Petit dimanche politico-musical

La vidéo musicale dont a parlé Robert dans l’un de ses commentaires nous rappelle à juste titre que la chanson peut être un acte d’engagement politique. L’histoire du 20ème siècle est jalonnée de nombreux exemples allant de Léo Ferré à Bob Dylan en passant par Vladimir Vissotski ou Woody Guthrie et un certain nombre de rockers.

Joan Baez, qui fut une ardente militante des droits civiques au début des années 60, fut et reste encore une femme d’engagement. La voici dans deux petites vidéos (sur des textes qui ne sont d’ailleurs pas politiques) filmées à quelques dizaines d’années d’intervalle. Vient ensuite un texte que je publie dans son intégralité et qui est la déclaration que vient de faire Joan Baez à propos de son soutien à Barack Obama.

« Il se passe quelque chose d’inouï en Amérique. Quelque chose de lumineux que je n’aurais jamais pu imaginer se produire dans la noirceur et la torpeur qui ont saisi le pays depuis sept ans. Quelque chose qui bouleverse, motive, ranime. Quelque chose qui, dans les décombres de la politique actuelle, incarne l’espoir. J’avais toujours refusé, jusqu’à présent, de m’engager dans ce qu’on appelle la politique politicienne. Je n’avais jamais souhaité, malgré de nombreuses sollicitations, donner mon appui à des candidats aux élections, à quelque niveau qu’elles soient. Mais ce qui se passe aujourd’hui est trop extraordinaire pour que je ne change pas d’attitude. 1) Barack Obama est candidat à la Maison Blanche. 2) Des masses d’Américains sont prêts à avoir un président noir. C’est la chose la plus saine qui se soit produite dans ce pays depuis longtemps.

J’ai écrit une lettre à Obama. Et sa réponse m’a rendue très heureuse. Elle était dans la veine de Martin Luther King. Avec l’expression d’une foi sincère dans la non-violence. N’a-t-il pas une image de Gandhi dans son bureau ? Quelque chose est donc juste, de ce côté-là… En fait, Obama me rapproche d’un sentiment de fierté pour ce pays que je n’avais encore jamais ressenti. Lorsque sa femme Michelle a évoqué cette fierté inédite au soir d’une primaire, elle a déclenché une tempête.

Mais moi, qui ne suis pas candidate, je peux assurer que oui, ce serait une fierté d’être – enfin ! – bien représentés dans le monde, de nous savoir fiables, généreux, solidaires, pacifistes… Un sentiment nouveau pour moi qui déteste toute idée d’allégeance à un pays – la naissance est le fruit d’un tel hasard ! – et n’ai jamais pu saluer le drapeau américain, la main sur le coeur, en récitant des âneries ! Aucun drapeau d’ailleurs !

Je me suis toujours sentie citoyenne du monde, quitte à être mal comprise. Je me souviens par exemple d’une marche de protestation aux côtés du syndicaliste Cesar Chavez et de milliers d’ouvriers mexicains. « Alors, vous vous sentez latino ? », m’a-t-on lancé dans l’enthousiasme général. « Pas plus que je ne me sens écossaise », ai-je répondu.

Difficile de décrire un parcours. Tant d’éléments interviennent pour construire une personne. Mes parents, à l’évidence, ont joué un grand rôle. Mon père est arrivé du Mexique à l’âge de 2 ans, fils d’un pasteur méthodiste qui avait choisi de vivre aux Etats-Unis avec les plus déshérités. L’idée de partage était essentielle dans la famille. Mon père avait lui aussi décidé de devenir pasteur avant d’être déçu par l’Eglise et de s’orienter vers les mathématiques et les sciences. Il est devenu physicien, chercheur, et a opté pour une carrière de professeur plutôt que d’accepter des postes bien plus rémunérés dans le secteur de la défense.

Il était profondément intègre, reconnaissant envers les Etats-Unis, qui lui avaient donné sa chance ; et ce n’est qu’à sa mort que j’ai découvert l’importance de ses travaux, notamment l’invention du microscope à rayons X. Ma mère, qui a aujourd’hui 95 ans, est née en Ecosse, mais a grandi aux Etats-Unis auprès de son père, également pasteur. Elle n’a jamais eu de dévotion particulière à l’égard de l’Amérique, et c’est d’elle, je crois, que j’ai hérité un tempérament rebelle.

Quand j’avais 8 ans, mes parents sont devenus quakers. Mes soeurs et moi avons détesté à l’époque les assemblées austères et silencieuses du dimanche matin. Mais leur façon d’accorder tant de valeur à la vie humaine, de la placer bien au-delà des nations et des territoires, m’a beaucoup influencée. C’est dans ces cercles que j’ai découvert qu’il existait des alternatives à la violence, tant sur le plan personnel que politique. Et, au fond, c’est autour de cette notion que j’ai construit ma vie.

Nous avons beaucoup voyagé en famille. L’année de mes 10-11 ans, nous avons même vécu à Bagdad, autant dire sur une autre planète. L’Irak avait, disait-on, cinquante ans de retard sur les pays de la région, et les gens étaient d’une pauvreté affolante. Les rues étaient pleines de mendiants, de handicapés, d’enfants qui fouillaient les poubelles. Et je me sentais spontanément solidaire, infiniment plus proche d’eux que des Occidentaux qui fréquentaient le club britannique ultrachic. C’est là qu’est née ma passion pour la justice sociale. C’est là aussi que maman m’a fait lire Le journal d’Anne Frank, qui a eu un grand impact sur ma vie. Je crois même que ce fut un déclencheur pour me préoccuper des autres.

La couleur foncée de ma peau de petite Mexicaine m’a peut-être sensibilisée, à l’adolescence, à la discrimination ethnique. Mais ce furent les ateliers de discussion organisés à l’intention des jeunes quakers qui m’ont éveillée aux problèmes du monde. C’est à l’occasion d’un de ces séminaires dans la région de Carmel que j’ai été littéralement bouleversée par un prêcheur noir de 27 ans, originaire de l’Alabama, qui nous parla d’injustice et de souffrance, de combats à mener avec les armes de l’amour et de révolution non violente. Il s’appelait Martin Luther King, et ses paroles me faisaient tellement d’effet que j’en tremblais, à la fois d’excitation et de peur. Il offrait une forme et des mots à mes croyances passionnées mais imprécises. Et je sentais qu’il y avait là une voie dans laquelle je ferais quelque chose. Chanter, bien sûr, puisque j’avais ce don. Mais chanter en exprimant quelque chose.

J’ai revu King plusieurs fois. Il était d’une décontraction et d’un humour stupéfiants, vu la pression sur ses épaules. J’ai chanté We Shall Overcome, ce fameux 28 août 1963, à Washington, sur la scène où, devant 350 000 personnes, il prononça son discours : « I have a dream ». Je crois qu’il y avait aussi Bob Dylan. J’ai marché à ses côtés à Grenada, dans le Mississippi, à la tête d’un cortège d’enfants noirs auxquels on refusait l’accès à un collège blanc. Et, en 1967, il est venu me rendre visite lorsque j’ai été emprisonnée, une première fois, pour avoir protesté contre la mobilisation pour la guerre au Vietnam.

C’était une époque de lutte, de foi, d’engagement. Il y avait des débats, des boycottages, des manifestations. Pour les droits civiques, contre les inégalités, contre la conscription. Et contre la guerre au Vietnam, bien sûr, pour laquelle j’ai refusé de payer ma part d’impôt militaire. J’ai créé un Institut pour l’étude de la non-violence, en Californie. Je suis aussi allée sur des zones de guerre. Toute ma vie a été déterminée par cette mobilisation permanente – concerts, actions, voyages – pour une multitude de causes : les mères des disparus en Argentine, Andreï Sakharov, Amnesty International, les prisonniers politiques chiliens et grecs, l’interdiction de la torture, l’abolition de la peine de mort…

Il me semble d’ailleurs qu’on ne donne pas assez crédit à tous ces militants de la non-violence pour le résultat obtenu. Ce sont eux qui ont mis fin à la guerre au Vietnam ! Le président ne le souhaitait pas ! Les marches, les chants, les pétitions, toutes les actions protestataires ont été payantes ! Et le sont toujours ! Encore faut-il cet esprit, cette cohésion, cet élan qui a manqué dans les années 1980 et 1990, marquées par un repli des gens sur eux-mêmes et un rejet absolu de l’idée de sacrifice. Le choc du 11 septembre 2001 et la réponse lamentable, criminelle, du gouvernement américain auraient pu susciter un sursaut. Mais Bush a exploité et entretenu la peur. Tout le monde s’est cru obligé de faire assaut de patriotisme pour ne pas susciter la méfiance et garder son boulot. Même les médias ! Quel désastre !

Et voilà qu’est apparu Obama. Et que des millions d’Américains jusque-là désabusés et exclus ont à nouveau envie d’agir. Voilà que des foules de jeunes Noirs se déplacent pour la première fois de leur vie pour aller écouter un candidat et aller voter. On me dit que les crimes dans certains quartiers ont chuté et que les ghettos sont plus calmes. Voilà que Gabriel, mon fils de 38 ans, qui n’a jamais été intéressé par les affaires publiques, organise un concert dans sa ville avec ses amis musiciens, pour récolter des fonds pour la campagne d’Obama. Et voilà que moi aussi, naguère si sceptique sur l’utilité du vote, je me prends à rêver.

Je rêve qu’Obama, président, rassemble et unifie un pays divisé depuis bien trop longtemps. Je rêve qu’il apporte de la décence et de l’intégrité dans les eaux troubles de Washington. Je rêve qu’il relève la barre de ce qui est moralement et légalement acceptable dans une démocratie (ni torture ni peine de mort) et qu’il appelle les riches à partager leur fortune. Je rêve qu’il résiste à l’appel de la guerre et cherche le dialogue avec les parties opposées. Je ne suis pas naïve, je sais que la présidence est un poste dangereux, exposé, peu propice à l’épanouissement d’un pacifiste. Mais je trouve cet homme inspirant. »

4 réflexions au sujet de “Petit dimanche politico-musical”

  1. Waowww !
    Quel plaisir ce soir de découvrir cette nouvelle sélection.
    Sans doute un peu car 3 vinyls de Joan Baez ont bercé mon enfance, ils étaient les rares de ma mère qui rêvait de seulement chanter juste.
    Mais surtout parceque cette voix a le don de me transporter, de me bouleverser. Joan Baez a une voix extraordinaire, beaucoup de sopranos me touchent droit au cœur (c’est aussi dans cette catégorie que je me rangeais dans la chorale), mais certaines ont une voix qui agressent, ce n’est pas le cas ici.
    Et que cette femme puisse porter aussi haut les combats de l’humanisme comme du pacifisme (elle l’a payé plutôt cher) avec autant de puissance me comble d’aise.
    Je ne savais pas qu’elle avait apporté son soutien à Obama… mais mes vœux l’accompagnent, sûrement moins bien que sa guitare.
    Merci encore pour cette session, elle me donne envie de chanter à nouveau, chose que je ne fais qu’isolé.

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