Nous sommes une douzaine de personnes à nous retrouver tous les mois pour jouer et chanter Brassens : quelques jeunes mais aussi des vieux quinquas comme moi. Bah, on se dit pour se rassurer que le temps ne fait rien à l’affaire !
Le principe de nos soirées est assez simple : aborder chaque mois l’un des disques du maître. Même si les chansons de Brassens font partie de mon quotidien, j’aime bien cette idée de revisiter toute son oeuvre de manière systématique, sans mettre de côté une seule des chansons. Je crois que chacune d’entre elles fait partie d’un tout et le vrai personnage de Brassens ne prend toute sa cohérence qu’à la lecture de l’ensemble.
En marge de ces soirées entre copains, j’ai pensé qu’il pouvait être sympa aussi de parler sur ce blog de chacun des disques concernés. Oh je sais, les textes et les paroles des chansons de Brassens se suffisent à eux-mêmes et il n’y a rien, absoument rien, à rajouter. Mais ça peut permettre, en en parlant aussi avec d’autres, en dehors du cadre fermé de ces soirées, de donner un peu plus de corps et d’ouverture à ce projet. Peut-être que la tentative est vouée à l’échec, mais bon, essayons toujours … Tous les commentaires sont les bienvenus, qu’il concernent directement les textes eux-mêmes ou des anecdotes et des précisions sur la vie de Brassens à l’époque du disque traité.
Notre groupe amateur ayant débuté de manière très originale par … le disque n°1 (notre référence est « l’intégrale classique » dont le premier vinyle est paru en 1965 et qui comprend 12 disques), commençons nous-aussi par ce disque qui comprend 12 titres. Dans l’ordre : La mauvaise réputation – Le fossoyeur – Le gorille – Le petit cheval – Ballade des dames du temps jadis – Hécatombe – La chasse aux papillons – Le parapluie – La marine – Corne d’aurochs – Il suffit de passer le pont – Comme hier.
Ma chanson préférée du disque est incontestablement Le fossoyeur. J’aime cette chanson qui parle de la mort, « le » thème de prédilection de Brassens. Lorsque j’ai commencé ce blog en début 2006, j’avais écrit un article complet sur cette chanson avec un titre un peu osé « Brassens, bluesman ? ». Les nouveaux lecteurs de ce blog le retrouveront dans la rubrique « coups de coeur » ci-contre, l’article date du 5 février.
Ce qui me frappe dans le fossoyeur mais aussi dans plusieurs autres chansons de ce disque, c’est la facilité avec laquelle Brassens nous raconte une histoire, dresse un tableau, en très peu de mots. Quatre ou cinq couplets seulement et tout est dit. Cette concision est la marque de fabrique des débuts de Brassens. On la retrouvera encore sur les disques suivants, puis de plus en plus rarement. Dans l’eau de la claire fontaine (sur le 7ème disque) sera l’ultime chanson courte et cloturera définitivement cette époque. Viendra ensuite le temps des chansons-fleuves dont nous reparlerons bien plus tard. Plusieurs chansons de ce disque seront interdites à leur sortie. En se penchant sur les paroles du gorille, on comprend un peu pourquoi. Mais en écoutant la très touchante scène champêtre qu’est la chasse aux papillons, on reste dubitatif sur les raisons de son interdiction. Les années 50 et 60 étaient-elles répressives à ce point ? On a du mal à se l’imaginer aujourd’hui.
C’est vrai que les écrits de Brassens sont lourds de sens. C’est la première fois qu’apparaît sur la scène française des textes avec un tel poids des mots. La chanson le gorille est l’un des meilleurs exemples dans l’oeuvre de Brassens de cette force du verbe. Il n’y aura probablement plus jamais, dans une seule chanson française, une chute aussi puissante que ces quatre vers : Car le juge au moment suprême, Criait maman pleurait beaucoup, Comme l’homme auquel le jour même Il avait fait trancher le cou. Et c’était écrit dès 1946 ! Cette chanson est musicalement plutôt pauvre (alternance sur deux accords seulement) mais je crois qu’une musique plus aboutie aurait enlevé de la force aux mots. Pour que les paroles s’incrustent dans la tête de l’auditeur, il fallait cette sobriété, ce rythme qui ressemble plus à une marche militaire qu’à une chanson, et cette manière hachée de scander les mots. Pur génie de Brassens ?
J’ai un faible pour la chanson la Marine, écrite par Paul Fort. Je suis un inconditionnel des valses écrites par Brassens. Il en écrira malheureusement assez peu dans sa carrière. Dans notre petit groupe de musiciens amateurs, la marine est devenue notre chanson de ralliement, celle que l’on chante et joue à chaque fois, parfois plusieurs fois de suite et ce n’est pas un hasard. Car cette chanson s’impose par la simplicité et la force de sa mélodie.
Pas mal la surprise !
Pour la censure de l’époque, je comprends ton étonnement face à « La chasse aux papillons », mais ce premier album comprend plus d’une chanson subversive.
J’ai lu que la chanson « Hécatombe » est la seule dans laquelle Brassens prononce le mot « Anarchie »… et dans quel couplet :
« Frénétiqu’ l’un’ d’elles attache
Le vieux maréchal des logis
Et lui fait crier: « Mort aux vaches,
Mort aux lois, vive l’anarchie! »
Une autre fourre avec rudesse
Le crâne d’un de ses lourdauds
Entre ses gigantesques fesses
Qu’elle serre comme un étau »
Brassens y parle des pandores (gendarmes) qu’il adore sous la forme de macchabées.
Quant à la chute, elle est aussi drôle que culottée (si j’ose dire) :
« Ces furies à peine si j’ose
Le dire tellement c’est bas
Leur auraient mêm’ coupé les choses
Par bonheur ils n’en avait pas »
Là, on comprend mieux qu’en 1953 , au moment de la sorti du 25 cm qui sera repris dans le premier album de l’intégrale classique en 1965 , ça a du en choquer plus d’un.
Quant à « Le gorille », il paraîtrait que Brassens en aurait retiré ce dernier couplet :
« Nous terminerons cette histoire
Par un conseil aux chats-fourrés
Redoutant l’attaque notoire
Qu’un d’eux subit dans des fourrés :
Quand un singe fauteur d’opprob’e
Hante les rues de leur quartier
Ils n’ont qu’à retirer la robe
Ou mieux à changer de métier. »
Quelqu’un sait-il si c’est exact ?
Oui, c’est exact, car chaque fois que notre groupe chante « le gorille », Vincent rajoute ce dernier couplet bizarre que je ne connaissais pas. A vrai dire, je n’aime pas du tout ce couplet rajouté. Comment, après un telle chute (« comme l’homme auquel le jour même il avait fait trancher le cou ») peut-t’on ajouter autre chose ? Je crois que Brassens aurait complétement cassé l’effet de ce couplet en rajoutant ces autres vers très moyens. Je suis donc très heureux que Brassens, d’une exigence extrême par rapport à ses textes, l’ait finalement retiré.
Oui, c’est vrai, comme le dit Anne, que dans Hécatombe, la chute est également du même accabit mais il y a quelque chose de plus dans le Gorille. Je m’explique : même si le mot « anarchie », comme le dit Anne, est prononcé dans Hécatombe, je vois cette chanson plutôt comme une immense farce, et uniquement comme une farce : c’est rigolo tous ces flics qui tombent sous les coups de mammelles des femelles en furie. Alors que dans le Gorille, il y a cette phrase qui résonne à chaque refrain comme une sourde menace : « gare au gorille ». Il y a, à mon avis, beaucoup plus de révolte dans ce gorille que dans les gaillardes du marché de Brives. Ce qui explique peut-être aussi le plus grand succès du Gorille auprès du public.
On notera que trois textes du disque sont des poèmes d’autres auteurs et non des textes de Georges Brassens.
Non, pas trois mais quatre. Il y a d’abord le texte de François Villon (« ballade des dames du temps jadis ») + les trois textes de Paul Fort (Le petit cheval, La marine et Comme hier). Brassens à toujours beaucoup lu les poètes, comme on peut s’en rendre compte dans la lecture de ses correspondances avec Toussenot. Toussenot était un philosophe avec qui Brasens a correspondu pendant toute la période 1946-1950 et les éditions Textuel ont publié il y a 5 ans un recueil des lettres de Brassens à Toussenot. Leur lecture est très intéressante car une grande partie des discussions porte sur la poésie et la littérature. On y sent Brassens amoureux du langage et des mots. Ce n’est donc pas par hasard si le Brassens devenu chanteur s’est empressé de mettre en musique les poètes.
Ces lettres adressées à Toussenot sont intéressantes à d’autres titres car il y a une autre personne qui a été le témoin de cette complicité entre Brassens et Toussenot, c’est Emile Miramont qui partageait aussi la maison de « la Jeanne », impasse Florimont. Emile Miramont, vous le connaissez par son surnom Corne d’Aurochs, celui de la chanson. J’avais lu un jour que Corne d’Aurochs avait fondé avec Brassens et leurs amis, pendant les années de « vache maigre » une bande appelée « le parti préhistorique » (qui préfiguraient la célèbre bande des copains à Brassens ?) mais qu’il avait un jour plaqué cette bande pour travailler dans le commerce et se ranger dans une vie plus confortable. Brassens, délaissé, aurait peut-être écrit plus tard la chanson « Corne d’aurochs » pour se venger à postériori.
Ce soir, en relisant quelques passages d’une lettre adressée par Brassens à Toussenot en août 49, je tombe sur ces lignes qui semblent confirmer l’histoire : « Je n’ai pas envie d’écrire à Corne d’Auroch. Que pourrais-je lui confier ? Pourquoi est-il parti ? Il a préféré sa mère : c’est son droit ; mais c’est aussi le mien que de ne rien avoir à lui dire. Note bien que je ne lui en veux pas. S’il revient, j’ouvrirai mes bras ». Etonnant non, cette amitié possessive et jalouse et fidèle malgré tout ?
Et plus tard, en mai 1952, alors que Brassens a dû, un peu contre son gré, monter sur les planches et se donner en spectacle, il écrit dans sa dernière lettre à Toussenot, sans doute en parlant de Corne d’Auroch : « Non, je ne suis pas devenu putain, contrairement à ce que prétend et à dû te dire solennellement l’ex-spectre devenu représentant de commerce. Je l’ai vu. Il ne comprend plus rien, si tant est qu’il a compris quoi que ce soit une seule fois dans sa vie. Il croit que je suis arrivé parce qu’un jour j’ai pris la décision de substituer l’épicier au poète et que celà s’est passé très aisément, comme on s’engage dans la Légion Etrangère ».
Fabuleux internet ! Alors que je me pose des questions sur cette histoire entre Brassens et Emile Miramont alias « Corne d’auroch », voilà que c’est Brassens lui-même qui nous donne l’explication sur le net : http://www.dialogus2.org/BRA/auroch.html
Enfin, quand je dis Brassens, il s’agit à priori pultôt d’un dialogue imaginaire. Mais bon, ça éclaire quand même un peu nos lanternes.
Quelqu’un peut-il en quelques mots préciser le contexte de ce premier album ? Que sait-on de Brassens à ce moment-là ? Il est depuis longtemps à Paris ? Il chante déjà dans des cabarets ? Ces chansons sont dans ces tiroirs depuis longtemps ?
Mettre en musique des poésies… drôle d’idée, à tout bien considérer. Comme si le poème ne se suffisait pas à lui-même. Comme s’il avait besoin d’une mélodie pour pleinement se manifester.
Je n’ai plus la citation exacte en tête mais je me souviens avoir lu que Victor Hugo, par exemple, trouvait cela inconcevable. N’y a-t-il pas d’ailleurs quelque chose d’inconciliable entre les mots et la musique (dont la confrontation tourne finalement toujours plus ou moins au profit du dernier) ?
Ce qui me semble en tout cas sûr, c’est que ça le transforme complètement le poème… et qu’il est ensuite impossible de le relire de façon « innocente » (sans avoir la musique de l’autre en tête).
Mon coup de coeur ?
« Les passantes »…
Pourquoi ?
Le mystère de la rencontre fortuite qui laisse une trace indélébile.
Et dire que Brassens a raté la rencontre avec l’auteur du poème !
Si c’est vrai, quel bel hommage il lui a rendu !!!
Vincent, impossible de préciser le contexte de ce premier album car en fait, à l’époque, il n’y avait pas d’album mais uniquement des 78 tours.
Brassens avait écrit quelques chansons pendant le STO en Allemagne (dont Pauvre Martin) puis cinq chansons vers 1947 (Le Parapluie, La Chasse aux papillons, J’ai rendez-vous avec vous, Brave Margot, Le Gorille).
Lorsque sa carrière musicale a commencé le 6 mars 1952 (date de son audition devant Patachou), tout est allé extrêmement vite, le succès a été fulgurant (Brassens est devenu tête d’affiche à Bobino seulement dix-huit mois plus tard) et Jacques Canetti (qui a aussi lancé Piaf, Brel et Trenet) a permis à Brassens d’enregistrer dès la fin 1952 ses dix premiers titres. Ces enregistrements étaient en fait destinés à être publiés régulièrement sur support 78 tours, deux titres seulement à la fois.
Beaucoup plus tard, en 1965, quand débutera la sortie successive des célèbres 12 disques de Brassens, le premier album comprendra les titres du début mais sans respecter je crois l’ordre chronologique des premiers enregistrements. Voilà pourquoi ce premier album n’est pas vraiment le premier album (au sens où on l’entend habituellement) mais simplement le transfert sur disque vinyle des premiers disques 78 T de Brassens.
Oui, comme le dit Roland, « les passantes » (sur le 11ème disque) est un pur chef-d’oeuvre et Brassens a effectivement loupé sa rencontre avec l’auteur du texte.
L’histoire dit que Brassens avait trouvé le poème d’Antoine Pol dans un établissement de droits d’auteurs. Il a alors retrouvé les traces de l’auteur, Antoine Pol, et lui a demandé l’autorisation de mettre ce poème en musique. Antoine Pol a accepté et ils ont prix rendez-vous pour le mois suivant. Antoine Pol est mort (de vieillesse) une semaine avant la rencontre et ce fut l’un des plus grands regrets de Brassens.
Est-ce vraiment, comme le dit Vincent, une drôle d’idée que de mettre la poésie en musique ?
Voici la réponse d’un grand bonhomme :
« La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie. Elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. » (Léo Ferré, « Préface »)
C’est vrai, comme le dit Vincent, que les mots peuvent se suffire à eux-mêmes et que la poésie n’a pas à être mise en musique. Je suis même assez d’accord avec lui lorsqu’il dit que la confrontation entre les mots et la musique tourne finalement toujours plus ou moins au profit de la musique. J’ajouterais même que c’est presque toujours le cas.
Mais il y a des mots qui sont tellement chantants par la manière dont ils ont été écrits, que je conçois facilement que certains, comme Brassens, aient osé faire le pas et ajouter une petite mélodie.
Quand on lit les poèmes d’Aragon, il y a tellement de musicalité et de rythme dans l’écriture que l’on comprend pourquoi Ferrat et Ferré aient eu tellement à coeur d’ajouter quelques notes, toujours avec un grand respect du texte. Rappelons-nous « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » par Léo Ferré …
Et puis, la chanson n’est-elle pas aussi une formidable manière de faire connaître la poésie auprès du grand public ?
Quant à l’avis de Victor Hugo, qui, comme le rapporte la légende, n’aimait pas la musique … Pourquoi pas Malraux pendant qu’on y est !
Brassens aurait hésité entre la « carrière » (en l’écrivant, je me rends compte à quel point ce mot sied peu à Brassens) de poète et celle d’auteur – compositeur.
Il considère que la chanson est bien différente de la poésie, un équilibre entre le texte et la musique.
Il est intéressant de savoir que Brassens n’a eu sa première guitare qu’en 1947, alors qu’il avait déjà composé plusieurs chansons (Le Parapluie, La Chasse aux papillons, J’ai rendez-vous avec vous, Brave Margot, Le Gorille et la mise en musique du poème d’Aragon Il n’y a pas d’amour heureux).
Auparavant, il travaille avec comme seul instrument un petit meuble qu’il appelle « mon tambour » sur lequel il tape le rythme.
Cela renforce l’idée, avancée par Bernard, des mots chantants par la manière dont ils ont été écrits.
Je suis d’accord que dans la plupart des cas, la confrontation entre les mots et la musique se fait pratiquement toujours au profit de la musique. Sauf que si vous interrogez les gens autour de vous (je ne parle pas d’interroger les personne qui participent aux soirées Brassens) pour leur demander si Brassens est plutôt un grand poète ou plutôt un grand musicien, que croyez vous obtenir le plus souvent comme réponse ?
Eh oui, comme le dit Anne, peu de gens savent que Brassens est un grand musicien. Peut-être faut-il jouer un peu de la guitare pour s’en apercevoir vraiment. Brassens a délibèrément choisi un accompagnement extrêmement sobre : sa guitare, la contrebasse et parfois une deuxième guitare. Le fait qu’il n’y ait pas d’arrangements musicaux particuliers fait que l’on entend une musique très dépouillée, peu ornée, d’où une impression de pauvreté. Mais à y regarder de plus près … ! En fait, toutes les musiques sont extrêmement travaillées. Il y a des suites d’accords que ne renieraient sûrement pas Duke Ellington ou Count Basie. Car beaucoup de morceaux sont de vrais compositions de jazz. On aura l’occasion de revenir souvent, j’espère, sur la qualité des musiques de Brassens !
Anne parle des textes que Brassens a écrit en 1947 et de sa première guitare. C’est ce que l’on trouve généralement dans les biographies de Brassens. C’est très étonnant car dans les correspondances de Brassens et de Toussenot de cette époque, on n’y trouve pas trace de discussion portant sur la musique et sur les compositions qu’aurait faites Brassens. Ce n’est qu’à partir de 1950 que Brassens commence à parler de musique, non pas parce qu’il a envie de chanter en public, mais surtout pour aider la Jeanne à « joindre les deux bouts » en ramenant quelques cachets à la maison. Brassens est d’ailleurs très déprimé à cette époque, en mai 50 : « Il n’y a pas de malade à l’impasse, mais un neurasthénique : moi. … Je ne crois pas au révolver néanmoins, ni à la corde, ni au poison… Je répare mes stylos, c’est à dire que je rends inutilisables ceux qui l’étaient encore…. Je lis un peu, comme je me lave, sans plus… ». Brassens ne parle de chanter qu’à partir de l’automne 1950. Il va vers ce métier à reculons, un peu à regret : « Je vais bientôt tenter de gagner ma prétendue vie ». Oui, comme le dit Anne, Brassens n’a rien d’un carriériste !
Mon ami Robert m’a signalé hier la super vidéo d’une interview de Brassens qui date de 1961, sur le site de la Télévision Suisse Romande. Brassens y parle notamment de ses débuts.
A noter aussi un site très intéressant qui propose une analyse des textes de Brassens. Pour exemple : le premier morceau de notre disque : la mauvaise réputation.
Enfin, un super site sur lequel on peut écouter chacune des chansons de Brassens (enfin, les 119 chansons des 12 disques officiels). Je croyais que légalement il ne pouvait y avoir des chansons en entier, mais à priori ça existe. Il y a les paroles de toutes les chansons + les commentaires qu’en a fait René Fallet + les commentaires qu’en ont fait les visiteurs du site. Vous pouvez ajouter un commentaire sur les chansons de votre choix (celà dit, je préfère que vous les fassiez sur mon blog, non mais, faut quand même pas déconner !). Chansons en ligne et paroles/commentaires sont dissociés. On accéde aux textes et commentaires directement depuis la page d’accueil. On accède aux chansons en ligne en allant sur le bandeau « albums ».
Les premières chansons de Brassens, c’est sympa aussi en espagnol par paco Ibanez.
En allant sur le site qui propose des analyses des textes de Brassens, je me suis rendu compte que la chanson la chasse aux papillons était analysée comme étant racontée par des papillons. Effectivement, on y regardant de plus près, la phrase « et ce fut l’plus beau des remue-ménages qu’on ait vu d’mémoire de papillons » est assez évidente. Je joue souvent cette chanson mais je ne l’avais jamais abordée sous cet angle et comprise sous cet éclairage particulier. Pourtant, dans l’un des commentaires à mon article sur les papillons (accro au tabac d’Espagne, daté du 21 juillet) Butterfly avait suggéré presque la même chose, certes sans aller jusqu’à dire que l’histoire était racontée par des papillons mais en donnant une version s’en approchant vraiment.
Vincent avait d’abord dit : « Encore une petite chose : S’ils ne vivent en moyenne que quelques semaines, comment faut-il comprendre finalement ces vers de Brassens :”Ce fut le plus beau des remue-ménages qu’on ait vu de mémoire de papillon” ?
Et Butterfly avait notamment répondu :
« Le mot “mémoire de papillons ” peut signifier que les papillons assistent à leurs ébats et de ce fait qu’ils ne soient pas capturés. »
Ben oui, non seulement les papillons assistent aux ébats amoureux du bon petit diable et de Cendrillon mais en plus ce sont eux qui nous racontent cette belle histoire et qui se la racontent aussi de père en fils ! Bravo Butterfly, mais tu n’as pas trop de mérite avec un pareil nom, puisque cette histoire se transmet dans ta famille de génération en génération ! mdr
Ok pour considérer que le « couplet supplémentaire » du Gorille n’apporte rien et que Brassens a bien eu raison de finir sur le précédent.
A propos des textes de ce premier « vrai-faux » album : en les chantant dernièrement j’ai été un peu troublé par le couplet suivant du « Parapluie » :
« Mais bêtement, même en orage, les routes vont vers des pays
Bientôt le sien fit un barrage, à l’horizon de ma folie
Il a fallu qu’elle me quitte après avoir dit grand merci
Et je l’ai vue toute petite partir gaiement vers mon oubli »
Vous ne trouvez pas, vous, que ça sonne bizarrement pour du Brassens ?
« Faire un barrage à l’horizon de ma folie »
« Partir gaiement vers mon oubli »
… sont en tout cas à mon oreille des formes de lyrisme que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans son oeuvre… qui me semble opter résolument pour une poésie beaucoup plus « concrète » (et moins empoulée)
Et bien, moi aussi, j’avais remarqué quelque chose de bizarre en écoutant cette chanson mais je n’avais pas réussi à formuler la chose ainsi.
Mais en relisant les propos de Vincent et les vers de Brassens, je me demande vraiment pourquoi ce serait de la poésie plus concrète et moins ampoulée, alors que j’ai plutôt le sentiment inverse, la formulation me semble plutôt assez abstraite et même un peu tarabiscotée (notamment dans le vers « bientôt le sien fit un barrage, à l’horizon de ma folie » qui n’est pas une phrase à la compréhension immédiate à la première écoute).
Je me demande si tous deux on ne fait pas fausse route. Brassens, pour cette chanson, n’a peut-être fait qu’écire les vers en fonction de la musique qu’il entendait dans sa tête, ou inversement. Car s’il est vrai que Brassens utilise ce style d’écriture pour la première fois, il utilise aussi un type de musique qu’il n’utilise pas souvent. En effet, les notes sont très détachées les unes des autres (ce n’est pas une habitude chez lui), ce qui fait par exemple que la partie de phrase « à l’horizon de ma folie » est chantée avec une diction très particulière, un peu « à la Nougaro » avec une accentuation sur chacune des syllabes. C’est une manière de faire resortir le texte. Et inversement, pour que le texte colle à la musique, il fallait sûrement un rythme particulier des mots, une couleur particulière. Enfin, c’est juste une idée…
Je me suis mal fait comprendre, Bernard, je disais comme toi que ces deux vers me paraissaient abstraits et tarabiscotés alors que l’ensemble de l’oeuvre de Brassens est à l’inverse plutôt d’une poésie concrète (ce qui fait souvent dire qu’il est davantage un « artisan » qu’un « poète » au sens lyrique du terme).
Ok pour la suggestion qu’il se soit laissé (pour un coup ?) porté par la musique… Peut-être est-il aussi encore un peu jeune, pas trop sûr de son talent, ou exigeant, et a-t-il voulu « faire jolie et poétique » (il y a en effet quelque chose de l’ordre du « lieu commun poétique » dans ces deux vers).
N’est-ce pas d’ailleurs dans cet album, ou dans le suivant, que tu as très justement décelé une véritable maladresse dans un texte (une répétition malvenue du mot « coeur » je crois) ?
Oui, effectivement, dans l’avant dernier couplet de la chanson « Une jolie fleur », Brassens a répété deux fois le mot « coeur » et ça me semble être une grande maladresse de sa part, peut-être la plus grande de toute son oeuvre :
« J’ lui en ai bien voulu, mais à présent
J’ai plus d’rancune et mon cœur lui pardonne
D’avoir mis mon cœur à feu et à sang
Pour qu’il ne puisse plus servir à personne »
Je trouve touchant ton amour pour Brassens. C’est là une manifestation de plus de ton amour de la vie : Joëlle, la nature, la musique et la chanson, l’écriture, la bière, tes amis et j’en passe. Je ne me suis jamais expliqué à toi quant à ma réserve ancienne vis à vis de l’aimable moustachu. Je voudrais tenter de le faire.
J’ai assisté à un seul concert de Brassens. C’était durant l’hiver 1963, au théâtre municipal d’Annecy. Salle comble. A un quart d’heure du début du tour de chant, soudain plus de projo, plus de micro : la panne totale et définitive. Dans la pénombre des lampions de secours, l’homme, assis sur sa chaise, imperturbable, continue de chanter au seul éclairage du poême dans la nuit, dans un silence sidéral, entrecoupé d’un tonnerre d’applaudissements où les coeurs battent des mains.
On quitta la salle à tâtons et éblouis.
J’avais dix-neuf ans. Je sortais juste de la guerre d’Algérie qui venait de se terminer huit mois avant. Ce n’était pas un conflit entre deux pays, entre deux peuples, entre deux oncles. J’avais pris part à cet affontement entre les tenants fascistes du colonialisme et ceux de la libération d’un peuple. J’en portais les blessures et en particulier celle de l’exil. Et l’histoire continuait : le Vietnam nous mobilisait maintenant au sein des « Comités Vietnam » qui en Europe soutenaient les luttes qui se développaient aux USA pour la paix en Indochine (Vietnam, Loas, Cambodge).
Quand un jour j’ai entendu « Les deux oncles », j’ai trouvé cette chanson profondément inacceptable. A ce règlement de compte franchouillard , je préférai le lyrisme engagé de Bob Dylan et Joan Baez. Car, pour nous, il ne s’agissait pas d’un conflit entre l’Oncle Ho (puisque c’est ainsi que les vietnamiens appelaient Ho-Chi-Minh) et l’Oncle Kennedy-Johnson-Nixon. C’est même à cet époque que j’ai commencé à aimer le peuple américain.
Plus tard, il y eût :: « Mourir pour des idées »…
Et bien, plus de quarante ans après, je viens de relire les textes de ces chansons et mon sentiment n’a pas changé : avoir choisi de vivre dans le droit et la justice, c’est faire l’hypothèse de risquer, en certaines circonstances de pouvoir mourir à les défendre. Faire l’éloge de sa capacité à s’en tirer à tout prix, en gros malin qui a tout compris, c’est cracher à la face de ceux qui sont morts d’avoir combattu, non les Allemands, mais les Nazis : « Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand ».
Je suis allé sur le site signalé par toi. J’ai lu les commentaires écrits à propos des oncles. Je comprends un peu mieux pourquoi, alors que l’Iraq est à feu et à sang, personne ni à droite, ni à gauche d’ailleurs, ne se mobilise vraiment pour arrêter le massacre. Evidemment, on peut, (avec le Brassens des deux oncles), se placer au-dessus de ça. On n’évitera pas, quelque pirouette mentale qu’on fasse, d’être éclaboussé par le sang qui continue de couler.
Ceci dit, Brassens est indéniablement un grand poête chantant. Je travaille vraiment actuellement ( ne faisant rien à moitié, tu le sais) à le redécouvrir, au-delà de ma prévention précise décrite ci-dessus. Ah ! si seulement je parvenais à dépasser ce blocage, je ne l’en aimerais que davantage. Mais bon, il faut faire avec !
Plusieurs personnes ont été, comme toi Robert, choqués par certaines des chansons de Brassens. Le grand-père de Joëlle, qui aimait Brassens, lui en avait voulu d’avoir écrit « la guerre de 14-18 ».
Pierre Louki, chanteur et ami de Brassens, m’a dit un jour que ce type de chansons avait été un gros sujet de désaccord entre Brassens et lui (notamment la chanson « les deux oncles »). Je crois me souvenir que Pierre Louki, qui avait été soldat en Haute-Saône pendant la dernière guerre, trouvait que Brassens n’avait pas eu une attitude très courageuse pendant cette guerre. Brassens a certes fait un certain temps de Travail Obligatoire, mais lors de sa première permission, il a décidé de ne pas retourner en Allemagne et de se planquer à Paris. Oui, heureusement que d’autres combattaient pendant ce temps-là pour sa petite liberté !
Je suis content que tu saches qu’effectivement Brassens est parti au STO pendant que d’autres entraient dans le maquis, qu’il se soit planqué dans Paris à l’ombre du pétainisme triomphant. Ma foi, les temps étaient difficiles et tout le monde n’y voyait pas très clair.
Mais que, des années après, non seulement il revendique sa passivité mais qu’il moque ceux qui se sont engagés en amalgamant fascistes et anti-fascistes, c’est puant de suffisance. Merci au grand-père de Joëlle, à Pierre Louki et à toi de répondre à cette question béante en moi depuis des décennies et que je n’osais pas poser tant l’unanimité semblait grande.
Je me dis qu’aimer vraiment c’est accepter les limites de l’autre, sans pour autant l’en dispenser. Exercice paradoxal, s’il en est.
Je vais pouvoir aller plus avant. Je prendrai des notes. Je vais essayer de voir comment cette dimension du personnage s’inscrit dans une oeuvre par ailleurs aussi rayonnante de santé.
Je crois que Brassens était devenu une telle institution du temps de son vivant qu’il est grand temps aujourd’hui d’égratigner un peu la statue, ne serait-ce que pour rendre le personnage plus humain, avec ses limites et ses propres faiblesses.
Je sais aussi que Vincent est d’accord avec cette analyse des choses. On n’a donc pas fini, au fil des albums, de parler de tonton Georges sous un angle peut-être nouveau. C’est aussi pour ça que j’avais tenu, dans l’un des commentaires à mon article du 2 novembre (« Il y a 25 ans : Brassens ») à citer le témoignage décoiffant de Chabrol sur la célèbre « bande à Brassens ».
La statue est il me semble d’autant plus à égratigner qu’elle est parfois placée sur de bien étranges autels.
Illustration : Il y a deux ans, lors d’obsèques auxquelles j’avais le malheur d’assister, le jeune curé, voulant profiter de la présence de jeunes mécréants en son église pour tenter de les séduire, n’a pas hésité à vanter les vertus des Evangiles en n’y faisant pas une seule fois directement référence (il sentait bien que ça ne porterait pas) mais en citant à la place… Brassens et Camus. En d’autres circonstances, j’aurais eu, je crois, bien du mal à ne pas éclater de rire.
Que sa légendaire modestie ne soit qu’un puissant orgueil qui n’ose pas s’afficher…
Que son détachement, son humour, son goût de la poésie… ne soit que la marque d’un manque de courage et une peur du réel…
Que ses audaces verbales ne soient que le contrepoint de sa lâcheté fondamentale, sa peur de l’engagement…
Après tout, pourquoi pas !
Ca le rend en effet plus humain
Plus proche finalement que chacun d’entre nous !
(…de « moi » en tout cas, en toute modestie !!!)
Dans les grandes, comme dans les petites choses, la lâcheté n’a jamais vraiment été mon truc. Je souffrirais plutôt de témérité aigue, et j’aime dans les personnages de la vie ou de la littérature qu’ils expriment le courage dans la tentative de vivre au lieu de plier devant le destin ou telles circonstances fâcheuses.
Je ne crois pas qu’une attitude soit plus « humaine » que l’autre. Sans doute cela dépend-il de la représentation qu’on se fait de l’homme et donc de soi-même. Nous voilà sartriens. le Sartre de « L’existentialisme est un humanisme », où l’existence précède l’essence ; autrement dit : notre pratique de vie définit ce que nous sommes, elle dépend d’un choix de vie, d’une liberté. Il n’a pas dit que des conneries, le père Sartre..
Et c’est ainsi que ce qui peut rapprocher de Brassens, en éloignera un autre. A méditer, non ?
J’ose une hypothèse (sans doute un peu simpliste mais bon… vous m’aiderez sans doute à l’affiner) :
Si on devait, pour tenter de les penser, nommer (donc quelque part étiqueter) les différentes attitudes, il me semble qu’on peut les classer entre deux pôles :
Le premier, que je qualifierais volontiers de « masculin » (ou « guerrier », « occidental », « yang »…) serait celui qui correspond au choix de vie que décrit et revendique Robert : la témérité, l’engagement, le combat, l’honneur, le courage, les valeurs qui valent plus que la vie, etc.
Le second, plutôt « féminin » (ou « oriental », « yin »…) serait celui défendu entre autre par Brassens dans les chansons citées lorsqu’il laisse entendre que la vie vaut plus que toute idée qu’on peut s’en faire, que la prudence et la retenue sont de hautes valeurs, que la « méthode douce » (souple ? fluide ?) est peut-être plus efficace que l’affrontement direct.
Il y aurait là, comme le pointe Robert, deux inconciliables.
Deux irréductibles dont aucun ne peut objectivement se concevoir comme supérieur à l’autre, d’autant plus d’ailleurs qu’ils ont besoin l’un de l’autre pour continuer d’exister. Que toute accentuation de l’un appelle la compensation de l’autre.
Du coup, çe ne me surprend guère qu’un « guerrier » comme semble être Robert à la fois ne se reconnaisse pas dans la féminité parfois exprimée par Brassens mais l’appelle tout de même en secours au pouvoir !
(Tout cela est sans doute, je le répète, réducteur, mais je ne sais guère penser autrement qu’à la hache !… de façon peut-être encore trop « masculine »)
Ta hache me semble-t-il Vincent, demanderait à être sacrément aiguisée.
Sur l’Arc de triomphe de République, tu sais qui domine le groupe sculpté par Rude ? Une femme, une femme qui brandit le glaive ! Chez les grecs, qui personnifiait la guerre ? Une femme : Athéna. Il a fallu ces brutes de romains pour remplacer cette figure par un mec : Mars. Mais quand il se sont attaqués aux berbères, quel adversaire leur le plus résisté ? La cheffe des tribus juives-berbères, la célèble Kahéna.
De l’Antigone de Sophocle à Lucie Aubrac (en passant par Clotilde qui dirige la résistance victorieuse de Paris assiègée par les Normands), Jeanne d’Arc, Charlotte Corday, Thérouane de Méricourt, etc) des femmes ! Et oui. Et, enfin, en France on a une candidate plausible au poste le plus éminent de l’Etat.
Les femmes, pourvu que l’image que tu leur donnes ne leur soit pas plaquée dessus depuis leur tendre enfance, peuvent être aussi peu lâches que certains hommes, alors qu’un être couillu peut être parfaitement un parfait froussard.
Ton hypothèse sexiste ni ne me séduit, ni ne me convainc.
Quand il est besoin d’utiliser la hache, femme ou homme peuvent s’en emparer.
Quand il s’agit de tendresse, femme ou homme peuvent l’exprimer.
Courage et lâcheté ne sont pas l’apanage d’un sexe.
Que Brassens ait été lâche n’en fait pas autre chose qu’un lâche.
Il n’empêche, par ailleurs, qu’il a eu du talent.
Tout comme Céline, qui était un gros salaud de facho antisémite.
Maintenant, il serait intéressant de voir si, dans son oeuvre, sa lâcheté a joué dans sa manière d’envisager l’amour, la misère, la chose publique, l’engagement, etc. Un gros travail auquel je vais tenter de m’employer.
Je ne comprends « mais l’appelle tout de même au secours au pouvoir ». Un bout de phrase a-t-il sauté ?
Ce n’est pas moi qui dit qu’il y a courage d’un côté et lâcheté de l’autre… Au contraire !!!! J’essaie justement de suggérer que ce que le côté « yang » qualifie de « lâcheté » n’est peut-être qu’une autre attitude, tout aussi légitime, d’envisager les choses…
La « voie guerrière » on en a plus que soupé…
On aimerait juste qu’elle laisse parfois un peu la place à des méthodes plus douces, moins frontales (mais peut-être tout aussi efficaces).
Ce que je ne parviens pas à saisir, c’est pourquoi tu sembles le souhaiter ardemment au niveau politique (« l’appelle au secours au pouvoir »)… mais le refuser ailleurs ?
Vincent. Je voudrais tant arriver à me faire comprendre de toi. Ce n’est pas toi qui dis que lâcheté et courage s’excluent, c’est moi. Parce que depuis les Grecs on sait, en bonne logique de base, que les contraires s’excluent. Je ne connais pas grand chose au « yang », je l’avoue, et n’en suis d’ailleurs pas suffisamment impressionné pour être tenté de penser que la lâcheté puisse se justifier en quelque manière douce et apparaître comme une forme de courage.
Il est patent aujourd’hui que des courants irrationnalistes issus en particulier des USA pénêtrent petit à petit la pensée contemporaine tendant à la confusion généralisée des concepts et des valeurs. Je veux croire que rien ne te rattache en aucune manière à eux.
Etant plutôt non-violent, je ne vois pas ce que la « voie guerrière » (?) vient faire ici, sauf si c’est un pavé dans la marre, une patate chaude, une boule puante ou toute autre arme non-contendante auxquels tu ferais appel.
Gandhi, par exemple, était tout le contraire d’un lâche et en même temps absolument non-violent. Il est donc faux de placer systématiquement le courage du côté de la guerre. Ceci dit, Gandhi a commis une erreur fatale en n’écoutant pas l’appel à la prudence que lui faisait son entourage et il en est mort. Son assassinat, dit-on, fût pour beaucoup dans la tragique partition entre l’Inde et le Pakistan ; et la guerre civile qui l’accompagna fit des millions de victimes.
Pour la « douceur » dans la résolution des conflits, ça marche parfois, heureusement et il faut y avoir recours autant que possible. La chute de l’empire soviétique s’est produite sans hécatombes.
Mais, dans d’autres cas, ce n’est pas une solution : Munich n’a pas fait longtemps illusion. Conséquence : 6 millions de juifs exterminés, plusieurs dizaines de millions de morts pour la seule Europe.
Et je ne vois pas comment par la parole sensée, on aurait pu obtenir quoi que ce soit de ces fous furieux d’Hitler et consorts.
De même, plus près de nous, il a fallu une intervention armée en ex-yougoslavie pour arrêter le crime. C’est dommage, mais plus dommage encore aurait été de laisser le massacre se perpétuer.
Beaucoup de pacifistes des années trente ont fait le gros dos une fois sous la botte nazie. D’autres ont compris qu’il n’y a pas séparation entre les principes éthiques et les actes et ils ont rejoint la Résistance. Je ne mettrai jamais, comme certains le font, un signe d’égalité entre ces deux attitudes.
Vincent, je m’excuse d’insister, mais très honnêtement je ne comprends toujours pas l’expression : « l’appelle au secours au pouvoir ». Franchement, ça ne me dis rien. Pas plus « le secours appelle au pouvoir », « le pouvoir appelle au secours », etc. J’ai tout essayé. Veux-tu, s’il te plaît, m’éclairer ?
Bon, je reviens au sujet initial de ce châpitre : Brassens.
J’annonçais que j’y travaillerais. Le site indiqué par Bernard comporte un moteur de recherche par mots-clés. Je l’ai utilisé. Voici les premiers résultats.
Indépendamment d’autres mots-clés que j’ai inventoriés aussi, je me suis pour le moment centré sur le mot « femme ». On le trouve dans 32 chansons.
Voici quelques extraits (sauf erreur de recopiage):
Gare au gorille.
… femelles de cantons
… commères
… féminine engeance
… que le gorille est un luron,
Supérieur à l’homme dans l’étreinte
bien des femmes vous le diront.
Le pornographe.
Ma femme est, soit dit en passant,
d’un naturel concupiscent
qui l’incite à se coucher nue
sous le premier venu.
Mais
M’est-il permis, soyons sincèr’s
D’en parler au café concert
Sans dire qu’elle a, sur aigu
Le feu au cul ?
Chanter l’amour t’est défendu
S’il n’éclôt pas sur le destin
D’une putain.
Le cocu.
Comme elle n’aime pas beaucoup la solitude
Cependant que je pêche et que je m’ennoblis
Ma femme sacrifie à sa vieille habitude
De faire,à tout venant, les honneurs de mon lit.
Autoportrait
Je suis un pauvr’ type
D’avecques ma femme
J’ai foutu le camp.
Parc’ que depuis tant d’années
C’était pas un’ sinécure
De lui voir tout l’ temps le nez
Au milieu de la figure.
Le bulletin de santé.
Si j’ai trahi les gros, les jouffus, les obèses,
C’est que je baise, que je baise, que je baise
Comme un bouc, un bélier, une bête, une brut’,
Je suis hanté : le rut, le rut, le rut, le rut !
Don Juan
… à quatrevingt-quinze pour cent
La femme s’emmerde en baisant
Elle s’emmerde sans s’en apercevoir.
A l’ombre des maris
A bord du Titanic, quand il a fait naufrage,
J’aurais crié : « Les femmes adultères d’abord ! »
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère,
Je suis derrière…
Les casseuses.
Tant qu’elle besoin du matou,
Ma chatte est tendre comme tout,
Quand elle est comblée, aussitôt
Ell’ griffe, ell’ mord, ell’ fait l’ gros dos.
La légion d’honneur.
Grand peloteur de fesses convaincu,
Passé maître en l’art de la main au cul,
Son dada c’était que la femme eut le
Bas de son dos tout parsemé de bleus.
En vue de palper d’un geste obsène,
Il a plongé pour sauver de la Seine,
Une donzelle en train de se noyer,…
Pour d’autres chansons, je n’ai pas réussi à tirer une phrase significative par elle-même. Voici les titre cependant :
Pénélope.
La fille à cent sous.
Le nombril des femmes d’agents.
Concurrence déloyale.
La nymphomane.
Lèche cocu.
Le fiacre.
L’andropause.
Pour le moment, je ne dirai pas ce que je pense de cet inventaire. J’aimerais plutôt apprendre les sentiment qu’il vous inspire, afin d’envisager de continuer ou pas à vous soumettre la suite (sur « l’amour »).
J’interviendrai à propos de tes recherches demain, dès que j’aurai un peu plus de temps. Je file justement à l’instant rejoindre ce soir une partie de notre groupe « Brassens ».
Bernard peux-tu, sil te plaît, m’éclairer sur les questions suivantes :
. Existe-t-il lors de l’écriture des commentaires une possibilité de mettre certains mots en italique, par exemple ? Comment trouver la barre correspondante ?
. Quand on fait une faute d’orthographe ou une erreur de frappe et qu’on ne s’en rend compte qu’après l’envoi du commentaire, y a-t-il une possibilité d’apporter les corrections sans que tu sois obligé d’intervenir ?
Faut-il les formuler en « errata » sans t’obliger à un travail trop fastidieux ?
. Peut-on mettre en « brouillon » des textes qu’il faut retravailler avant l’envoi effectif.
Ces problèmes techniques expliquent bien des imperfections de mes écrits et je ne voudrais pas vous en affliger plus longtemps.
Merci de me dire quoi faire.
Les sentiments que m’inspire cette liste (où se révèle ce qu’on a coutume d’appeler la « misogynie » de Brassens) ?
J’y vois surtout, pour ma part, un bienheureux « (hyper)réalisme » – voire un « matérialisme » (teinté d’un peu de « tragique ») – si rares dans la chanson – et l’époque – où dominent plutôt l’ « idéalisme » – voire le « spiritualisme » (toujours un peu « grangnan ») -.
Cette sorte de « logique du pire » (tragi-comique) me semble être aussi la marque d’une profonde joie de vivre… tout autant que la plus efficace défense contre la « moraline » : le sourire (voire l’éclat de rire) !!!
(désolé pour les guillemets un peu excessifs… c’est, en attendant la réponse de Bernard, une façon de… « mettre en italique »)
Réponse très rapide (cinq soirées d’affilée qui m’empêchent d’être aussi présent sur ce blog que je ne le souhaiterais : soirée Brassens hier soir, concert de la Nef des Fous ce soir, conférence de Rhabi demain soir, puis mon tarot du vendredi et enfin une invitation samedi soir : vivement la retraite !).
On ne peut absolument pas aborder Brassens et l’amour en tapant le mot-clé « femmes », c’est un mot que Brassens n’utilise pas du tout dans les mêmes circonstances que nous. Dans les plus belles chansons qui sont consacrées au sexe féminin, Brassens n’emploie jamais ce mot, peut-être parce qu’il l’a trop galvaudé ailleurs. Les chansons de Brassens qui parlent des femmes n’ont souvent aucun rapport avec l’amour.
Tu cites, Robert, les célèbres vers « si j’ai trahi les gros, les joufflus les obèses, …. je suis hanté le rut, le rut, le rut ! » qui ne traitent pas du tout du sexe féminin. Brassens parle dans cette chanson des journalistes qui colportent à son propos des rumeurs de cancer. Brassens tient à les rassurer de manière très drôle par le biais de la vie sexuelle débridée qu’il mène, y compris avec les propres femmes des journalistes.
Il y a dans plusieurs chansons, comme celle que tu cites : « le cocu » des tas d’histoires d’adultères, de cocus, … C’est dans la grande tradition je crois de la culture française qui a abordé ce thème, notamment au théâtre, je parle du genre théâtre de boulevard, avec les amants couchés sous le lit… Brassens a retourné le thème de l’adultère sous toutes ses formes et a envisagé les situations les plus cocasses (la traitresse, la femme adultère, le cocu, léche-cocu) et je crois qu’il a porté le genre à un haut niveau. C’est plutôt l’homme qui a le plus mauvais rôle dans ces chansons, parfois même pitoyable (« léche-cocu) et non la femme. Je crois que ce genre de chanson doit avait tout être considéré comme de grandes farces. Brassens avait effectivement le sens de la farce. Dans un autre genre, je considère que la chanson « hécatombe » est plus une immense farce « à la française » qu’une chanson anti-flics. Idem pour le gorille (si l’on excepte bien entendu le dernier vers lourd de sens).
(suite de mon propos) – Saviez-vous que Brassens rêvait de publier avant sa mort un disque de chansons paillardes, ce qui va dans le sens de ce que j’ai dit plus haut sur la tradition française (et d’ailleurs le dernier disque ne révèle-t-il pas une chanson extrèemement bien écrite sur ce genre : « Mélanie »).
Brassens a beaucoup de pudeur par rapport au sexe et aux sentiments et je me demande si ce côté grivois n’est pas la contrepartie de cet excès de pudeur. Car ses véritables chansons d’amour ne se dévoilent pas avec de grands mots d’amour (il faut faire exception au « blason » qui est incontestablement la chanson de Brassens dans laquelle il rend le plus hommage au sexe féminin, et sans retenue, ce qui n’est pas dans son habitude).
Derrière des tas de petites chansons anodines se cache l’amour. Je me demande si la chanson « bonhomme » n’est pas l’une des plus belles illustrations de l’amour fidèle. Et derrière les chansonnettes mineures que sont « Les sabots d’Hélène » ou « la fille à cent sous » se cache l’amour dont Brassens n’ose pas dire ouvertement le nom. Il s’agit de l’amour tel qu’on le vit chez les pauvres gens. Sans emphase et sans grandes déclarations.
Et puis il y a ces deux joyaux écrits pour sa compagne : « la non-demande en mariage » et « Saturne ».
Brassens est probablement celui des « grands chanteurs » qui a écrit je pense les plus belles chansons sur le thème de l’amour.
Brel ? On lit souvent qu’il n’en a jamais écrit. Je n’ai pas d’avis sur cette question. Je vous livre simplement ces propos que l’on raconte.
Quant à Ferré, rappelons-nous ce vers « elles ont toutes un entre-deux sur lequel je dégueule ! ».
Ben alors, Robert, tu t’es absenté, tu manques de temps ou… « les sentiments que cet inventaire nous inspire ne te font pas envisager de continuer à nous soumettre la suite (sur l’amour) » ?
Si c’est ce dernier cas, je trouve que c’est bien dommage…
Ce que tu penses de la question a déjà été dit par l’un d’entre nous ? Ou à l’inverse va dans un autre sens ? Est à un autre niveau de réflexion ?
J’ai beau imaginer tous les cas de figure, je ne vois pas ce qui pourrait faire que ça ne mérite pas (plus) d’être dit.
Merci, Vincent. Ton dernier message m’aide quelque peu à reprendre souffle. La suite que Bernard et toi avez donné à ma courte et sans doute mal-habile tentative d’entrer dans l’univers de Brassens m’a plongé dans un abîme de perplexité, dont je ne parviens pas à sortir pour l’instant.
Le « boulevard » n’ayant jamais été, ni dans ses oeuvres, ni dans ses ombres, ma tasse de thé, j’ai quelque difficulté à entrevoir qu’il ait pu produire une quelconque élévation du sentiment amoureux. Mais, sait-on jamais…
Quant à la paillardise, encore un préjugé sans doute, je la croyais propre aux (anciens?) internats de médecine et aux corps de garde, ces hauts lieux de machisme triomphant, où des hommes qui vivent entre eux (avec tout ce que cela trimbale de sexualité trouble), se croient autorisés à traiter de pédés et autres gracieusetés, tous ceux qui ne partagent pas leur total mépris de la femme.
Si Brassens est effectivement, comme dit Bernard : « celui qui a écrit les plus belles chansons sur le thème de l’amour », je m’inquiète d’être resté si longtemps étranger à son oeuvre. Mais bon, on peut se tromper. Il faut que je m’y colle très sérieusement et c’est donc ce que je fais.
L’entrée par mots-clés n’est certainement qu’un pis aller. Elle a eu cependant pour effet que Bernard m’indique en retour quelques titres aptes à m’éclairer un peu plus. Je vais donc continuer, à partir de cet apport, ma découverte.
N’hésites pas, s’il te plaît Vincent, à me communiquer toi aussi tes réflexions et tes suggestions sur la question.
Bernard, quand tes pérégrinations du soir t’en laisseront le temps(une chanson ?), tu me diras, entre autres choses, d’où sort cette citation de Ferré. Même Sade (que j’ai bien lu) n’a jamais, à ma connaissance, écrit un tel propos. C’est peut-être le plus dégueulasse que j’ai jamais lu.
Il est vrai que quand je pense (pour avoir beaucoup regardé ce tableau, je n’ai pas besoin de l’avoir sous les yeux pour le voir) à « L’origine du monde », de Gustave Courbet, j’éprouve un réel plaisir. Je n’aurai jamais imaginé que Ferré puisse dégueuler la-dessus.
Mais, n’est-ce pas, tous les goûts (et les dégoût) sont dans la nature ; qu’on n’est heureusement pas tenu de partager.
Errata: (une chanson?) a été tapé là par erreur, il faut le places après cette citation (une chanson ?) de Ferré. Merci.
Cf. mon message de 24/11 à 10h24 sur les caractéristiques techniques du blog.
Encore une question de cet ordre : Y a-il un moyen de taper son texte en fichier et, par copier-coller, de le reporter en commentaire sur le blog ?
Pour les questions techniques, j’avoue que je n’ai pas de réponse pour l’instant car j’accède au blog par d’autres moyens que les lecteurs et je peux modifier un texte, par exemple mettre un mot en italique ou en gras… Ta question, Robert, ne m’est pas sortie de la tête, je cherche simplement à trouver la réponse, elle viendra probablement ce week-end.
Pour les propos de Léo Ferré, voir dans ce long texte (vingt lignes avant la fin du texte) : http://perso.orange.fr/scl/etbasta5.htm
La qualité d’un texte est, à mon avis, un peu plus dans la qualité de l’écriture que dans le sens précis du texte. Donc, partant de celà, je ne vois pas pourquoi des chansons paillardes (Brassens n’en a d’ailleurs écrit qu’une seule, extraordinaire : Mélanie) serait à écarter. Quant au machisme supposé, n’oublions pas que l’un des meilleurs diques de chansons grivoises a été réalisé, non par par un homme, mais par une grande femme de la chanson française : Colette Renard (« chansons gaillardes et libertines du royaume de France »).
Je reviens sur le côté « farce » dont j’ai parlé plus haut. Ce côté particulier de la culture française a commencé bien avant Molière. Le théâtre de boulevard en est l’un des aspects, ce n’est pas le meilleur, certes je te l’accorde, mais fait partie de la même lignée. Mais ce n’est pas parce que j’ai cité le théâtre de boulevard que Brassens est à mettre à ce niveau. C’est quand même d’une grande perfection d’écriture, non (y compris dans ce qu’on pourrait appeler ses chansons mineures) ?
Il faut toujours faire attention à ne pas trop mépriser un genre parce qu’il semble mineur à nos yeux. Regardons par exemple comme certains méprisent l’opérette, sous prétexte qu’il ne serait qu’un sous-genre de l’opéra, alors qu’en réalité il n’y a aucune différence fondamentale d’un point de vue écriture et musique. Seul le côté « tragédie » et « comique » sépare ces deux genres. Mais comme France Musique remet l’opérette dans le rang des grandes oeuvres (ce qui est évidemment trop tard), nul doute que ceux qui méprisaient ce genre en feront un genre culte d’ici peu de temps.
Deux petites remarques à tes propos, Robert :
– tu devrais réécouter la chanson « Pénélope » dans laquelle tu n’as rien trouvé de significatif, alors qu’il s’agit assurément de l’une des plus belles. Je dis bien écouter et non pas seulement lire. Je ne crois pas que l’on puisse dissocier l’écriture et la musique dans le cas de Brassens. Une chanson est faite du mélange des deux, c’est une alchimie particulière (et il y a un mariage de certains mots et de certains accords qui font mouche dans cette chanson). Il suffit d’écouter la chanson de Françoise Hardy « tous les garçons et les filles » pour se rendre compte de cette alchimie : les paroles sont plutôt nulles, la musique très simpliste et pourtant le Tout fonctionne, même 40 ans après. La chanson est quelque chose d’étonnant.
– je ne pense pas que la chanson « la nymphomane » soit à citer, car Brassens ne l’a jamais chantée. On ne peut pas reprocher à Brassens un texte qu’il n’a pas jugé bon de publier. Idem pour l’andropause. Quant à la chanson « le fiacre », elle n’est pas de Brassens. Enfin une mention particulière pour la chanson « le nombril des femmes d’agents » qui doit être considérée, non seulement sous l’angle de la farce mais sous l’angle aussi de la parodie (elle n’est qu’une adaptation humoristique d’une chanson de Nadaud je crois, qui a connu un certain succès : « Carcassonne »).
Bernard, je suis donc allé sur le site / Ferré. Le texte est long, assez désespéré. Dès les premières lignes :
………………………….
« Les rides ça s’apprend petit à petit, je sais,
La vieillesse c’est une façon de coup de poing ans la gueule
…………………………..
Je suis un mort en instance et je vous regarde »
…………………………..
Autant te dire que ça me parle tout à fait !
J’ai trouvé la terrible phrase que tu m’as citée, dans son contexte. Il me semble (je suis prudent) qu’elle est celle d’un homme qui résume ainsi, sur la question des femmes (entre autres), sa vie.
Puis, il m’est arrivé une chose étrange. Alors que je me promenais sur ce même site par Index thématique/Disques/Alma Matrix, qu’est-ce que je trouve en illustration de cette page ? Je te le donne en mille : « L’origine du monde » de Courbet que je te citais tout à l’heure.
Hazard ou signe des dieux ?
Ces étranges concours m’émerveillent. Là, par la magie des associations aléatoires, je me trouve réconcilié, au-delà des genres, au delà des catégories stylistiques avec le terrible propos de Ferré dans la fulgurence d’une vie qui ne finit pas de s’éteindre en mille feux.
T’ai-je jamais dit que quand je n’aimais pas Brassens, j’aimais Ferré ? Tu m’as en cette occasion permi de le retrouver.
Précieux. Merci.
Estimable maître en science brassensienne, je ne sais pas si je t’ai déjà raconté la parabole qui suit…
Conte bouddhiste :
Un jour, le jeune disciple vint trouver le vieux sage et lui dit :
– « Maître, voilà longtemps que je suis tes enseignements et je ne connais toujours pas l’essence des choses. Quand vas-tu me dire ton secret ? »
– « Tu as bien fait de me le demander, répondit le maître. Tu vas l’apprendre. Tu vois cette montagne là-bas ? Tu t’y rendras. A son sommet, il y a un arbre mort. Tu chercheras dans cet arbre une petite graine. Tu la rapporteras et je te dirai mon secret. »
Le jeune homme partit. Il resta de longs mois absent parce que la montagne était très éloignée, l’arbre difficile à trouver et la graine si rare. Quand il la découvrît enfin, il éprouva une immense joie.
A son retour, il alla trouver son maître et lui dit :
– « Maître, maître ! Voici la graine ! Parle maintenant !».
Le vieux sage prit, avec des précautions infinies, la graine de la main du jeune homme. Il resta un moment silencieux attendant que le calme se fît dans le cœur du disciple.
Puis, tenant dans ses doigts noueux la graine, il l’ouvrit. Elle était vide.
Encore penchés sur l’objet de cette longue quête, leurs deux têtes toutes proches, ils communiaient dans le silence.
Alors, dans un souffle, le vieux sage prononça ces mots :
– « Regarde bien, mon fils, voilà l’essence des choses ! »
Ah ! Tu ne savais pas, Bernard, que j’allais y être à plein temps sur ton blog, et que tu mettrais toi-même des heures à me lire ! Mais, rassure-toi, à partir de lundi j’irai au bois avec Jeannot. Tu disposeras enfin d’un peu plus de calme, car après tes journées de travail, j’imagine que ton temps est compté. Pas le mien. Privilège de l’âge. Un luxe : celui de pouvoir se livrer à fond à sa passion du moment. Il y a par ailleurs quelques inconvénients…mais :
C’est l’histoire de deux types qui se disputent. L’un est Piliste. L’autre est Faciste. Il faut comprendre que dans les circonstances où ils ont grandi, l’un n’a vu que la face de la pièce (qui peut être de monnaie, mais aussi de théâtre, etc.) et l’autre la pile. Depuis des années ils se disputent parce que chacun affirme avoir raison.
Vient à passer un vieux sage : vieux parce qu’il faut travailler longtemps pour gagner un peu de sagesse et très longtemps pour en approcher. Donc, pour être exact, il s’agit d’un très vieux sage. (Ce qui ne veut pas dire qu’il suffit d’être vieux pour être sage. Oh, non !)
Quand il voit les disputeurs, le très vieux sage s’approche d’eux. Il leur demande s’il peut lui-même examiner la pièce. Ils sont d’accord. Après avoir pris un long moment à l’étudier par devers lui, soudain il la lance en l’air et comme il a beaucoup de force malgré ses vieux os, la pièce met du temps à monter, puis à redescendre. Les disputeurs l’ont suivie des yeux. Dans les mouvements qu’elle a fait en brassant l’air, chacun l’a soudain vue un peu différemment qu’il la percevait jusqu’ici.
Mais la pièce est maintenant retombée sur le sol. Ils approchent. Le faciste crie : « Je l’avais bien dit : elle est face ». Dépit de l’autre.
Prestement, le vieux sage ramasse la pièce et la lance à nouveau. Pile.
Et il recommence. Pendant des heures. Pile. Face. Face. Pile. Pile. Face…
Les anciens disputeurs se sont pris au jeu. Ils la lancent eux aussi. Ils en oublient tout le reste, et que l’un était Piliste et l’autre Faciste.
Ils jouent.
Le vieux sage a repris son chemin.
Il médite en marchant sur le fait d’avoir à lancer les choses en l’air pour tendre à la sagesse.
Retour au présent (mais l’avait-on vraiment quitté ?)
Depuis l’aube, j’ai travaillé texte en main et oreilles à l’écoute les éléments du programme d’initiation de la célèbre méthode dup.dup. : Le blason, Bonhomme, Les sabots d’Hélène, La fille à cent sous, La non-demande en mariage, Saturne.
6 heures sur 6 chansons. Qui dit mieux ? Le remède de cheval !
Guéri.
Maintenant, j’ai faim d’autre chose. A table !
Oh la la, je suis dégoutée, j’arrive après la bataille… Et sur un sujet qui me passionne en plus…
Bon, du coup, je ne sais pas par quoi commencer.
En fait si : je trouve extrèmement réducteur de citer des bouts de textes de chansons sans au moins expliquer le contexte.
Alors, juste pour prendre un exemple, dans le pornographe, le premier couplet donne le ton de la chanson :
« Aujourd’hui que mon gagne-pain
C’est d’parler comme un turlupin
Je n’pense plus merde pardi
Mais je le dis. »
Ce qui est quand même assez explicite sur la valeur des propos qui suivent.
Donc, je ne vais pas reprendre chaque chanson pour donner un contre-exemple à ce que Robert cherche à nous monter ; mais c’aurait été honnête de donner d’autres exemples qui n’allaient pas dans ce sens. Je pense notamment à l’une des plus belles chansons qu’un homme puisse écrire à sa femme, la non-demande en mariage (déjà citée par Bernard je crois, mais comme j’adore cette chanson, j’en rajoute une couche ; ça ne fait pas avancer le débat, mais j’assume).
Je rajoute juste que j’aime beaucoup Brassens, même si sa chanson « Mourir pour des idées » m’a longtemps dérangé ; j’ai lu quelque part, je ne sais plus où, qu’il avait écrit cette chanson pendant (ou juste après) 68, en réaction à toutes les personnes qui lui demandaient de partager et de s’impliquer personnellement dans la révolte. Et je pense que c’est le droit d’un chanteur ou de tout autre artiste de garder un droit de réserve parfois. Le trous du cul qui parrainent une assoc dont ils ne savent rien m’hérissent bien plus le poil !
Un dernier truc : les parents de ma mère ont fait le STO, et les parents de mon père ont planqué des résistants à la campagne. Je pense que ce sont les premiers qui ont le plus souffert de la guerre. Qui dois-je le plus respecter ? Quant à moi, je n’ai aucune idée de ce que j’aurais fait, de ce que j’aurais eu le courage de faire ou pas, et je pense sincèrement qu’il est très facile aujourd’hui de porter un jugement, on est dans le culte des héros après tout !
Bon, c’était un peu décousu tout ça, mais bon, je fais ce que je peux !
C’est vrai Mag, la bataille a eu lieu et, pour une fois, tu as la chance de ne pas trouver en son lieu un champ de ruines. Si j’ai du passer par des extraits (par définition : des textes tronqués), c’est parce que je tâtonnais dans la nuit. Je m’en exuse. Maintenant je pense deux choses :
1. Brassens a, comme tout un chacun, baigné dans son époque, avec ses essais, avec ses contradictions ; et quelque insuffisante qu’ait été mon approche, elle fait apparaître pour qui le veut bien prendre en compte qu’il n’a pas été angéliqiue, ni d’ailleurs démoniaque. Ce qui me fait commencer à l’aimer (ce n’est pas automatique). Dans « Bonhomme », l’amour en fidélité est celui d’une vielle femme. Dans « Saturne », celle du JE de Brassens. Dont acte. Mais faut-il exiger cette fidélité ? Non point. Et pourtant La non-demande en mariage. La plus haute évocation de la relation entre deux êtres humains (bien au-delà du couple) est une pure merveille, j’en conviens.
2. Maintenant, il nous revient non pas de juger le passé (trop facile, j’en suis d’accord) mais de nous positionner comme ont dû le faire en leur temps nos prédécesseurs. Et la leçon de leurs actes, c’est à nous qu’il revient de la tirer. Ils ont fait ce qu’ils ont fait. Toi, qu’est-ce tu en penses, pour aujourd’hui ? Et moi, tout pareil, bien sûr. Personne ne le fera à notre place et la leçon sera perdue. Alors, on peut dire qu’est-ce que j’en peux… que la leçon, si leçon il y a, soit perdue ! Quelle leçon en fait ? Il y eu la fascisme et l’antifascisme. Qu’est ce que j’en sais ? Que faire en de telles circonstances ? Qu’est-ce que j’en puis ?
Deux tontons se combattaient, les cons ! Nous, si ça devait arriver, on laisserait faire ? On attendrait que ça se passe, sans nous ?
Abonnés absents. Rien à foutre. T’es juif, t’es bougnoule, ils veulent te cramer ? Mais qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?
Effectivement. Si nous n’avons rien à retirer du passé, je présage que n’attendons plus rien de l’avenir. No future ! Et nous ouvrons une autoroute aux démagogues de tout poil qui s’annoncent.
Hier Hitler, Pétain, qu’est-ce que j’en sais ? Bonjour Sarko, bonjour Le Pen. Qu’est-ce que j’en fais ?
Je ne suis pas très loin de penser que les choses sont en train de se passer comme ça. Ce serait la mort assurée. Mais comme il s’agit de vivre encore un peu, alors la question de notre rapport au passé continue, qu’on le veuille ou non, à s’imposer.
Tu vois, je suis tout autant décousu que toi. Si ensemble nous arrivions à tisser les fils, ce serait mieux.
Ne pas juger l’engagement (ou plutôt le non-engagement en l’occurence) ne signifie pas qu’on refuse de s’engager aujourd’hui, ou qu’on s’en moque. Il ne me semble pas avoir laisser entendre ça. Et ne pas juger les gens qui sont allés au STO par exemple, ne signifie pas plus qu’on cautionne ou qu’on accepte que ça ait pu avoir lieu.
Bon, je vais devoir abandonner la bataille pour deux jours, alors attention au champ de ruines, hein !
Mag, je ne pense pas que Brassens ait écrit « mourir pour des idées » en 1968. Elle ne figure pas sur le disque de 69 mais sur celui de 71. Brassens a été très malade en 68. Il a disparu de la circulation pendant les événements, tout comme Ferré d’ailleurs, tous deux pour des raisons personnelles.
J’adore cette chanson. Pour moi, c’est sa chanson la plus anarchiste. On en reparlera au moment de l’article sur le 11ème disque (ou avant autour d’une bière).
Je ne sais pas ce que c’est, moi, une « belle chanson d’amour ».
Je ne suis même pas sûr que ce soit la vocation d’un chanteur de faire « avancer la question ».
Peut-on d’ailleurs avancer sur cette question ?
J’ai comme la sensation que ce qu’on a coutume d’appeler « amour » est fait écho à des choses vécues dans la toute petite enfance, là où les mots (venus après) n’ont pas accès et ne peuvent que tourner autour.
D’accord du coup avec Bernard pour penser que ce n’est alors pas le « sens » précis des mots qui compte alors, mais une étrange et indicible alchimie (où la musique tient ne grande place) qui fera alors une « bonne chanson d’amour ».
D’accord pour dire aussi avec Robert, que le grand Léo est aussi un maître en la matière (bientôt un article sur le sujet Bernard ?)
Chanson ? Poème ? Je ne sais. Mais, je voudrais vous livrer le texte qui depuis si longtemps sert la toile à mes sentiments amoureux.
« Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la couleur de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire. »
Paul Eluard, Mourir de ne pas mourir, 1924.
Alors, patron, à quand une rubrique sur la question ? A mettre en relation avec la Suggestion/Léo, de mon collègue Vincent ?
C’est toi qui tient les rênes, nous on ne fait que proposer. A chacun son boulot.
Tiens tiens, ta remarque rejoint une de mes préoccupations. A savoir que j’aimerais beaucoup, à terme, tenir un peu moins les rennes de ce blog et en faire un espace encore plus collectif où les blogueurs ne seraient plus seulement les commentateurs de mes articles, mais en écriraient eux-mêmes. J’y réfléchis et ça pourrait être une voie d’évolution de ce blog dans l’année qui vient. A suivre donc.
Bernard, je ne veux pas mettre en doute ta puissance, mais à mon avis tu présumes de tes forces à vouloir tenir encore les rennes. Tu vas t’épuiser, mon vieux ! Pourquoi pas, tant que tu y es, tenir les orignaux ? Allez, vas, on t’en demande moins : tenir les rênes, c’est déjà bien.
Après, tu auras plus de temps pour tenir ta reine, OK ?
Moi qui ai le fantasme d’approcher l’animal sauvage au plus près, et même parfois de tenter de l’apprivoiser, ce lapsus me semble hautement significatif.
Essai de réponse à Robert à propos du texte d’Eluard :
Chanson ou poème ? Les deux, car si Eluard a composé ce texte en tant que poème, les vers en sont si chantants qu’ils ne pouvaient manquer d’attirer l’attention de musiciens. C’est ainsi que Gérard Pitiot a consacré un CD complet de chansons d’Eluard en 1998, dont ce très beau texte intitulé « l’amoureuse ».
Rappelons que la musicalité des vers de paul Eluard avaient déjà attiré en son temps Claude Debussy qui a mis en musique certains de ses poèmes.
Bernard, je ne connais pas Gérard Pitiot, ni son disque de 1998… Tu l’as ?
Pour Debussy, je ne savais pas non plus qu’il avait mis en musique Eluard. D’autant que le poète commence à publier en 1914 (il a alors 19 ans) et que le musicien meurt en 1918 (l’année de mon poème préféré de Paul : « Pour vivre ici »).
Eh, Eh, ça n’allait pas si mal à communiquer en ces temps privés de toile !
Je ne connais pas le disque de Gérard Pitiot, je ne sais pas vraiment qui il est, d’ailleurs. Voir le site friendship