérêt).

    Encore plus étonnant, j’ai vu dans un documentaire animalier qu’on trouvait le même phénomène… chez les requins ! Eux, carrément ils s’endorment (ou tout comme) lorsqu’on les met sur le dos (pas besoin donc de les « piquer » pour les soigner ou les équiper de balises).

    J’aime bieaucoup cette idée que les plus agressifs, dès qu’on les retourne et leur permet de voir le monde autrement, deviennent tout doux !

  3. Sinon, il y a aussi des femmes qui s’endorment lorqu’on les met sur le dos… (mais c’est un autre sujet !)

  4. Il a un peu le même nez que Jean-Pierre Raffarin… mais l’oeil beaucoup plus vif, vous ne trouvez pas ?

  5. Je ne vois pas trop la ressemblance avec Raffarin, si ce n’est le regard plus intelligent évidemment.
    Par contre, la deuxième photo me fait plus penser à feu Raymond Barre à l’assemblée nationale. Pas vous ?

  6. Je savais bien que comme pour les femmes, il fallait parvenir à les mettre sur le dos pour pouvoir leur passer la bague !

  7. Mince, alors ! Il m’arrive d’aller au baguage à Brussey… et je n’y étais pas cette fois-là. Et il y a peu de chance que la scène se reproduise un jour (c’est un peu comme d’avoir un jeu de chelem au tarot, ça n’arrive qu’une fois dans sa vie ).

    J’aime beaucoup l’ambiance, au bord de l’Ognon, très tôt le matin, lors de ces séances. A chaque heure pile, on va relever les filets, en se demandant ce qu’on y trouvera.
    Pierre, le « maître » bagueur est très pédagogue. Je me souviens avoir emmené Nino, un petit garçon de 6 ans, déjà passionné par les piafs. Je ne saurais pas dire lequel de Nino ou de Pierre était le plus heureux.
    Nino, pas peu fier de reconnaître pratiquement toutes les espèces (et je dois dire qu’il m’avait d’autant plus épatée qu’il n’avait vu la plupart que dans ses livres). Nino, les yeux écarquillés, tenant dans ses mains l’oiseau qui vient d’être bagué et qu’il va relâcher.
    Pierre, content de montrer à Nino comment, en soufflant sur le ventre de l’oiseau, on peut découvrir les éventuelles plaques incubatrices et déterminer le sexe de l’animal.
    Pierre, ravi de constater qu’un môme si jeune en connais déjà autant, que la relève est prête, quoi.

    Pour répondre partiellement à Vincent, je ne sais pas s’il existe des écolos contre le baguage, mais je peux lui dire que le baguage est extrêmement réglementé. Ne s’improvise pas bagueur qui veut, puisqu’il s’agit de mettre en place du matériel qui va permettre de capturer, même très provisoirement, des espèces protégées.
    Alors il existe peut-être des écologistes anti-baguage (je connais bien des écologistes anti-éoliennes), mais il y a des cons partout.

  8. Au Chili, les coqs utilisés dans les combats de coq (et oui…), qui sont un peu les pit-bulls de la basse-cour, sont doux comme des poussins retournés sur le dos…

    ça marche peut-être avec les pit-bulls, pensez-y en cas de danger ! :-D

    Pour les écologistes anti-baguage, s’ils existent peut-être (il y a de tout après tout), ils sont infiniment moins nombreux que les anti-éoliennes, peut-être parce que ça fait moins mal de se prendre un filet qu’une pale d’éolienne ;-)

    (personnellement, je suis pas anti-éoliennes, mais il est normal aussi qu’il y ait des gens attentifs à ce que les éoliennes fassent le moins de grabuge le long des axes migratoires !)

  9. Pour répondre à Vincent, je ne sais pas s’il existe des mouvements contre le baguage des oiseaux. Je ne pense pas.
    J’ai failli devenir bagueur. Il y a une quinzaine d’années, en plus de mon expérience à Brussey, j’avais suivi un premier stage de baguage en Camargue. J’avais été dégoûté par l’attitude des personnes qui encadraient ce stage et qui n’avaient aucune considération pour les oiseaux qui étaient entre leurs mains (beaucoup sont d’ailleurs repartis éclopés, les oiseaux pas les bagueurs, dommage !) et j’avais écourté mon stage en expliquant les raisons de mon abandon. Un an plus tard je crois, Pierre et Christine m’avaient remotivé pour suivre un autre stage et cela m’avait réconcilié avec les bagueurs. Le maître de stage était Jean-Paul Binnert, un type extradordinaire, cela se passait en Petite Camargue Alsacienne. Et puis finalement, je n’ai pas continué dans cette voie, pour des raisons professionnelles essentiellement (on ne peut pas être partout à la fois). Pendant plus d’une quinzaine d’années, j’ai suivi les activités de baguage à Brussey, d’abord très intensément puis avec beaucoup moins d’assiduité. Lorsque j’y vais encore, de plus en plus rarement, j’adore ! Mais surtout à cause des personnes qui sont là et de Pierre qui encadre. Anne en a très bien parlé dans un commentaire ci-dessus. Peut-être que dans cinq-six ans, je vais réentreprendre de suivre une vraie formation et pourquoi pas, devenir bagueur. Mais pour en arriver là, il y a du pain sur la planche et il faut que je me donne entièrement à cette activité, très prenante. Enfin, on verra, mais l’idée fait actuellement son chemin dans ma tête.

  10. « Croyez pas qu’elle soit à vendre
    Quand on l’a mise sur le dos
    On n’est pas tenu de se fendre
    D’un somptueux petit cadeau… »
    (Georges Brassens, Le mouton de Panurge)

  11. Pour éviter que les oiseaux se prennent les pales, je rappelle la solution imaginée par Baudrillard (lui visait avant tout l’intérêt esthétique) : faire comme pour les lignes à haute tension, enterrer les éoliennes.

  12. En tout cas, Tonton Georges, l’autour c’est mieux que ta poupée : ok, il ferme les yeux (ou tout comme) quand on le couche, mais au moins, lui, il ne crie pas « Maman ! » quand on le touche ! ;-)

  13. Avec panache, le bel autour s’est envolé
    En laissant tous ces braves bagueurs désolés
    Avec un petit « au revoir » pour ces savants :
    Moralité : « Autour en emporte le vent »

  14. Très impressionnant. Encore plus fort que ce que je pensais… :wassat:
    Le ralenti est éloquent…

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