The Times They Are A-Changin’

DISCOGRAPHIE DE BOB DYLAN (3)

Nous sommes donc en mai 1963 et Dylan vient donc de frapper très fort avec son deuxième album The Freewheelin’ Bob Dylan.

C’est à l’époque de l’enregistrement de ce disque devenu mythique qu’il fait la connaissance de Joan Baez qui, en quelques années, est devenue l’étoile montante de la chanson folk. Dylan monte régulièrement sur scène pendant les concerts de Joan Baez. C’est pendant cet été 63 que leur relation va culminer. Les rumeurs courent sur Dylan et Joan Baez et les relations entre Dylan et Suze, sa petite amie, s’effilochent et se termineront d’ailleurs par une séparation.

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Deux concerts donnés pendant l’été en compagnie de Joan Baez marquent la consécration de Dylan dans le monde du folk. Le premier a lieu en juillet au festival de Newport. Dylan y est partout, il est sur toutes les scènes et son prestige grandit d’heure en heure auprès de la communauté folk. Un mois plus tard, c’est la célèbre marche sur Washington, qui fut la plus importante manifestation de lutte pour les droits civiques et au cours de laquelle Martin Luther King prononça son célèbre discours I had a dream … Dylan est à ses côtés et c’est devant un public énorme qu’il se produit en compagnie de Joan Baez, Mahalia Jackson, Peter, Paul & Mary.

Dans ce contexte, la firme Columbia qui voit la popularité de Dylan croître, lui propose de retourner en studio. L’album est enregistré à l’automne 2003 et sortira quelques mois plus tard en janvier.

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Cet album s’intitule The Times They Are A-Changin’ (on peut écouter, en cliquant ici, des extraits des chansons de ce disque). Le disque est dans la même veine que l’album précédent, « elles remuent profondément le couteau dans les plaies de l’Amérique » (R. Santelli). La chanson qui donne le titre à l’album devient instantanément l’hymne de toute la jeunesse américaine, le journaliste Andy Gill y voit « le chant de guerre de la jeunesse nouvelle, brûlant de métaphores sur la révolution en marche ».

Les chansons du disque sont plutôt noires, elles parlent de drame familial sur fond de misère (The ballad of Hollis Brown), de l’assassinat d’une serveuse noire par un blanc (The lonesome death of Hattie Carroll), de la mort d’un militant noir pour les droits civiques (Only a pawn in their game), tourne en dérision les partisans de la guerre (With God on their side) … Cinq chansons de ce disque furent popularisées en France par Hugues Aufray (Les temps changents, La ballade de Hollis Brown, La mort solitaire de Hattie Caroll, Dieu est à nos côtés, Le jour où le bateau viendra).

Malgré une chanson assez optimiste (When the ship comes in) et deux chansons d’amour, la tonalité d’ensemble du disque est plutôt très sombre. Un journaliste écrira à propos de ce disque : « Dylan ne vous distraira pas. Ce n’est pas son propos. Mais il vous endurcira l’âme ».

Ce disque qui raconte avant tout des histoires s’appuyant sur des faits sociaux renforce le malentendu entre Dylan et son public. Car la vieille gauche américaine puis toute la jeunesse du pays veulent alors faire de lui un nouveau prophète, un messie des temps modernes, d’autant plus que certains vers de Dylan ont des allures quasi-bibliques (« Car les temps sont proches… », « Car le perdant d’aujourd’hui sera gagnant plus tard », « O le temps viendra / Où les vents d’arrêteront / Où la brise cessera de respirer »).

Dylan n’est qu’un faiseur de chansons et ne veut évidemment pas endosser le rôle qu’on veut lui donner. Beaucoup plus tard, en 2004, il s’exprimera sur cette époque dans son livre Chroniques : « Les ténors de la presse continuaient à faire de moi l’interprète, le porte-parole, voire la conscience d’une génération. Elle est bien bonne. Je n’avais fait que chanter des chansons nettes et sans détour, exprimant avec force des réalités nouvelles. Cette génération, je partageais fort peu de choses avec elle et je la connaissais encore moins. Mon destin et la vie me réservaient sans doute encore des surprises, mais incarner une civilisation, non. La vraie question était d’être fidèle à moi-même. J’étais plus un conducteur de bestiaux qu’un petit joueur de flûte. »

Dylan cherche vite à quitter ce rôle de porte-parole qu’on veut absolument lui faire porter. Mais c’est probablement trop tard, le mythe est là, bien installé au bout de deux disques seulement.

La dernière chanson de l’album, « Restless Farewell », est un tournant, une chanson d’adieux. Dylan y laisse entendre qu’il est sur le départ. Mais pour où ? La suite de cette saga Dylan dans un mois.

5 réflexions au sujet de “The Times They Are A-Changin’”

  1. J’apprécie beaucoup cette « orgueilleuse modestie » de Dylan qui se considère interprète non pas d’une époque, d’une génération ou d’une civilisation en train de se construire mais simplement… des chansons qu’il écrit, mais alors, s’il partageait si « peu de choses avec cette génération et la connaissait encore moins », que faisait-il donc dans cette fameuse marche de Washington, et en première ligne en plus ? Simple hasard ? Opportunisme ?
    Plus largement… qu’est-ce qui le motive au fond, le garçon, si ce n’est pas d’être une star, un prophète, un leader : la liberté ? l’argent ? le cul (pour l’occasion, se taper Joan Baez) ? la notoriété ? Rien de tout cela ?
    Autre façon de poser la question : quelle revanche a-t-il à prendre sur la vie pour déployer si tôt un tel talent (une telle énergie) dans une voie unique ? Bref… c’est quoi son « problème » qui fait qu’il n’est pas tout à fait « comme tout le monde » ?

  2. On a déjà causé de la photo de la pochette dans les commentaires de l’album précédent, celle-là est intrigante aussi : a-t-elle une « histoire » ? est-ce déjà le même photographe ? Dylan a-t-il participé à l’emballage de ses albums ou a-t-il toujours laissé faire la maison de disque ? Pourquoi cette moue un peu hautaine ? Quelle part a-t-elle donc prise dans la construction de l’image du chanteur ?

  3. Bien malin celui qui percera le « mystère Dylan », plus on en sait sur lui, plus le personnage nous échappe. Personnellement, c’est un des traits de sa personnalité qui me fascine. Sans doute plus poète que prophète. Si seulement il avait été prophète et que les temps aient vraiment changé… mais on peu écouter chacune des chansons de cet album comme si elle avait été écrite aujourd’hui.
    Les deux morceaux rapportant des « faits divers » – l’expression est odieuse parlant d’un père tuant toute sa famille (Ballad of Hollis Brown) et d’un crime raciste gratuit (The lonesome death of Hattie Carroll) – me touchent particulièrement. C’est assez étonnant que dans le second, Dylan cite nommément le meurtrier (une seule lettre manquant à son nom réel).
    J’ai écouté l’album plusieurs fois – merci Bernard, sans cette série d’articles, je ne sais pas si j’y aurais mis tant d’attention – et à chaque écoute, l’intro à la guitare de « Ballad of Hollis Brown » me faisait penser à un morceau de Gainsbourg, et je viens de retrouver qu’il s’agit de « Chanson du forçat ».
    Tu as raison Vincent, cette pochette-là aussi est surprenante. Je trouve incroyable que seules deux années séparent ce portrait de celui du premier album « Bob Dylan ». Dylan paraît avoir dix ans de plus … et ça lui va plutôt bien. Je le trouve magnifique… et énigmatique

  4. Je viens d’emprunter l’album à la médiathèque… (Plus il y aura de fidèles à ce blog et plus l’emprunt des CD va devenir problématique, à quand un service d’orde chaque mois devant la lettre D de sbacs ?)

    Toujours la même impression de manquer « le principal » en ne comprenant rien aux textes car ce sont tout de même eux qui singularisent les chansons (qui sinon « de loin » se ressemblent un peu toutes, nan ?). Donc merci encore à Bernard et Jean-Louis pour leurs « béquilles ». Sans eux, en tout cas, j’aurais bien du mal d’aller plus loin dans la découverte.

    Une hypothèse m’est passée par la tête qui pourrait expliquer en partie le succès de Dylan. Je vous la livre telle quelle (en espérant que vous me ferez « avancer » en la critiquant) : une voix nasillarde, de « pauvres » instruments, pas d’arrangements musicaux époustouflants, des mélodies toujours un peu pareilles, une façon de chanter proche de la voix parlée… autant de caractéristiques qui finalement… le rapprochent de nous.
    Quand on écoute Dylan (surtout quand on ne comprend pas les textes), on se dit que ça ne doit pas être bien difficile d’en faire autant : deux accords en boucle et de longues phrases mi-parlées mi-chantées avec de temps en temps une syllabe prolongée et « poussée dans le nez » ! Pour les fins de couplets, pas de problèmes, quelques soient les chansons, on fait pareil (par une sorte de « gimmick » dans le genre de celui par lequel les curés finissent leurs sermons… ou les journalistes télé de France3 leurs reportages).
    Il suffit en fait de prendre n’importe quel sujet qui se présente (d’où son utilisation de l’actualité, qui au lieu d’être une sorte de militantisme n’est peut-être qu’une facilité) et de se laisser aller. De laisser agir cette force mystérieuse en nous qui est « l’envie de chanter ».
    Bien sûr on y arrive pas, mais en nous faisant croire que c’est facile, à notre portée, Dylan est forcément quelque part l’icône des temps « démocratiques » et « individualistes ».

    Dernière chose : son goût pour les thèmes « lourds », plutôt qu’une volonté « politique », n’est-ce pas finalement tout le contraire ? Comment dire… Une façon de tout « transformer en chanson » comme d’autres « tournent tout en dérision ». Une façon de simplement jubiler de cet mystérieux pouvoir de chanter qui rend léger (« tourne en beauté ») même les sujets les plus plombés.
    Chanter la joie de vivre (façon Trenet), rien de plus facile !
    Chanter le malheur, par contre, là est le défi ! Là est aussi le plaisir lorsqu’on y parvient ! Là s’évalue la vraie force du chant !

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