« Les voix de Marrakech »

Article proposé par Brind’paille
« Est-ce la langue de là-bas que je ne comprenais pas, et qui doit maintenant se traduire en moi, peu à peu? Il y avait là-bas des événements, des images, des sons dont le sens vous échappe d’abord, qui n’étaient ni traduits, ni définis par les mots et, au-delà des mots, ils sont plus profonds et plus ambigus qu’eux ».

Voilà pour moi, définie par l’auteur lui-même, l’impression profonde de la ville de Marrakech sur Canetti et qu’il a choisi d’évoquer par petits récits.

monument

Pour qui arrive dans cette ville, le plus étonnant est la place Djemâa El Fna. Cœur de la vieille ville, écrasée de soleil jusqu’au crépuscule, elle commence alors à frémir et s’emplit de badauds, saltimbanques, bonimenteurs, musiciens, mendiants …. Au fur et à mesure que le jour décline et que la foule arrive, le brouhaha augmente, ponctué de musiques, de cris, d’appels, de voix. L’atmosphère devient électrique, trépidante, et ne se détend que tard dans la nuit. C’est un condensé abrupt des diverses voix de la ville.
place
Canetti préfère isoler quelques unes d’entre elles, tout en leur laissant un peu de la « folie », de la cruauté, du rythme extrême de la place.
J’ai aimé ce livre car, à petites touches et par petits épisodes, s’y concentre toute la couleur de la ville : son côté dramatique, drôle, déconcertant, vivant, épuisant aussi, quelquefois à la limite du supportable ; on y sent la distance qui nous sépare, nous occidentaux, de ses habitants fiers, épiques, mais aussi pudiques, l’impuissance à comprendre totalement une civilisation différente de la nôtre.

portecochere

Reconnaître un pays par ses voix est une tentative originale, d’une profondeur peut-être ignorée : « La répétition du même cri caractérise celui qui le lance. On s’en imprègne, on le connaît, il est désormais présent pour toujours. Il est ainsi, dans un caractère propre, nettement délimité, qui est justement son cri. On ne saura rien d’autre sur lui. Il se protège, le cri est aussi sa frontière ».
Parmi ces voix, celle des conteurs, « vêtus de façon voyante, en l’honneur de leurs mots« . Quelle belle façon de dire la vie!
En contrepoint, ces récits où les Français ne sont pas à l’honneur …
Dans la ville du dehors se dessine la ville du dedans, silencieuse, obscure, fraîche, avec ses cours qui s’ouvrent sur le ciel et ses terrasses qui sont « comme une deuxième ville ». Une ville dont les femmes sont cachées, dont les façades sont des murailles, où l’étranger ne passe « à aucun moment inaperçu ».

porte

Mais aussi une ville qui accepte et s’ennoblit des plus humbles :
– le Marabout : « Il tourna vers moi un visage rayonnant, prononça une bénédiction à mon adresse et la répéta six fois de suite. La chaleur amicale qui se répandit sur moi pendant qu’il parlait était telle que je n’en avais jamais connu de semblable d’aucune créature humaine« .
– le mendiant du Mellah : « son appétit s’étendit comme un nuage de satisfaction sur la place.« 
– les enfants, à la beauté touchante.
Le livre est aussi un regard sans complaisance, qui relate la dureté la plus féroce (les mendiants du cimetière israélite), à l’origine d’émotions troublantes « Je sentais combien il peut être séduisant de se faire couper tout vivant en morceaux par les hommes »; mais qui discerne aussi la beauté dans la misère la plus totale « Ce n’était plus au travers d’un tas de décombres que je marchais. Je savais maintenant où sa vie et sa lumière s’étaient concentrés » et qui est reconnaissant devant la vie qui s’exprime avec ténacité (L’Invisible).
Chacun de ces petits récits est comme un conte philosophique au cours duquel on traverse diverses sortes d’épreuves qui nous rendent, pour finir, meilleurs.

38 réflexions au sujet de “« Les voix de Marrakech »”

  1. Si de prime abord, le titre du livre intrigue un peu, après la lecture, tout est limpide et on n’a plus aucun doute : Ce livre ne pouvait s’appeler que « Les voix de Marrakech ».

  2. Je n’ai commencé le livre qu’hier soir et je n’en ai lu que la moitié. Je finis la lecture ce soir et je mettrai des commentaires à ce moment-là. Je sais par ailleurs que Christophe n’a reçu le livre qu’hier, il doit donc être dans un cas à peu près identique au mien.

  3. Brind’paille, pour réagir sur la dernière phrase de ton article, il me semble que beaucoup de livres que l’on lit (je pense par exemple aux deux derniers qu’on a lus collectivement, « la vierge froide » et « Qui se souvient des Hommes »), nous rendent meilleurs.
    Enfin, dans la mesure où on peut encore devenir meilleur qu’on ne l’est déjà !
    :smile:

  4. C’est un drôle de pays que ce pays-là. On a l’impression que personne ne vous regarde (une discrétion à toute épreuve) mais qu’il est impossible d’y être anonyme, chaque personne que vous croisez sait tout de vous, comme si vous étiez à nu. Drôle d’impression. Je ne sais pas si j’aimerais.

  5. Un moyen d’être anonyme …
    Pour une femme, être voilée,
    pour un homme, se déguiser en une femme voilée.

  6. J’ai l’impression que dans ces pays-là (je parle de l’Afrique du Nord en général) – il y a chez les habitants le besoin de solitude (côté introspection, pour ne pas dire méditation) et à l’inverse un côté très volubile, le besoin de communiquer, de bavarder (cf. le marchandage lors d’une vente). Est-ce la proximité du désert qui engendre cette ambivalence ? Ou y a-t-il d’autres raisons plus culturelles ? Par exemple, l’influence de l’Islam. Quelqu’un a-t-il un début de réponse à ce constat ?

  7. Bernard, tu veux dire que certains sont portés sur la méditation et d’autres sont plus volubiles ou bien qu’ une personne possède ces deux facettes ?
    Quoiqu’il en soit, j’aurais bien du mal à apporter un élément de réponse. Je ne connais pas du tout les pays d’Afrique, du nord ou autre et je ne connais pas trop non plus l’islam. Quand aux déserts, les seuls que je connaisse sont les déserts islandais !
    Par contre, ça a partiellement un rapport, il me semble que si les maisons de Marrakech sont si isolées de la rue, si calmes, souvent dans la pénombre, cela doit être pour se reposer de l’explosion de sensations qu’on doit éprouver dans la rue ou sur les places (bruit, odeurs, couleurs, mouvements à profusion). Cela doit être difficilement vivable sans un endroit plus serein où se réfugier.

  8. Bon, la discussion part très lentement.
    Peut-être est-ce à cause du fait que peu d’entre nous ont lu le livre.
    Récapitulatif : Oetincelleo l’a lu, je l’ai lu presque intégralement (je le finis ce soir), Christophe vient sans doute de le commencer.
    Et les autres ?

  9. Je n’ai pas vraiment voulu dire que c’est la lecture de ce livre qui peut nous rendre meilleur.
    Mais que le livre présente, au travers des différents petits récits, des genres « d’épreuves initiatiques » qui, s’y on les traverse avec succès, nous rendent meilleurs car nous bénéficions des conséquences (la bénédiction de l’aveugle, les visites offertes par la famille Dahan, etc).
    Elles nous rendent meilleurs aussi car elles permettent de mieux comprendre le pays, au-delà de la première impression parfois pénible.

    Sinon, il m’apparaît que l’on ne peut plus tellement écouter les « voix » des pays que l’on visite. A quoi est-ce dû? Trop d’agitation, trop de similitude partout, trop de voitures?
    Lors d’un voyage en Grèce il y a une trentaine d’années, j’ai pu connaître cette sensation extraordinaire de la « voix » d’un village, concentrée en un seul endroit. En déambulant dans des rues désertes, vers le soir, je me suis rendue compte qu’au passage de certaines intersections me parvenait un brouhaha intense, contrastant avec le silence des rues. Me rapprochant petit à petit de cette rumeur, j’ai soudain débouché sur une place où, sans doute, la presque totalité du village était rassemblée, aux terrasses des différents cafés.
    C’était comme arriver dans la pièce principale d’une maison accueillante, où tout le monde se réunit pour une conversation agréable.
    Les rues qui convergeaient vers la place transmettaient le bruit de la place quand on les traversait.

  10. Oui, effectivement Brind’paille, je suis allé un peu vite en besogne. Tu n’as pas voulu dire que c’est la lecture du livre qui peut rendre meilleur.
    Pourtant, je pense réellement que la lecture de livres, alliée au fait de se confronter aussi au réel, rend meilleur le lecteur. Je précise « alliée au fait de se confronter aussi au réel », car je ne crois pas du tout à la culture, quant elle n’est que livresque. Autre petite réflexion : ce n’est pas la lecture qui peut nous rendre meilleurs, mais l’art d’une manière générale (pas seulement l’écriture, mais aussi la musique, la peinture …) dont la véritable finalité est de nous tirer vers le haut.
    Lors des quelques lectures collectives de ce blog (« la vierge froide » et « qui se souvient des Hommes … »), il me semble que je suis ressorti de ces lectures un peu grandi, comme je l’ai dit plus haut. Il n’y a pas un jour aujourd’hui dans ma vie sans que je ne pense depuis aux Alakalufs. Mais cela est vrai aussi pour d’autres livres. Par exemple, je suis un inconditionnel des romans de Simenon et il me semble que la lecture des romans de cet auteurs, qui mettent en scène des personnages a priori pourtant peu reluisants, m’a amené à une certaine compassion vis à vis de l’être humain et de ses faiblesses.

  11. Oetincelleo, je ne sais pas répondre avec certitude à ta question. Je pense que les deux facettes dont j’ai parlé cohabitent chez les mêmes personnes (c’est pour ça que j’ai employé le terme d’ambivalent), mais après ta question je ne sais plus vraiment. Peut-être pourrais-je répondre après la lecture complète du livre (prévue pour ce soir … sauf si je ressens ce soir l’appel du blaireau qui va me conduire immanquablement en forêt).

  12. L’appel de la forêt, donc …
    A quand, un livre de Jack London dans les discussions mensuelles du blogadupdup?
    (Qui je l’espère se prolongeront tout au long de l’année et plus encore).

  13. J’aime beaucoup cette idée de compassion pour les êtres humains et leurs faiblesses. Quand on en est arrivé là, oui, on est devenu meilleur.
    En ce qui me concerne, je peux progresser encore dans ce domaine.

  14. Oui, évidemment, on a tous d’énormes marges de progression (pour employer un terme sportif) dans tous les domaines.
    Il me semble que Jenofa a parlé il y a quelques jours, sur ce blog ou sur le sien, de compassion. Je ne sais plus trop à quel sujet c’était, mais si elle repasse sur cet article elle nous le dira.

  15. On parle de compassion mais est-ce qu’on sait vraiment de quoi il s’agit ?
    Il y a quelques temps, j’ai lu justement un … article,? essai?, dossier? sur la compassion dans une revue … philosophique? culturelle?, religieuse? et ça n’avait pas l’air si simple que ça !

  16. A vrai dire, si j’arrive à ressentir de la compassion pour certains être humains particulièrement démunis ou touchés par la vie, je ne suis pas sûre d’en ressentir pour les l’ensemble du genre humain … Ceci dit, oui, les faiblesses de nos semblables nous ramènent gentiment à nos propres faiblesses, on peut aussi en sourire, on peut en tout cas rester humble.
    Etymologiquement, compassion c’est : « souffrir avec ». En effet, ce n’est pas si simple!

  17. J’ai regardé hier la définition du Petit Larousse à propos de la compassion, elle est très courte : « pitié, commisération ».
    Je me suis demandé si effectivement l’idée que je me faisais de la compassion était bien la bonne. J’y voyais plus que de la pitié. Un peu de tendresse en plus me semble-t-il. Cela dit, c’est le Petit Larousse qui a la bonne définition. Evidemment. Et moi qui me plante.

  18. Pas si sûr que ce soit toi, Bernard, qui te plante.
    Le petit Larousse assimile « compassion » et « pitié ».
    Tout le monde ne pense pas ainsi.
    Ci-dessous, un extrait de l’article dont j’ai parlé plus haut et qui reprend la pensée du philosophe français Emmanuel Levinas. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_L%C3%A9vinas).

    « La compassion ne consiste pas tant à sentir ce que l’autre souffre, qu’à répondre à l’appel d’autrui souffrant. La compassion, ce n’est pas la larme à l’oeil, c’est la responsablilité. Une responsabilité qui ne se laisse pas guider par l’émotion, mais par autrui. Cet affect qui se déploie en relation et en action devient engagement et promesse à l’égard d’autrui. »

  19. Par exemple dans le fait de réussir la prouesse de faire écrire par un de ses amis, une lettre de recommandation adressée à quelqu’un que l’auteur de la lettre ne connait pas et qui recommande une personne que l’auteur de la lettre ne connait pas plus.
    Oui, d’après la définition de Lévinas, ça, c’est de la compassion.

  20. Dans cet épisode, j’y ai vu aussi beaucoup de comique (dans l’opiniâtreté de la demande, dans les tentatives d’évitement de l’auteur et dans l’absurde des exigences), peut-être parce que je connais un peu les pratiques du pays. Mais à la fin, oui, je te rejoins, œtincelleo; d’ailleurs merci, parce que je n’avais pas vu ici, de prime abord, de compassion.
    Bernard a évoqué l’Islam; je pense que la compassion fait partie de cette religion (« répondre à l’appel souffrant »). Donner l’aumône journellement est le premier engagement vers autrui (bon, je ne suis pas islamique, je ne discourrai pas davantage).

  21. Etonnant le nombre de personnes qui mendient ! Je n’imaginais que ça pouvait être ainsi il y a déjà plus de cinquante ans. Je croyais que le tourisme dans ce pays y avait contribué. Mais a priori, ce serait aussi culturel, non ?

  22. Le nombre de mendiants ne me parait pas spécialement lié au tourisme ou à l’Islam.
    Il y a 30 ans, je suis allée en Inde dans des endroits pas vraiment touristiques, ni habités par des musulmans. Ces mêmes mendiants, auxquels on avait coupé un bras, crevé un oeil, … pour mieux apitoyer étaient omniprésents.
    Dans le livre dont on parle, ce cimetière habité de mendiants estropiés ne vous a pas fait penser aux cours des miracles du moyen-âge. http://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_des_miracles
    Ca vaut le coup de cliquer rien que pour tous les noms « exotiques » des différents voleurs et mendiants de l’époque.

  23. Pas évident de rentrer dans une discussion qui a démarré il y a trois jours.
    Pas facile non plus pour moi de rentrer dans ce livre.
    Je n’ai pour ainsi dire comme espace de lecture, que la surveillance des études à l’école. Autant cela était possible avec « nos » trappeurs du grand nord, autant cela est difficile avec la subtilité et l’acuité du regard de Canetti. Chaque mot signifie, chaque silence aussi. Car entre deux chapitres, le silence pèse.
    Mais qui est-il cet extra-lucide pour percevoir ainsi l’indicible?
    Vous avez parler de compassion, quelle distance y a-t-il entre la compassion et le voyeurisme? Sans cesse, j’oscille entre l’admiration et le malaise…

  24. Quelques renseignements sur la vie de Canetti (glanés ici ou là).
    Né en 1905 à Roustschouk en Bulgarie, mort à Zurich en 1994. Il est issu d’une famille de juifs sépharades, commerçants fortunés. Polyglotte d’expression allemande (langue que lui a enseigné sa mère, presque de force. Cette langue était celle que ses parents utilisaient entre eux dans leurs conversations privées). Dans son autobiographie (La Langue sauvée, le Flambeau dans l’oreille et Jeux de regard) il évoque son enfance dans une région où l’on pouvait entendre sept ou huit langues dans la journée. Sa grand mère je crois en parlait plusieurs.
    Il a vécu dans plusieurs pays (Suisse, Autriche, France, Grande Bretagne).
    Cette multitude de cultures transparaît dans son œuvre.
    Son œuvre majeure (que je n’ai pas encore lue) est « Masse et Puissance », étude anthropologique du phénomène de la « masse », sa faculté d’anéantir l’individu, le conditionnement collectif pour le mal, la subversion de la culture de masse. Canetti y démasque l’origine animale de nos comportements.

    Luc, tu balances entre admiration et malaise … oui, c’est que Canetti dérange dans sa vision sans concession, acceptant tout, et ne rejetant rien.
    Pour l’apprécier, il fait accepter de le suivre.

  25. Rectification : dans son autobiographie, il évoque sa vie entière, pas seulement son enfance, celle-ci étant plutôt l’objet de « La langue sauvée ».

  26. œtincelleo, ta référence à la cour des miracles est très juste. C’est peut-être ça qui nous dérange aussi, nous qui cachons tout ce qui peut heurter la vue …

  27. « Canetti dérange dans sa vision sans concession, acceptant tout, et ne rejetant rien » (Brind’paille dans son commentaire de 9h26).
    C’est vrai et à tel point que le premier chapitre du livre m’a un peu déconcertée, ou plutôt surprise. Je ne m’attendais pas du tout à ça. En principe, quand quelqu’un écrit sur les chameaux, on s’attend à lire de belles choses sur les caravanes, le désert, l’ambiance des caravane-sérails, les qualités du chameau, etc … Bref, de belles images idéalisées. Ici, non, pas du tout, on nous montre au contraire l’envers du décor, le chameau aux pattes entravées condamné à l’abattoir. La caravane nous est évoquée par le futur des chameaux qui l’ont formée, à savoir être vendus pour être tués et non pas par les grandes et nobles traversées du désert.
    Dans les chapitres suivants, il en va de même … Rien à voir avec un guide touristique ! LOL
    C’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt du livre, je crois.

    Il y a encore une autre façon d’aborder le thème du chameau … Hihihi ! :
    Dans un troupeau de chameaux et de dromadaires, on observe 30 bosses et 76 pattes.
    Combien y a t-il de chameaux et de dromadaires dans le troupeau ?

    L’oeuvre « Masse et puissance » de Canetti dont parle Brind’paille a l’air sacrément intéressant !
    Arrêtez de mettre des références attirantes parce que perso, je n’y arrive plus ! MDR

  28. Oui, avec toutes les références que l’on nous donne (et notamment Brind’paille), il va falloir suivre. Brind’paille est un véritable chameau ! :smile:

    Petit avantage tout de même : s’il n’y avait pas eu ce livre sur marrakech, nous aurions été privés de désert … :wink:

  29. Admiration et malaise… Pourquoi pas ?!
    J’ai eu la chance de voyager au Maroc et bien sûr de m’attarder à Marrakech. Cela fait un moment, mais la lecture de ce livre m’a replongé dans des souvenirs vivaces et complète les sensations vécues. :cheerful:
    Effectivement, il est très enrichissant de côtoyer ainsi le peuple énorme de cette ville. Ce que Canetti dévoile et ce dont il témoigne est assez conforme à ce que j’ai pu vivre. Les grandes cités marocaines, avec évidemment leurs caractères propres sont des univers sensoriels avant tout : couleurs, odeurs, sons, goûts. Et le toucher aussi : très beau de voir les jeunes amis masculins déambuler la main dans la main, de voir aussi les mains partout palper, soupeser, serrer…
    Et la place Djemâa El Fna ! Submergés que l’on est ! :blink:
    Je retiens de ce voyage et d’autres détours dans les pays méditerranéens le fait que le climat marque les cultures et leurs habitants de façons auxquelles nous sommes parfois hermétiques. Il me semble que la chaleur tourne les hommes vers l’extérieur et que leurs protections deviennent bien différentes des nôtres, vécues dans des univers confortables, confinés par le froid. Canetti témoigne bien de cela avec à la fois la grande proximité et l’irruption même dans la sphère privée, mais aussi de la distance, de la pudeur, du silence malgré le fait que comme « blanc » on est toujours vu. :ermm:
    La vie est dure dans ce Maroc, la pauvreté est partout et il ne faut pas oublier la jeunesse de ce peuple maghrébin. La ville, ici comme ailleurs engendre les mêmes démons : communautarisme, dénuement… Et comme à Venise, les occidentaux (dont de nombreux Français, s’approprient l’immobilier à prix d’or (les riads), rendant la ville de plus en plus inabordable au peuple des sans noms. On est loin du tourisme équitable ! :sick:
    Le malaise est évidemment là où se côtoient misère et richesse, un des apanages de l’univers urbain pour moi. Mais cette extériorisation rend le contraste plus fort : entre la foule des mendiants et les étalages dans les souks.
    Quoi qu’on en dise, je conseille à tous ce voyage : mais en n’oubliant pas d’aller voir dans la campagne, pour y trouver plue de simplicité et y découvrir la merveilleuse hospitalité, le souci du partage, la richesse des hommes et des valeurs qu’ils portent, avec islam ou non. Comme souvent, j’ai préféré dans un espace plus lisible la découverte du pays et goûté aux plaisirs des sens. :wub: (Attention Bernard : pas de bière !).
    Merci à Brind’paille pour la lecture de ce livre assez éloquent, témoignant bien de la difficulté de l’occidental à s’adapter à un tel univers. Mais je crois qu’il est bien aussi malaisé, et je l’ai mieux compris a posteriori, à un Marocain de s’adapter à la vie en France. Même mes amis Marocains élevés vers la culture française, remarquablement instruits, et bien que relayant ici une belle part de leur héritage, éprouvent des difficultés à vivre avec les personnes bien éloignées de la simplicité que nous sommes… euh la personne que je suis !
    Bien belle découverte dans ce livre du Mellah que j’ai royalement ignoré et de cette curieuse aventure de l’écrivain au contact de la famille Dahan, une histoire dans l’histoire je trouve.
    J’ai aimé, préféré dans cet ouvrage la visite des souks, le choix d’un pain, la description des écrivains publics, la salive du Marabout comme la rencontre avec les aveugles.
    D’autres facettes de la ville comme le désir de l’âne, Shéhérazade ou la calomnie rejoignent le côté « malaise » évoqué. Le puzzle est un peu disparate dans cette lecture… mais la découverte de Marrakech ne peut échapper totalement à cette tendance je crois.

    Encore deux commentaires :
    – celui de l’ornithologue. Lorsque Canetti monte sur une terrasse et observe notamment les vols d’hirondelles, je pense qu’il s’agit de martinets. A Marrakech, je crois que 3 espèces sont visibles : Martinet noir et Martinet pâle visibles en France plus le Martinet des maisons. Mais les hirondelles sont bien visibles aussi dans cette ville avec une espèce bien méditerranéenne encore mais récemment observée en Haute-Saône : l’Hirondelle rousseline.
    http://images.google.com/imgres?imgurl=http://www.oiseau-libre.net/Photos/MB/hirondelle-rousseline2.jpg&imgrefurl=http://www.oiseau-libre.net/Oiseaux/Palearctique-occidental/Palearctique-album/Hirondelle-rousseline.html&usg=__vqFQy7jw2PMZDtxW4wbP4rpYuTg=&h=395&w=580&sz=50&hl=fr&start=18&um=1&tbnid=FqOUByiRABWrIM:&tbnh=91&tbnw=134&prev=/images%3Fq%3DHirondelle%2Brousseline%26hl%3Dfr%26client%3Dsafari%26rls%3Dfr%26sa%3DN%26um%3D1

    – et deuxième commentaire : savez-vous ce que c’est qu’un chalumeau ?
    Ben c’est un dromaludaire à deux bosses ! :tongue:

  30. Au final, j’aurai lu le livre de Canetti à un rythme très particulier. Je me suis laissé le temps qu’il fallait pour intégrer chaque histoire. Et je m’étais gardé le dernier chapitre pour un moment d’entière intimité avec la place Djemâa El Fna. Avec « l’invisible », je me suis senti bien, comme si enfin je pouvais accéder à la sensibilité de l’auteur. Sans doute vais-je relire le livre. Mais plus à l’école; dans un fossé au soleil peut-être. Ou alors en vacance, au sud, à l’ombre d’un vieux mur… Merci Brind’paille pour cette belle découverte. :smile:

  31. Je me rends compte après la lecture de ce livre que bon nombres d’aspects de la vie à Marrakech sont à l’opposé de ma nature.
    J’ai adoré le passage où l’on parle du marchandage. Pourtant, tout, dans ma nature m’éloigne de ça. J’ai toujours été incapable de marchander quoi que soit. De la même manière, j’ai toujours détesté qu’on discute un prix que je donnais. Il me faudrait faire un effort surhumain pour arriver un jour à discuter d’un prix avec quelqu’un. Même en tant que touriste, je serais incapable d’acheter quoi que ce soit à Marrakech sachant qu’il me faudra marchander pour ne pas payer l’objet désiré trois fois plus que sa valeur.

  32. Trois fois plus que sa valeur, c’est à peu près ça.
    Le marchandage, il faut être tombé dedans je crois. Moi non plus je ne suis pas très douée.
    Pour l’achat d’un tapis, connaissant la « règle », et après plusieurs heures de bavardage autour d’un thé où nous sommes proprement évalués à notre insu, nous avons commencé à demander la moitié du prix. Nous ne voulions pas acheter de tapis au départ … mais nous sommes quand même repartis avec sous le bras. Au prix de départ moins à peu près 10% …
    Ne me demandez surtout pas comment ça se fait …

  33. pour Luc de Belgique :
    « On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
    Le Petit Prince, saint Exupéry.

  34. En parlant de marchandage de Tapie, il me semblerait bien qu’on aurait du mal à vendre notre Tapie à nous, même à trois fois en-dessous de sa valeur ! :biggrin:

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