Swinging Bach (3)

Un troisième extrait du DVD « Swinging Bach » : le Turtle Island String Quartet interprétant une série de variations sur la musique de Bach. Début très classique avant que ça ne dérive très vite vers du jazz manouche. La parenté entre la musique de Bach et le jazz devient alors évidente. C’est étonnant ce côté universel de la musique de Bach qui permet de pouvoir l’adapter à toutes les sauces. A quand Bach en rap ?

48 réflexions au sujet de “Swinging Bach (3)”

  1. Il existe des versions d’autres musiques classiques « transformées » ou adaptées, entre autres Mozart en Egypte, ou Vivaldi en Irlande. Bien sûr, ça marche aussi, par moments, mais à mon goût, rien ne vaut « Bach en Afrique », ou Bach en Jazz. Sa musique (à Bach) était à la fois si construite, donc si solide et si structurée, à la foi si riche, si variée, aussi émotionnelle que rationnelle (divine machine à coudre disait Colette), qu’on peut tout lui faire, improviser dessus, la dé-structurer, la ré-instrumentaliser, la ré-interprèter, elle résiste et elle garde en plus son identité (on la reconnaît). C’est une des rares musiques dont je peux dire sans expliquer pourquoi, quand je l’entends, qu’elle est de Bach. Depuis assez jeune, je l’ai reconnue et identifiée (même si par moments, Haydn peut venir lui ressembler parfois). Elle est pour moi comme un levain, quelque chose de vivant, qui va venir enrichir et permettre l’expression de tout autre chose, ça fait 35 ans que je le joue (enfin ce que je peux, et je peux peu), que je l’étudie, que je l’écoute, que je le chante, et pas une seule fois je ne m’en suis lassée. C’est un mystère.
    Je peux revoir 60 fois la séquence de Bobby mac Ferrin qui fait chanter l’Ave Maria, je vais avoir les larmes aux yeux 60 fois, sans comprendre de quoi ça vient.
    Et c’est le petit bout de ma petite lorgnette, parce qu’à chaque fois que j’ai eu à étudier de fond en comble, lors de mes études, une cantate de Bach, l’étendue de la symbolique, la rigueur et la richesse de la construction, la durée des mouvements, leur ordre, les paroles, dites par qui, dans quel ordre d’entrée et de juxtaposition, jusqu’à la succession des notes (qui sont aussi des lettres et qui forment parfois un mot), tout, absolument tout est pensé, animé (venant de donner une âme), intentionné. je pense qu’on pourrait consacrer toute sa vie et son intelligence à l’oeuvre de Bach qu’on n’en ferait pas le tour.
    Ce qui me console, et me permet de me laisser toucher par sa musique, en toute « inconnaissance » et toute bonne conscience. Chapeau bas, vraiment.

  2. Juste un détail : c’est pas la musique de Haendel – plutôt que de Haydn – qui ressemble parfois à celle de Bach ?

  3. Oui, bien-sûr, Haendel est aussi de la même époque, et ses oeuvres (en particulier vocales) peuvent, par certains coté « brillants » faire penser à Bach. Mais je n’ai jamais confondu l’un et l’autre (encore que je n’aie pas non plus passé ma vie à deviner ! C’est des vieux restes d’analyse d’écoutes à la fac). Par contre, chez Haydn, je pensais aux oeuvres de musique de chambre, en particulier les quatuors, qui ont la rigueur très classique de celles de Bach.

  4. Ayant tourné une partie de l’été avec les cantates de Bach, je suis très sensible au message de Nanou. En descendant de la montagne, apaisés par la randonnée, le son de ces merveilles musicales nous procurait un moment fort et partagé.
    Bach est sûrement un artiste très puissant ; quantité et qualité sont là. Sur ses créations, aussi, je trouve l’émotion, la vérité, la simlplicité, l’efficacité.
    Le morceau choisi ici, avec ces sons manouches que j’aime tant montre bien cette puissance, même s’il me semble que la rythmique l’emporte un peu sur la mélodie… sacrés gitans ! C’est pour moi la marque des vrais artistes : copiés, adulés, améliorés, enjolivés, revisités, destroyés… ils ont donné l’envie de la possession !
    Quel plaisir de voir la tignasse du manouche agiter sa vigueur dans ce groupe !

  5. C’est vrai que la comparaison avec Haydn ne coule pas de source a priori. On a l’impression à l’écoute que Bach et Haydn se situent à des années lumière l’un de l’autre et qu’il ne s’agit pas du tout de la même époque. Pourtant Haydn avait déjà 18 ans quand Bach est mort. Alors pourquoi tant de différence ? Simplemant par ce que Bach semble avoir été indifférent à l’évolution de la musique de son temps. Alors que la musique avance vite (le classicisme n’est pas loin), il fait une pause et s’applique à synthétiser tout ce qui avait été écrit avant et jusqu’à lui. Il ne les synthétise pas seulement, il les magnifie. C’est l’art du contrepoint poussé à sa plus haute expression. J’aime bien cette obstination de Bach, cette certitude tout au long de sa vie qu’il fallait aller au bout de cette tâche. Bach n’a certainement jamais douté une seule fois de sa vie, c’est sa force et elle transparaît dans toutes ses oeuvres.
    Pour revenir à la comparaison qu’a faite Anne entre Bach et Haydn, je n’ai aucune notion musicale mais je comprends bien cette rigueur de la forme qui est commune à ces deux musiciens (je suis aussi un passionné des quatuors de Haydn). Il m’arrive aussi à l’écoute d’une oeuvre de tel ou tel musicien de trouver une certaine parenté avec un autre compositeur alors que rien ne semble devoir les relier a priori. Je vais ainsi choquer les amateurs de musique qui viennent sur ce site en disant que je retrouve le même souffle dans Bach et dans … Wagner. Pourtant tout semble opposer ces deux compositeurs. L’ouverture de Tannhaüser composée par le maître de Bayreuth est pour moi ce qu’il y a de plus puissant. Il y a là une force qui soulève la poitrine. Je ressens souvent cela aussi en écoutant Bach, et pas seulement dans les très grandes oeuvres. Il y a du souffle dans Bach, de la puissance; on a l’impression d’une musique qui avance, qui avance … Aucun obstacle ne saurait entraver cette marche. C’est une mélange inhabituel de force et de sérénité. On sent que le mec qui a écrit la partition est un solide, un vrai roc. A conseiller à tous les déprimés de la terre.

  6. Moi quand j’suis déprimé, les gens solides, forts, sereins… ça me déprime encore plus !

  7. L’équivalent de Bach, dans les autres domaines (artistiques ou autres), pour vous c’est qui ?

  8. Représentant du monde ancien. Force, Rigueur, Puissance. Indépassable.
    Tous les symboles de la figure paternelle !
    C’est clair, il me semble, qu’on ne parle pas que de lui quand on parle de Bach… et qu’on l’apprécie sans doute à la mesure des liens qu’on a tissé dans son enfance avec son… pôpa !

  9. Et avant de faire chaque gamin… il a fait le signe de croix.
    « Il était pieux jusqu’au fond du pieu », me disait sa femme (que j’ai bien connue).

  10. Une autre anecdote révèle un peu le personnage (sa pathologie) :

    Il aimait à s’endormir sur une dissonance bien résolue. Chaque soir, il priait l’un ou l’autre de ses fils de l’endormir en jouant au clavecin. Un jour, tandis qu’il ronflait, Karl Philipp Emmanuel cessa de jouer sur un accord non résolu. Le père se leva, furieux et comme blessé, tâtonna dans le noir jusqu’à l’instrument sur lequel il plaqua une conclusion parfaite. Une autre fois, c’est Johann Christian qui arrête une improvisation sur un accord de quarte et de sixte. Se ruant hors du lit, le père le gifle et résout la dissonance.

    Bref, c’était un idéaliste obsessionnel et maniaque. S’il s’est réfugié dans le monde abstrait de la musique, c’est qu’il ne pouvait simplement pas supporter de voir le monde tel qu’il est : toujours dissonant, jamais conclu, etc. La soit-disant « force sereine » de sa musique n’est donc, en réalité, que le masque posé sur sa vraisemblable incapacité à supporter tout bonnement le « réel ».

  11. Prendre des cours de latin avec Johann Sebastian Bach, je ne sais pas si j’aurais aimé cela.

    (De la musique, Gallimard, 1998)

  12. (…) Nul doute que, pour Bach, l’ordre tonal était une autre forme de la loi paternelle. Résoudre un accord, c’est s’adresser à l’absent et lui dire : « Ne m’abandonne pas. Père, n’entends-tu pas que ton amour me condamne ? » (…)

    *

    (…) Pour Bach, pour les Bach, la musique fut une dissonance dans la voix du père. Quelque chose de non résolu unit les pères et les fils, que Dieu lui-même ne peut résoudre das la perfection d’un accord. (…)

    (Musiques de nuit, Odile Jacob, 2001)

  13. Bach marche sur nous, il ne cache pas son intention qui est d’avoir raison de nous, il veut vaincre, il veut nous faire crier merci.

    *

    Dès les premières notes, nous voici mis en cause, voici qu’il s’agit de nous profondément. (…) Cette musique travaille à nous accabler. Je l’écoute comme un homme qui n’en peut plus, avec essoufflement, avec plainte, avec défaite. Je n’attends d’elle d’autre joie que celle d’être offensé et que la purification que l’on éprouve à être maltraité. (…) Plus elle se répète, plus d’agrandit ma soumission, et plus je me sens de partout vaincu.

    *

    Il faut bien comprendre en quoi consiste ce que Bach a d’accablant et d’inhumain. Il représente la régularité de notre nature ; il respire à notre place et comme il faut ; il est la santé parfaite que nous ne savons pas entretenir ; il insulte à notre faiblesse en étant ce que nous serions sans elle. Son art ne s’adresse pas à l’imagination, il ne fait que reproduire notre vie en la rectifiant, en lui rendant son exercice normal. C’est pourquoi il est si peu flatteur, si dur, si hostile. Au lieu de nous divertir, il nous montre à plein et cruellement ce qui nous manque, notre faute, notre péché.

    (NRF, 1912)

  14. Ce qui, dans Bach, donne l’impression du magistère, c’est sa tyrannie. Il a tant de sapience, tant d’imagination aussi, que nous le jugeons impitoyable, absolu. Certes, il écrit « à la seule gloire de Dieu », jusque dans sa musique profane, souvent plus élevée que sa musique sacrée, et cela n’incline pas au laisser-aller. Certes, il est à la fois son interlocuteur et son porte-parole. Certes, sa fonction sociale était de transmettre un message religieux précisément déterminé. Mais nous autres, pour qui Dieu n’est rien sinon une hypothèse d’école, ou même une donnée culturelle avec laquelle nous devons compter lorsque nous lisons des livres ou lorsque nous visitons un musée, nous ne recevons de Bach qu’un signal essentiellement musical, et non point « spirituel ». D’où vient donc qu’il nous « punit », qu’il nous « rassure », ou qu’il nous « inquiète » ?

    De ce que la musique pure, lorsqu’elle est ainsi exempte de la moindre faiblesse, contient une part de vérité. D’une vérité plus grande que la vérité, puisqu’elle ne supporte aucune discussion. Elle affirme ce qu’elle est avec une telle force, une telle sûreté, qu’il lui est impossible de se tromper. Et voilà ce qui nous désoriente dans Bach : l’absence de doute. Les prodigieuses constructions de la grande Passacaille pour orgue ou du Clavier bien tempéré en sont des exemples irrécusables. Mais le moindre menuet, la plus modeste gavotte, ont tant d’assurance mélodique, rythmique, harmonique, qu’ils deviennent aussi de véritables dogmes, mais des dogmes sans idées, des dogmes qui ne concernent rien, qui n’établissent rien, sinon eux-mêmes. De quoi pour nous, et très largement, être punis, rassurés ou inquiets, puisque nous répugnons à ce qui est sans objet.

    Bach ne nous enseigne rien ; il est posé sur le sol de la terre comme ce mégalithe australien au milieu de la plaine, l’Ayers Rock, fort d’être lui-même, dense jusqu’à l’insupportable. Mais il n’est pas Dieu : il est Musicien.

    (De la musique, Gallimard, 1998)

  15. Sa deuxième femme (que j’ai moins connue) disait que c’est elle qui se faisait le signe de croix avant toute étreinte (car il lui faisait peur jusque-là !)

  16. Comment Rivière, catholique, grand correspondant de Claudel, et donc pécheur promis à la fureur divine, a-t-il pu penser que Bach avait été désigné pour montrer à l’homme sa petitesse ?

    (…) La réponse est plus loin dans le texte de Rivière : « Le jeu rude et régulier de Blanche Selva accentue la remontrance que contiennent ces oeuvres. » C’est là que gît le lièvre : dans l’interprétation moralisatrice que tout pianiste formé à l’Ennui Obligatoire donne de Bach. Il n’ose pas y toucher ; il n’ose le faire chanter. Il n’ose le phraser, le timbrer ; il n’ose rien du tout : il serre les fesses, il attend que cela se passe. Il est heureux comme chez le dentiste : Bach fore sa carie.

    Dites à un pianiste de jouer une Suite française comme un nocturne de Chopin ; il est tout incrédulité, méfiance ; insistez, et soudain l’humanité de cette musique s’écoulera comme d’un abcès ; l’on vous jettera un regard de reconnaissance. Dies-lui que Bach, ce n’est pas de la morale, mais de la musique, que l’ornement est un plaisir, et pas un piège, qu’on peut inégaliser les valeurs égales et arrondir les autres, qu’on gagne à respecter le jeu des miroirs, à faire sonner l’instrument. Faites-vous entendre. Dites les mots qu’il faut, parlez de la tendresse, évoquez Mozart…

    Alors le pianiste est transformé : le ventre est souple, les poignets se relâchent, les mâchoires se desserrent, et le chant naît. Péché et punition sont oubliés. Plaisir et profondeur s’installent. C’est le monde qui advient, c’est le regard qui court sur lui, plein de passion, d’amour et de colère. L’homme sans dieu découvre la grandeur de l’homme et l’inutilité de Dieu.

    (De la musique, Galimard, 1998)

  17. Voilà, c’est exactement ça – merci Jacquo ! –
    Ce qui rend incroyablement plaisant ce « Swinging Bach » c’est l’amoralité de ses interprêtes !!!

  18. Le contrepoint n’est rien d’autre que la reconnaissance dans l’organisation des sons d’un vieux thème philosophique venu des philosophes présocratiques : tout s’écoule, tout devient. D’une idée, l’autre survient, qui, sans nier la première, l’altère et la prend dans un mouvement radical, ramifié et infini. Horizontalement, la pensée avance selon la dialectique du sujet et du contre-sujet, du thème et du contre-thème, des expositions et des réponses. Mais ce qui différencie le contrepoint d’autres musiques dialectiques, d’autres musiques du passage, comme les Ragas de l’Inde, par exemple, c’est la nécessité de ne jamais oublier le premier thème, d’organiser le temps comme irréversible, de ne jamais abolir le devenir dans un retour du même en courbant la flèche en un cercle. Qui dit contepoint dit dialectique. Bach incarne le principe qu’énonçait Platon : “La musique adore les contrastes comme elle abhorre les contraires.” Les contrastes se fondent, les polarités se résolvent en une unité supérieure. Bach est l’un des rares compositeurs qui qui l’affect (le mot n’a pas été inventé par Freud,mais il existe depuis la scolastique médiévale) est indiscernable de l’intellect, comme la main de l’esprit.

    (Musiques de nuit, Odile Jacob, 2001)

  19. A la lecture du texte de Michel Schneider, ci-dessus, cela semble évident :

    Des idées qui débutent et poursuivent leur chemin mais sans renier celles qui étaient avant elles, en laissant de la place à celles qui suivront, des polarités qui apparaissent mais se résolvent dans une unité supérieure, même l’indiscernabilité de l’affect et de l’intellect, etc.

    Bernard, il faut le reconnaître… TON BLOG EST CONTRAPUNTIQUE !!!

  20. Au petit Goldberg qui voulait faire de la musique, il paraît que ses parents ont toujours répondu :

    – « Passe ton Bach d’abord !!! »

  21. A propos de Goldberg justement, il faudra que je parle un jour de ces variations que Bach a composé tout à la fin de sa vie à l’intention du comte de Goldberg qui souhaitait meubler ses nuits d’insomnie avec de la belle musique. Et il faudra aussi que je parle un jour du livre de Nancy Huston, intitulé « les variations Goldberg » que Vincent m’a offert il y a déjà longtemps. Peut-être que ça le fera revenir sur ce blog d’où il a disparu !

  22. Pour paraphraser Isidore : si Bach passait tout le temps à la télé, on dirait « une musique trop cathodique pour être vraiment protestataire »

  23. Je pense qu’il y avait des mots forts dans les phrases de Nanou ou de Christophe et que ces phrases forçaient le respect. Je n’ai donc pas aimé l’intrusion de textes disant en gros « voilà ce qu’il est réellement, votre Bach que vous aimez tant : un être pathologique … »
    Toute chose qui vient du fond de soi, asséné avec sincérité, devient à mes yeux intouchable. Enfin, j’ai la faiblesse de le croire. Cela a à voir avec le sens du sacré dont j’ai parlé un jour.

  24. Certes, tant de grandeur force le respect. Mais la véritable grandeur peut-elle vraiment souffrir des petites piques qui tentent de la remettre à un niveau plus humain, plus fraternel ? Je ne le pense pas, au contraire c’est même pour moi le meilleur signe de la vraie grandeur. Celle qui s’offusque de la critique, qui s’effondre devant le sarcasme et l’ironie n’en revêt que le masque et mérite la honte de son imposture, lorsqu’elle révèle ainsi son véritable visage. Concernant Bach, je souffre de ce malentendu. En effet, la véritable grandeur de son oeuvre me paraît en partie masquée par une fausse grandeur attachée à sa personne dans l’image du « Génie » que notre culture bourgeoise avide d’une grandeur qui lui est justement inaccessible, a su inventer, et que l’intéressé lui même serait le premier à honnir. Il est bien bon de démolir cette image suspecte et je suis même certain que Bach lui-même en sortirait grandi. On n’aurait plus besoin de cette images d’Épinal de Saint Bach pour apprécier (ou pas ) sa musique en se préoccupant uniquement de la chose sonore produit par un merveilleux artisan qui est parvenu à aller très loin dans cette tâche bien humaine pourtant… et à quel prix, pour lui même et ses proches? A mon avis ils ont dû le payer fort cher…car ça, c’est la vie réelle; pas celle illusoire et mensongère des « Génies » qu’on adule et qu’on méprise en feignant ainsi d’ignorer qu’ils sont nos frères, si près de nous et aussi pitoyables que chacun de nous.

  25. Excuse-moi, Bernard… C’est vrai que j’ai tendance à oublier (ou ne pas réussir à me faire à l’idée) que tu es résolument idéaliste/spiritualiste, et que mon point de vue farouchement réaliste/matérialiste peut parfois (souvent, même) te heurter.

    C’est un conflit de logiques, valeurs, pensées, qui dure depuis la nuit des temps et qu’il me plaît de poursuivre, alimenter, affiner ici (sans volonté particulière de le résoudre). Après, comme c’est tout de même « ton » blog, si vraiment ça te choque, t’énerve, te fatigue (comme d’autres, qui se sont déjà exprimés), si tu trouves ça vraiment irrespectueux, je veux bien l’entendre et me taire… ou tenter plutôt de me limiter aux sujets sans implication idéologique.

    NB : C’est dommage, avec le retour d’Isidore, tout à coup je me sentais moins seul !

  26. Je ne sais pas si c’est « réatérialiste » ou « idéalistique », mais depuis quelque temps, Humeur badine, je ne te trouve pas toujours très drôle : sans vouloir trahir un secret de Polichinelle, ce ne serait pas la « disparition » de Vincent qui t’aurais enlevé un peu de ta légèreté ?

  27. (…) Expliquer le supérieur par l’inférieur (l’esprit par le corps, la vie par la matière inanimée, l’ordre par le désordre…), c’est bien, de Démocrite à Freud, la démarche constante du matéralisme. (…) Toujours est-il que le matérialisme a bien toujours, en tant que théorie, cette tendance à descendre, c’est-à-dire à chercher la vérité, comme disait Démocrite, « au fond de l’abîme », que cet abîme soit celui de la matière et du vide (les atomistes), celui du corps (La Mettrie, Diderot…), celui de l’infrastructure économique (Marx) ou de nos désirs inconscients (Freud)… On ne ne hâtera pas trop pourtant d’y voir un réductionnisme qui abolirait les différences ou les hiérarchies. J’ai souligné ailleurs que cette descente, dans la théorie, avait au contraire pour résultat de pensée une montée, dans le réel ou la pratique. Expliquer l’esprit par le corps, c’est moins nier l’esprit (si ce n’est comme substance autonome) qu’expliquer comment le corps le produit, ou l’invente. Expliquer les idées par la société matérielle, c’est moins nier l’importance de celles-là qu’affirmer la fécondité de celle-ci. La pensée matérialiste, en suivant à rebours la pente du réel, ne fait ainsi, tout au long de sa descente, que penser l’ascension qui la rend possible. « C’est de la terre au ciel que l’on monte ici », écrivaient Marx et Engels dans L’idéologie allemande, et l’image peut être généralisée. L’histoire s’invente de bas en haut : tout part de si bas (la matière) que tout ne peut que s’élever. C’est ce qu’Engels appelait « l’ascension sans fin de l’inférieur au supérieur », et cela ne vaut pas seulement pour l’histoire humaine. Si la vie s’explique par le matière inanimée, c’est que la matière produit la vie, comme une nouveauté qu’elle détermine, certes, mais qu’elle ne possède pas. Car la matière ne vit pas, c’est l’évidence, et la vie pourtant, sans être une substance, n’est pas rien… La matière, en ce sens, est créatrice, et ne cesse d’engendrer du nouveau. Le matérialisme n’est pas un réductionnisme : le supérieur s’explique par l’inférieur, mais ne s’y réduit pas. (…)

    (Une éducation philosophique, PUF, 1989)

  28. Non, non, les propos tenus ne me heurtent pas du tout en général et j’apprécie beaucoup 99% des interventions. Mais il y a le 1% de trop. Je vais essayer de m’expliquer.
    L’an passé j’avais écrit un article sur le sport en tapant un peu (gentiment) sur les sportifs. Il y avait eu une réaction très juste et très saine de Vincent disant que les médias étaient aussi à incriminer. Aussi, lorsque j’ai écrit un autre article il y a quelques mois à propos du dopage en incriminant cette fois-ci non pas les sportifs mais le système qui est autour d’eux (dont les médias), je pensais aller dans le même sens que Vincent un an plus tôt. Or, je me suis fait rentré dedans par le même Vincent alors que je tenais des propos similaires aux siens. Et là je n’ai pas compris.
    Ces propos sur les sportifs sont arrivés à un moment où je traversais une grosse période de doute, j’avais l’impression, comme systématiquement Vincent tenaient des propos contraires aux miens, que je n’écrivais que des articles nuls à chier. J’ai été sur le point d’arrêter définitivement le blog, c’est le seul moment vraiment où j’ai eu envie de le faire. A cette période, j’avais l’estomac noué chaque fois que je me connectais au blog, je me demandais quels propos qui allaient encore diminuer ma confiance en moi j’allais encore y trouver. Alors pendant quelques temps, j’ai arrêté de lire les commentaires. J’ai repris ensuite très vite le dessus et j’ai essayé de m’affranchir des commentaires en ne les lisant qu’avec une certaine distance et une certaine indifférence (car je sais que j’ai trop tendance à prendre les choses à coeur et qu’il me faut travailler ce point là).
    Plus tard, il y a eu mon article sur l’histoire de la tomate et je pensais que sur ce genre de sujet il n’y avait pas matière à polémiquer. Aussi, quand Vincent m’est rentré dedans en disant que j’avais une posture idéologique, j’ai été très surpris. Et puis j’ai creusé la question de la biodiversité de la tomate en faisant des recherches avec google. Et là je me suis rendu compte que les professionnels eux-mêmes étaient tous déboussolés par cette diminution de la biodiversité cultivée, cette perte de gènes, et qu’ils avaient compris qu’ils était allés trop loin. Ainsi donc, Vincent restait la seule personne au monde à affirmer haut et fort que la biodiversité avait augmenté. Et cela m’a fait plutôt rire. J’ai repris du poil de la bête et me suis dit que les lecteurs de ce blog allaient finir par faire forcément la part des choses et ne pas prendre forcément à la lettre les propos tenus par Vincent et que ses propos trop « systématiquement contre » allaient forcément desservir ses prises de positions. Et Brin d’paille a été la première à lui dire ouvertement.
    Les articles ont continué ensuite leur petit bout de chemin jusqu’à ma petite vidéo « swingin Bach 3 ». J’ai énormément aimé les propos tenus dans les premiers commentaires, notamment ceux de Nanou qui s’exprime habituellement très peu sur ce blog (quel dommage !). On sentait dans ces propos beaucoup de sincérité et une vraie expérience de la musique de Bach. Pour une fois que nous avions une musicienne sur ce blog, les commentaires auraient pu partir dans une direction peut-être inhabituelle. Si Humeur badine avait tenu des propos contraires à l’encontre de la musique de Bach, il aurait pu y avoir un débat intéressant. Mais là, il semble qu’Humeur badine n’avait rien de personnel à dire sur le sujet. L’attitude de faire alors appel au verbiage d’autres auteurs diffamants m’a semblé être un procédé pervers. Car il y avait deux choses complétement nouvelles dans les commentaires d’Humeur badine : d’une part le fait de démolir des propos sincères « venus du coeur » et d’autre part le fait d’utiliser un procédé pervers encore jamais utilisé sur ce blog. D’habitude, les citations d’autres auteurs étaient les bienvenues car elles venaient éclairer le débat sous un angle différent et celà m’a toujours beaucoup enrichi. Cette fois-ci, elles étaient vraiment de trop. Mais, même si je me sens, par ricochets, blessé au fond de moi, ce n’est pas pour des raisons personnelles car je crois avoir définitivement pris de la distance par rapport à ce qui est écrit sur ce blog à l’encontre de mes positions. Donc, continuons avec ce « conflit de logiques » dont parle Humeur badine, puisque tel est notre lot depuis la nuit des temps…

    Petite réponse à Isidore : oui, évidemment, qu’il faut déboulonner la statue Bach de son socle et le rendre plus humain. 100% d’accord avec toi.

  29. Glurp !…
    Je n’avais évidemment pas perçu ça comme cela. Et me sens donc tout penaud… tout confus.
    Il me semblait n’avoir jamais « attaqué » des personnes, mais simplement – à l’occasion – des idées. Et surtout sans jamais le moindre mépris.
    J’avais également l’impression de truffer mes interventions de suffisamment de conditionnel, de « il me semble », « à mon sens », etc. relativisant à chaque fois le point de vue que je pouvais de mon côté avancer.
    Je croyais même naïvement que la stimulation intellectuelle et le sourire qui me gagnait à chaque article étaient partagés.
    Et ben… c’est pas un doigt dans l’oeil que j’avais… mais tout un clavier !!!

    Merci pour ta mise au point, Bernard, qui n’a pas dû être facile à formuler.
    Je suis sincèrement désolé – mea maxima culpa – car même si je ne prétends pas être exempt de toute perversité, je n’ai vraiment pas celle qui se plaît à blesser.

    Lorsque, cet été je crois, on avait évoqué de vive voix – rapidement – l’évolution du blog, tu m’avais bien exprimé ton envie d’arrêter, mais je n’en avais pas saisi la raison profonde. Je t’avais à mon tour évoqué mon sentiment de malaise quant à la place que j’y tenais, et avais plutôt perçu de ton côté l’encouragement à continuer. J’en avais même – croyant du coup bien faire – rajouté une couche, appliquant à la lettre le fameux principe de « la maladie qui se prend pour le remède ».

    Je crois que je vais maintenant plutôt chercher à en enlever (des couches). Ça fera sûrement « du bien » à tout le monde (et sans doute à moi en premier).

  30. Hééééééé, Vincent !
    Tu ne vas pas nous faire le coup de Jospin et « en tirer les leçons et te retirer à jamais de la vie blogadupdupique » !!!
    Bernard a la délicatesse de dire que y’a juste 1% de ce que tu dis qui gêne et blesse. Fais juste un peu gaffe, c’est tout !
    (En même temps, si tu retirais un bon 50%, ça laisserait un peu plus de place aux autres et te permettrait tout de même de continuer d’exister… au moins virtuellement)
    ;-)

  31. C’est peut-être même bien moins que 1%. Mais quand ça tombe au moment où l’on traverse des moments de doute, ça fait un peu mal.
    Car je dois l’avouer, il y a des moments difficiles. Un blog c’est quelque chose que l’on veut inscrire dans la durée. Et il est inévitable qu’une entreprise aussi longue soit ponctuée de moments enthousiastes et d’autres moins reluisants. Et dans ces moments, on en arrive à se demander à quoi ça sert vraiment un blog. Depuis un an, il y a régulièrement des crises existentielles de ce genre.

  32. Si le monde devait se diviser en deux, comme le suggère Humeur Badine : ceux qui ont un point de vue « idéaliste/spiritualiste », et ceux qui, au contraire, ont un point de vue « réaliste/matérialiste », je me demande ce que ça donne concernant l’appréciation de la musique et de l’art en général. J’ai l’impression que ça doit être beaucoup plus difficile quand on est « réaliste/matérialiste » car entrer dans une musique ou un tableau suppose qu’on puisse, dans sa tête, s’affranchir de la réalité. ça doit être infiniment plus facile pour un idéaliste/spiritualiste, non ? En voilà un beau sujet de discussion pour Vincent, Isidore, Humeur badine, …

  33. J’aime beaucoup l’image du « blog contrapuntique » (cf. plus haut).

    Quand Bernard lance un thème (et pour le coup, il est tout aussi fécond que Bach), que d’autres voix entrent progressivement enrichir le mouvement, j’ai en effet une sorte de réflexe qui m’incite souvent à en proposer une qui va « dans l’autre sens ». Ma volonté est en quelque sorte de créer justement un « contrepoint » qui n’a pas pour but de faire taire les autres voix, ou de leur signifier qu’elles ont tort et qu’elles devraient toutes me suivre – surtout pas ! – mais simplement de créer une profondeur de champ. J’apprécie plus que tout lorsque, sur un thème, une dizaine de voix sont en mouvement, toujours un peu décalées (dans le temps, le ton…) se répondant directement ou faisant comme si elles s’ignoraient… et créent du coup une harmonie qui les dépasse, que personne ne dirige, et qui suit un mouvement qu’on pourrait croire infini… tout comme une musique de Bach.

    Alors bien sûr, on n’a pas le talent du bonhomme (« pas la chance d’avoir sa pathologie ! », dirait sûrement Humeur badine) et surtout pas de brouillon possible (tout ce qu’on écrit reste désespérément « en ligne »)… donc ça ne fonctionne pas à tous les coups. Des fois il y a des « couacs », qui ne font pas mal qu’aux oreilles. Cela me semble inévitable, et la contrepartie des risques pris.

    Ce n’est évidemment pas grave en soi… sauf quand ça revient souvent, finit par lasser les autres musiciens, voire même décourager le chef d’orchestre… et qu’il y a l’accord général pour dire que ça vient toujours du même braillard (et le soupçon de plus en plus partagé qu’il est pervers et le fait quelque part exprès). S’il ne comprend pas l’implicite, c’est alors bien de lui dire clairement. A lui ensuite, peut-être, de voir s’il se sent capable de tenter un peu plus d’écoute ou simplement de délicatesse (Humeur badine, toi qui semble t’y connaître en la matière, c’est quoi exactement sa « pathologie » ?)… ou s’il préfère se retirer (ne serait-ce que le temps de se soigner).

  34. Si vous me permettez, un petit préambule avant que le sujet lancé par Bernard ne se développe :

    Il n’y a évidemment pas, comme laissait croire Humeur badine,d’un côté les matérialistes/réalistes et de l’autre les idéalistes/spiritualistes. Bernard a raison d’insister sur le terme « point de vue ». Seul le monde des idées peut ainsi être vu comme partagé en deux. Chacun, à tout moment, a en effet les deux façons d’interpréter, de donner du sens aux choses (pour reprendre l’image de Comte-Sponville : soit « de haut en bas », soit « de bas en haut »). Il se trouve que, pour plein de raisons (bonnes ou mauvaises), chacun a tendance à privilégier un point de vue (et s’y identifier). Et la plupart du temps, on alterne – selon les sujets – un camp ou l’autre.
    Si on regarde bien, sincèrement, on est en effet rarement cohérent (c’est un vrai et long travail que d’y parvenir). On prend souvent – en toute bonne foi, et surtout sans s’en rendre compte – le parti « matérialiste » sur tel sujet et le point de vue « spiritualiste » sur un autre.
    Est-ce si grave ?
    N’est-ce pas même justement dans la composition singulière de ces déroutants mélanges que se constituent nos personnalités ?

  35. A mon avis, au premier abord de la question, le positionnement philosophique (matérialisme/idéalisme) ne devrait pas influer directement sur la sensibilité musicale, mais juste sur les mots qu’on plaque ensuite dessus, sur le sens qu’on donne ensuite à cette écoute.

  36. Juste un petit message comme ça, au passage… parce que je viens de lire me donne envie de soutenir ce lieu d’échanges.
    Je n’interviens presque plus sur le blog en ce moment, et je n’ai même pas le temps de tout lire. J’en suis désolée, mais j’y reviendrai, c’est sûr ! Alors s’il te plaît, Bernard, ne l’arrête pas avant que je puisse me sortir la tête du guidon, ça serait con…

  37. Ma sensibilité me donne à priori plus de familiarité avec le « spiritualisme » en ce que les notions de foi, spiritualité, âme et autres termes capables d’hérisser le poil de ceux qui revendiquent plutôt une approche « matérialiste » des choses, me parlent au contraire avec une certaine intimité. Pourtant je suis bien convaincu que ces deux conceptions fonctionnent comme les deux pôles d’une pile et que de leur irrémédiable tension naît la seule véritable fécondité de pensée dont la modernité a encore besoin pour enfanter les concepts essentiels à la naissance du monde qui vient. Pourtant également, il me semble que cette tension décroît en ce moment en ce qu’une conversation moins épidermique semble s’installer peu à peu entre les fervents de chaque conception. J’y vois alors plutôt un recul de la fécondité possible de cette tension, et peut être la fin d’une époque… A moins que se régénèrent ces deux conceptions antagonistes en de nouveaux paysages intellectuels capables de mettre en fureur les uns contre les autres les inconditionnels de chaque partie. Ce sera bon signe…et peut-être la fin de la « pensée unique », triste produit des dernières décennies (je vous conseille la lecture décapante de l’ouvrage de François Cusset: La Décennie, ou le cauchemar des années 80- ed. La Découverte).

  38. A bien regarder, quand la plupart des arts sont accessibles par la vue (sens le plus abstrait, le moins incarné), la musique, entrant par l’oreille dans tout le corps, peut finalement être perçu comme l’art le moins « spirituel ».

  39. (…) Les mots sont arbitraires. (…) En revanche, la musique est un cri arraché aux carrières des émotions partagées par tous les êtres humains. Si les mots étrangers doivent pour la plupart ête traduits pour que nous les comprenions, il n’en est pas moins vrai que nous comprenons d’instinct gémissements, pleurs, cris de joie, roucoulements, soupirs, et le reste de notre caravane de cris et d’appels. Je crois qu’avec le temps, ils ont conduit à deux formes de sons organisés – les mots (sons rationnels pour les objets, les émotions, les idées) et la musique (sons irrationnels pour les sentiments). Comme Cooke le fait remarquer, « les deux éveillent chez l’auditeur une réaction émotionnelle ; la différence réside en ce qu’un mot éveille à la fois une réaction émotionnelle et la compréhension de son sens, tandis qu’une note, n’ayant pas de signification, n’éveille qu’une réaction émotionnelle ». (…)

    (Le livre des sens, Grasset, 1991)

  40. (…) Ceux qui font l’économie de la musique, philosophes ou non, sont bien souvent ceux qui luttent contre leur corps et fustigent, pêle-mêle les désirs et les plaisirs, les passions et les pulsions, les instincts et les émotions. Le corps devient la grande raison de ceux qui, dans tous les sens du terme, entendent la musique. (…) Car la musique est l’art de toucher les corps. Et voilà vraisemblablement l’une des raisons pour lesquelles elle fait peur. Voilà pourquoi on l’évite, poliment, avec déférence, voilà les raisons qui justifient la négligence. (…) La musique propose une activité radicalement corporelle dans une civilisation qui craint les possibilités de la chair. (…)

    (Le contraire d’une chose mentale, in Les vertus de la foudre, journal hédoniste 2, Grasset, 1998)

  41. L’art de la polémique remonte à la plus haute Antiquité. « Polemos » [le conflit] est le père de toutes choses et le roi de toutes choses », affirmait Héraclite. Toute l’histoire de la philosophie grecque peut se résumer à une succession de disputes. Oscillant entre débats théoriques et attaques personnelles, entre réfutation et invective, cette pratique de la controverse, longuement rodée dans les dialogues platoniciens, n’a cessé d’échauffer les philosophes. Au milieu du XIXe siècle, Schopenhauer en reformulait les règles et les ruses dans un court traité, joliment intitulé L’Art d’avoir toujours raison (…) La polémique, quand elle relève de la manie, est vaine, voire dégradante. Mais elle sait être salutaire quand elle surgit avec à-propos pour aviver le débat. Elle s’apparente alors à une joute où il s’agit moins de terrasser l’adversaire que d’enrichir une réflexion commune. (…) « La controverse est souvent bénéfique à l’un comme à l’autre, du fait qu’ils frottent leurs têtes entre elles, et sert à chacun d’eux à rectifier ses propres pensées, et aussi à concevoir des vues nouvelles », conclut danbs son traité Schopenhauer qui, décidément, avit l’art d’avoir toujours raison.

    (Des bienfaits de la controverse, avant-propos du Magazine littéraire n°468 d’octobre 2007 consacré aux « grandes querelles entre philosophes »)

  42. Quand j’étais enfant, pour moi, un philosophe, c’était un vieil homme à longs cheveux qui aboyait à la télévision. (…) Je n’ai cessé d’être frappé par la violence des praticiens de cette spécialité les uns evers les autres. Et je ne parle pas de ce qu’on ose appeler philosophie de nos jours, et qui n’est que de la sociologie appliquée au journalisme (on appelle ça « débats de société »), mais de la vraie, la pure, la dure, la boxe. On dirait que les philosophes ne peuvent exister qu’à condition d’avoir détruit ce qui a philosophé avant eux. (…)
    Le philosophe est prompt à deviner le charlatan chez le philosophe. Récemment encore, Gadamer commençait ses réflexions sur l’art en qualifiant Hegel de « très souabe » (L’héritage de l’Europe). C’est drôle, mais où est le détachement de la pensée ? Eh bien, justement, la pensée n’est pas détachée. La pensée n’est pas « pure ». Les philosophes ne serviraient-ils qu’à montrer cela, ils seraient indispensables. Sans compter leur abstraction de la vie, leur fréquent esprit de système tout à l’opposé de la méthode sensible des romanciers : ceux-ci dansent avec elle, saisissant ses contradictions (la vie même) pour faire de jolis pas ; ceux-là fabriquent souvent des machines qui, en tant que telles, entrent en collision avec les autres. Il est d’ailleurs curieux que, dans le délire actuel des hommes contre la liberté, aucune association de parents d’élèves n’ait encore demandé l’interdiction de l’enseignement de la philosophie. (…)
    Cela la sauve, peut-être. Trop d’attention, et c’est Domitien. Cet empereur (frère de Titus, vous savez, les fameuses délices du genre humain), n’aimait pas on plus les mots d’esprit. Il a condamné à mort un certain AElius Lamia qui en avait fait sur son compte. En chassant les philosophes, il n’a pas voulu apaiser les querelles, mais arrêter le bourdonnement du raisonnement. La tyrannie commence par l’interdiction des casse-pieds. (…)

    (Philosophes casse-pieds, épilogue du dossier « Les querelles philosopiques » du Magazine littéraire n°468, octobre 2007)

  43. En relisant l’ensemble des commentaires – aux cas où le malentendu persiste – je ressens le besoin de préciser qu’en aucun cas je n’ai eu le moindre soupçon d’intention de « démolir les propos « venus de coeur » de Nanou ». Je partage tout à fait le point de vue de Bernard sur l’intouchabilité des propos intimes.

    A vrai dire, je ne perçois même pas, après coup, ce qui peut donner cette impression… Le détour par la psychanalyse ? Vraiment ? (J’ai le vague souvenir maintenant qu’une allusion très ancienne au lien qu’on pouvait tenter d’établir entre son attachement à « la nature » et à « sa mère » avait également suscité de vives réactions qui m’avaient quelque peu dérouté).

    Quoiqu’il en soit, pour ne pas en faire un plat, Nanou, si comme Bernard tu as trouvé mon intervention (et la piste que j’ai ensuite tenté de défricher) insultante ou humiliante, je te prie de bien vouloir me pardonner… ou du moins de ne pas trop m’en vouloir.

  44.  » (…) En faisant Play Bach, Loussier l’a bien prouvé : Bach, c’est du jazz. (…) Vous savez le jazz, c’est une fanfare. C’est une espèce de marche militaire doublée. On peut faire la Marseillaise en jazz très facilement. D’ailleurs, Django Reinhardt et Stéphane Grapelli, à la Libération, ne s’en sont pas privés. N’importe quelle musique peut être de la musique de jazz. Le jazz, c’est une question de rythme et de syncope. Si vous avez l’enregistrement, si vous pouvez l’écouter, il est remarquable l’enregistrement de Reinhardt et Quintet à la Libération. Ils ont fait, à Londres, un enregistrement de la Marseillaise qui a fait hurler, naturellement. Les gens gueulent tout le temps, sauf pour les bonnes raisons d’ailleurs… Encore que beaucoup de musiciens classiques soient très compétents en cette matière. (…) Il suffit de changer le rythme de quelque chose pour en faire du jazz. Ce ne sont que des notes. Le jazz et les notes, on peut les mettre sur le rythme qu’on veut. Dernièrement, Maurice André nous a joué J’ai du bon tabac dans ma tabatière avec sa trompette d’une façon tout à fait remarquable. Les notes, on en fait ce qu’on veut. On donne le rythme qu’on veut. Vous prenez n’importe quelle de mes chansons, vous pouvez en faire une valse, vous pouvez en faire un fox, vous pouvez en faire un tango, vous pouvez en faire ce que vous voulez (…) »

    (Entetien avec Philippe Nemo, France-Culture, 1979)

  45. « (…) Comme on l’a dit quelque part, si l’on peut considérer Bach comme l’Ancien Testament de la musique, Beethoven comme le Nouveau, il reste que Stravinski est une sorte de bible moderne à lui tout seul. Une bible de l’insolite, du floklore repensé, voire de l’intouchable. (…) »

    (La musique souvent me prend… comme l’amour, La mémoire et la mer, 1999)

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