Quand on prononce le nom d’Armstrong, 95 % des gens pensent bien sûr à Lance, le cycliste, celui que certains admirent et élèvent au rang d’un dieu et que d’autres accusent de se shooter à des substances illicites non détectables. Il y aura 4% des gens qui penseront plutôt à Neil, ce premier homme à avoir marché sur la lune en 1969. Et puis, il ne restera peut-être que 1% des gens à penser à Louis, le musicien, chanteur et trompettiste de jazz, qui fut l’un des plus grand musiciens du 20ème siècle. Je fais partie de ce 1%, non pas que j’ignore les exploits de Lance et de Neil, mais la musique d’Armstrong revient tellement souvent sur ma platine !
Il y a bien sûr le son et les notes qu’Armstrong tire de sa trompette. Les biographes disent qu’Armstrong a appris tout seul à jouer de cet instrument. Il était alors adolescent et avait été placé en maison de redressement pour coup de feu prohibé en pleine rue. C’est donc au sein de cet établissement peu fréquentable qu’il découvre le cornet (c’est un peu l’ancêtre de la trompette) et apprend seul à s’en servir, ce qui explique le son particulier qu’il en tire, n’ayant pas appris à plaquer correctement les lèvres sur l’instrument.
Cette manière de composer et de jouer de la trompette influencera considérablement le jazz, Armstrong pouvant être considéré comme l’un des pères de cette musique et en tous ces cas, celui qui sortit la musique des ghettos de la Nouvelle Orléans pour en faire cette musique universelle que le jazz est ensuite devenu.
Il faudra attendre trente ans pour qu’un autre musicien donne à la trompette de nouvelles lettres de noblesse : Miles Davis qui influencera tellement le jazz que l’on peut considérer qu’il y a un « avant Miles Davis » et un « après Miles Davis ». Encore aujourd’hui, cinquante ans après l’arrivée de Miles sur la scène musicale, tous les trompettistes ou presque se réclament de lui … même si évidemment le son et le phrasé de Miles Davis se reconnaissent dès la première note et ne peuvent être imités. Mais ceci est une autre histoire.
Revenons donc à Louis Armstrong. Il y a surtout la voix de Louis. Une voix incroyable, reconnaissable entre mille, chaleureuse et expressive comme jamais le jazz n’en a connu. Evidemment, les puristes préféreront la période des années 30 où Louis était accompagné par les Hot Five (groupe qu’il fonda en 1925), avant qu’il n’aborde, dans les années 50 et 60 (il est mort en 71) une musique plus commerciale, flirtant un peu avec la variété (Mack the Knife, Hello Dolly, La vie en rose …). Mais même dans sa dernière période, certes moins riche sur le plan musical, la voix d’Armstrong suffit à hisser sa production de l’époque à un très haut niveau, celle des plus grands. J’aime aussi ces dernières années de sa vie, même si, en général, je n’aime pas trop ce qui s’approche de la variété. Dans les années 60, la musique d’Armstrong était encore si appréciée que la chanson Hello Dolly a même réussi à détrôner, en pleine effervescence rock en 1964, can’t buy me love des Beatles, au hit parade. Un exploit quant on sait que les Beatles y occupaient la première place, quasiment en permanence ! Le succès posthume qu’a connu a wonderful world dans les dernières années est une illustration de cette période « variétés », assez éloignée de l’esprit du jazz, mais ô combien émouvante, grâce à l’émotion qui passe dans la voix.
Je ne sais plus qui a dit que même si Armstrong chantait le bottin (l’annuaire), ça serait génial. Je le crois volontiers.
Mais revenons à la case départ : quand on écoute certains morceaux déjantés comme la version de basin street blues de 1933, dans lesquelles Armstrong donne libre cours à sa voix, on se demande si lui aussi, n’était pas, comme son homonyme Lance 70 ans plus tard, lui aussi shooté à l’EPO. Vous ne croyez pas ?
Je ne sais pas à quoi il était shooté, mais il faut à tout prix diffuser la molécule sur la planète !
Car « Satchmo » (Quelqu’un sait-il pourquoi on le surnommait ainsi ?) c’est une voix, tu as raison, une voix inoubliable, une trompette aussi, un swing évidemment… mais surtout, derrière tout ça, du moins il me semble, une incroyable « JOIE DE VIVRE ». Pas du « bonheur », pas du « plaisir » mais cette véritable, profonde et indécrottable allégresse, qui ne dépend pas des conditions extérieures. Cette force majeure et déraisonnable qui surmonte tous les obstacles et est à mon sens le plus grand « mystère » ici-bas. Lui en est, je crois, l’une des figures les plus lumineuses.
« Faire rire, chanter, danser le malheur », voilà ce qu’il nous a montré, voilà ce qu’il nous apprend à chaque fois qu’on l’écoute, à chaque fois qu’on voit sa bouille hilare (les lèvres souvent en sang d’avoir trop joué !).
Tu as raison de lui rendre ce bel hommage, Bernard. Je pense qu’il fait partie, au même titre que le pain, la chaleur et l’abri, des biens communs de la vie auquel tout un chacun devrait avoir accès. Rendons-le obligatoire !!!
PS : Heu… l’histoire de l’annuaire, je l’avais surtout entendue pour Piaf… Nougaro en a carrément fait une chanson (« Comme une Piaf au masculin, j’voudrais pouvoir chanter l’bottin, et vous r’muez les intestins… Comme Piaf, ce s’rait là le vrai but atteint, et mon seul butin »). A propos de Nougaro, c’est devenu un « classique » certes, mais son hommage à Armstrong, quel bijou !!!!
C’est justice de rendre ce bel hommage à Louis Armstrong dont j’ai encore le 30cm « The good book »…
(Let my people go !!!) qui craque de toutes parts tellement il a été écouté avec des mauvais saphirs.
…. Et la trompette inimitable de Miles Davis, dans des morceaux sublimes, et dans le Concerto d’Aranjuez je crois. Dites-moi si je me trompe !
Bernard, comment t’es venue l’idée de ce clin d’oeil à Louis ?
Vas-tu te mettre à la trompette, ou te casser la voix pour chanter comme lui ?
Chiche !
PS : sais-tu que les chanteurs de folklore coréens ont une recette pour se changer la voix : ils chantent au pied d’une grosse cascade et essaient de couvrir le bruit de l’eau ; lorsqu’ils y parviennent vraiment, leur voix a pris un timbre assez proche de la voix d’Armstrong.
Dis, entre Armstrong et Miles Davis, il y a quand même un autre grand de la trompette, non ? Dizzy Gillepsie a d’ailleurs bien inspiré Davis, il me semble !
Depuis que j’ai lu ton article, Bernard, une question me taraude : comment se fait-il qu’on ne puisse s’empêcher de faire venir Miles Davis chaque fois qu’on pense à Louis Armstrong ? Quel lien les unit secrètement (et qui n’est pas uniquement leur instrument, car, comme le signale Mag, il passe souvent au-dessus d’autres trompettistes comme Gillepsie…) ?
Voilà, au réveil, ma petite hypothèse (je ne sais pas ce qu’elle vaut, toujours est-il qu’elle m’a permis de passer/penser à autre chose) :
Ils seraient en notre esprit binaire comme les figures de ces deux pôles indissociables que sont le plus et le moins, le blanc et le noir, le yin et le yang… (peu importe la formulation tant qu’elle n’est pas « morale », tant qu’elle ne favorise pas un pôle en dénigrant l’autre).
Armstrong me semble en effet autant extraverti, solaire, ouvert, souriant, foisonnant (il pointe sa trompette vers le haut, ou vers nous, lorsqu’il joue)… que Davis est introverti, lunaire, refermé, souffrant, parcimonieux (et pointe sa trompette vers le bas ou vers… lui).
D’un côté la joie, la santé, de l’autre la beauté qui est toujours un peu maladive.
Quel bonheur de pouvoir passer dans l’espace qui les sépare et qu’ils nous ouvrent… en tâchant de ne jamais oublier l’autre lorsqu’on s’approche de l’un !
Wah, que de commentaires en quelques heures seulement. Et de qualité, comme d’habitude ! Très heureux de voir qu’un très ancien musicien comme Armstrong puisse encore éveiller en nous des commentaires aussi chaleureux (je dis « très ancien » car le bonhomme est né au 19ème siècle, en 1898 … pas très exactement … car 1898 n’est que sa date de naissance présumée : on dit qu’Armstrong aurait falsifié sa date de naissance et se serait rajeuni de deux ans pour ne pas avoir à venir combattre en Europe).
Quelques réponses en vrac, à Mag, Vincent et Roland :
– le surnom de Stachmo était déjà employé à propos d’Armstrong en 1923, le vocable vient de « satchelmouth » qui veut dire « bouche en forme de besace ».
– La référence au Bottin vaut surtout pour Piaf à cause de la chanson de Nougaro mais en faisant une petite recherche sur internet on peut lire sur un site musical que Ray Charles fait partie de ces rares vocalistes, comme Armstrong, capables de chanter le bottin. Il y a donc plusieurs références possibles.
– Eh oui, The Good Book, oeuvre extraordinaire et pas du tout dans le registre habituel d’Armstrong ! On admirera, comme tu le dis Roland, Let my people go, mais aussi Shadrack, moins connu mais avec un swing extraordinaire.
– c’est bien Miles Davis qui enregistra une version inoubliable du concerto d’Aranjuez de Rodrigo, dans un disque intitulé Sketches of Spain qui date de 1963 mais que l’on retrouve aussi sur certaines compilations.
– Oui, Mag, il y a évidemment Dizzy Gillespie dont l’apport est très important : il a ramené le jazz à ses racines plus africaines. Son influence est moins forte que Miles Davis mais c’est sûrement un aussi grand musicien. Je vais donc être obligé de faire un article sur lui … au moins pour me faire pardonner à tes yeux ! Mais c’est vrai que Miles Davis a été un précurseur et qu’il avait toujours dix ans d’avance sur la musique de son époque. Et puis il y a ce son … inimitable !
– comment m’est venue l’idée de ce clin d’oeil à Louis ? Oh, c’est simple. Jeudi soir, j’ai écouté deux disques d’Armstrong et les musiques me sont ensuite restées dans la tête pendant au moins deux jours. Le lendemain, j’étais dans mon jardin en train de faire du désherbage (ce que m’a conduit à faire un premier article sur les bonnes et les mauvaises herbes) avec la musique d’Armstrong dans la tête. Je me suis alors dit tiens, je pourrais faire un article sur lui un de ces jours ! Le dimanche matin, j’étais à nouveau dans le jardin quand a retentit le premier coup de feu du ball-trap, d’où l’article que j’ai fait dimanche soir sur ce sujet. Voilà comment naissent parfois des articles ou des idées d’articles.
– Vincent : extraordinaire ta comparaison entre Miles et Louis !
Merci pour vos commentaires. Allez, je file écouter The Good Book
Un oubli dans mon article : Louis Armstrong est aussi celui qui s’est éloigné de l’improvisation collective des musiciens de la Nouvelle Orléans pour devenir le premier soliste de l’histoire du jazz.
C’était il y a peu (le 6 juillet) le 40ème anniversaire de la mort du grand Louis.
Le 4 août prochain, ce sera le 110ème anniversaire de sa naissance.
Une belle reprise.
J’avais entendu Stancey Kent il y a quelques années qui interprétait des chansons en français, je me souviens de « le mal de vivre » de Barbara et de « Que reste-t-il de nos amours » de Trenet.
Vraiment une belle voix. :wub: