Fraise : d’Espagne ou de nos jardins ?

J’attends le mois de mai pour manger les premières fraises. Elles viennent toujours du jardin. Cette année, la récolte s’annonce exceptionnelle. Pour la première fois, j’ai mis entre les pieds de fraises un fumier de vache contenant pas mal de paille, le couvert végétal entretenant ainsi une certaine humidité (le fraisier aime les endroits frais) et le fumier amenant des matières organiques (le fraisier est une plante très exigeante à ce niveau). C’est une technique qui me semble infiniment plus intéressante que le plastique noir habituel, en raison de l’apport en matières organiques. Hier soir, j’ai donc cueilli mes premières fraises.

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Evidemment, la plupart des consommateurs en mangent depuis deux mois déjà, les rayons des magasins en regorgent. Mais manger des fraises dès février est un privilège de pays nantis. Cela a un prix. Il y a derrière cette habitude de consommer des fruits « hors saison », venant de plus en plus souvent de l’autre bout de la planète, l’un des pires aspects de la mondialisation. Les conséquences sont souvent énormes, que ce soit d’un point de vue énergétique, social et environnemental.

Justement, le Canard enchaîné a publié la semaine dernière un article au sujet des fraises. En voici de larges extraits  » : « Bien rouge, bien ronde, bien calibrée, autant de goût qu’un fruit en plâtre. Elle se fabrique dans le sud de l’Espagne, sur 5000 hectares où s’affairent des centaines d’ouvriers agricoles sous-payés, venus du Maghreb et d’Europe de l’Est… On l’enferme sous des kilomètres en plastique, on la bourre d’engrais et on l’asperge d’insecticides et de fongicides. Tous les jours, 400 tonnes de fraises espagnoles prennent la route des supermarchés français. Une juteuse affaire pour les centrales d’achats qui déboursent 1,5 euros le kilo contre 2 pour la fraise française. Hic : elle constitue un fléau écologique… Tout autour du parc national de Donana, où poussent 95% des fraises ibériques, l’irrigation intensive a pompé la moitié des nappes phréatiques, dont l’eau est désormais bourrée de nitrates. Qui plus est, 110 hectares, sur 2000 cultivés illégalement, empiètent sur le parc naturel. Autre joyeuseté : chaque année, 4500 tonnes de résidus plastiques sont éparpillées dans la nature. Fraise sur le gâteau, le WWF a détecté dans l’eau, dans l’air et dans le sol du bromure de méthyle, un pesticide interdit par l’Union Européenne notamment parce qu’il détruit la couche d’ozone. »

On voit, avec cet exemple pris dans un pays proche, que la mondialisation engendre aussi la déréglementation. Le profit et les envies hors normes des consommateurs français engendrent ailleurs le non-droit. Et l’Espagne est un pays occidental ! On imagine sans peine comment cela peut se passer dans les pays dits « du sud ».

Toujours à propos des fraises, Serge Latouche, auteur de « Le pari de la décroissance » nous rappelle qu’un yaourt aux fraises, avant de parvenir à nos assiettes, aura parcouru 9000 kilomètres, si l’on cumule le trajet du lait et celui des fraises.

Des pays du sud qui étaient, il n’y a pas bien longtemps encore en autosuffisance alimentaire, crèvent aujourd’hui de faim. Le système économique que nous leur avons imposé les contraint à exporter leur nourriture vers nos pays riches. On se donne bonne conscience en disant que si on ne leur achetait pas ces produits, ils mourraient encore plus de faim. A voir ! Ne serait-ce pas notre système bien-pensant, à la solde des grandes firmes de l’agroalimentaire, qui entretient cette idée ?

J’ai la certitude que nous ne pourrons pas faire face aux enjeux énergétiques, sociaux et environnementaux d’aujourd’hui sans revenir à un monde « relocalisé » où l’on produise au plus près des lieux de consommation.

14 réflexions au sujet de “Fraise : d’Espagne ou de nos jardins ?”

  1. Bonsoir Bernard,

    Pour ma part, je mange des fraises du jardin depuis deux semaines. Le paillage est fait de cosses de fèves de cacao (jardinerie du coin) et j’arrose de temps en temps de purin d’orties.

    … C’était juste pour amener ma fraise

    Merci surtout pour l’adresse de Mr P.G. Ce fut un moment téléphonique très intéressant. Je pense le rencontrer prochainement. Mais malheureusement pas pour la renarde (morte avant hier).
    A bientôt ici et là, sûrement entre végétaux et carnivores de chez nous (ma niche écologique ;-)

    Cordialement.

    Vincent Pfeiffer.
    http://www.wwf.fr/actualites/fraises_espagnoles_exigeons_la_tracabilite

  2. Heureux de lire cet avis, et malheureux qu’il corresponde à une réalité décrite depuis trop longtemps déjà… voilà un triste Franc-Comtois devenu Normand !
    J’ai envoyé aujourd’hui même un courriel à Madame Ségolène Royal, avec cette problématique en point d’orgue. Permettez-moi de vous l’exprimer ici. Et si vous ne me le permettez pas, je l’exprimerai quand même !

    En gros je lui ai dit trois choses :

    1. Bravo pour son engagement et sa combativité contre à des valeurs que je conchie, et pour d’autres que je partage.

    2. La gauche est morte, dans sa composante extrême ou trotskyste quie est explosée, et dans sa composante modérée qui a rallié les intérêts des nantis… le libéralisme à la c.

    3. Il reste à construire un pays fondé sur des valeurs qui défendent les plus faibles (avec des limites bien sûr… ils votent mal !) et admettent le partage, les vrais fondements de la république : pas ceux de Robespierre, mais ceux de Gracchus Babeuf, et pas ceux des communistes… c’est vous dire ! Le ver était dans le fruit dès 1789 : quand les révolutionnaires se sont alliés aux bourgeois (Sarko et Bollo sont dans un bateau…) et de toute façon, la planète que l’on pille sans jamais rétribuer en fera payer le prix. C’est là le pire, car notre espèce qui s’est auto-consacrée supérieur ne respecte plus le vivant, depuis le génocide des indiens… il ne reste plus guère d’humains reliés à ce puits, et certains sont fous de nouveaux dieux dangereux.

    Epilogue/Epitaphe
    Que vivent nos jardins extérieurs et intérieurs, leur culture ne sera pas vaine.
    Que ceux qui marchent sur la tête se tapent enfin des migraines !

  3. Lu dans Actu Environnement
    La FAO encourage les États à intégrer l’agriculture biologique dans leurs priorités nationales
    Convaincue que l’agriculture bio pourrait satisfaire la demande alimentaire mondiale tout en réduisant les impacts sur l’environnement et la pauvreté, la FAO encourage les États à intégrer ce mode de production dans leur stratégie de développement.

    Suite à la publication de son rapport Agriculture biologique et sécurité alimentaire l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) encourage les États à intégrer l’agriculture biologique dans leurs priorités nationales. Présenté à l’occasion de la Conférence internationale sur l’agriculture biologique et la sécurité alimentaire qui s’est tenue du 3 au 5 mai à Rome, le rapport rappelle que l’agriculture biologique n’est plus un phénomène propre aux pays développés. En 2006, elle était pratiquée dans 120 pays sur un total de 31 millions d’hectares et représentait un marché de 40 milliards de dollars.
    Après étude des points forts et des faiblesses de l’agriculture biologique et des caractéristiques de sa chaîne d’approvisionnement, le rapport conclu sans réserve que l’agriculture biologique est un modèle alternatif au service d’un développement durable qui a le potentiel nécessaire pour satisfaire la demande alimentaire mondiale tout comme l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui, mais avec un impact mineur sur l’environnement.

    Les auteurs du rapport expliquent en effet que la principale caractéristique de l’agriculture biologique est qu’elle s’appuie sur des biens de production disponibles sur place et n’utilise pas de carburants fossiles. De plus, le recours à des procédés naturels améliore aussi bien le rapport coût-efficacité que la capacité des écosystèmes agricoles à survivre au stress climatique.
    Par ailleurs, en gérant la biodiversité dans le temps avec la rotation des cultures et dans l’espace en travaillant sur l’association de cultures, les agriculteurs bio utilisent la main-d’œuvre et les services environnementaux pour intensifier la production de manière durable. Au final les coûts environnementaux externes de l’agriculture biologique sont nettement inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle. D’autre part, ce mode d’agriculture peut même dans certains cas lutter contre la dégradation naturelle de certains milieux.
    Autre avantage, l’agriculture biologique rompt le cercle vicieux de l’endettement pour l’achat d’intrants agricoles, endettement qui entraîne un taux alarmant de suicides dans le monde rural. Selon le rapport, la production accrue de nourriture dans les pays en voie de développement par la conversion des systèmes de subsistance à l’agriculture biologique est plus qu’une proposition sérieuse. Le défi n’est ni agronomique ni économique mais sociopolitique.

    Cependant, le rapport reconnaît que certaines conditions doivent être réunies lorsqu’on se convertit à l’agriculture biologique. Il s’agit principalement de la connaissance agroécologique et de la disponibilité de la main-d’œuvre.
    Toutefois, Nadia El-Hage Scialabba, experte à la FAO et auteur du rapport, estime que l’exigence d’une main-d’œuvre en nombre suffisant et les gains qui en découlent offrent, là où cette ressource est la plus abondante, des opportunités d’emplois tout en sauvegardant les moyens d’existence des ruraux.

    C’est pourquoi, la FAO invite les gouvernements à allouer des ressources à l’agriculture biologique et à intégrer ses objectifs et ses actions dans leurs stratégies nationales de développement agricole et de réduction de la pauvreté. La contribution de l’agriculture biologique à la création d’emplois et à l’accessibilité de la nourriture en milieu rural en fait un bon candidat pour être intégré au cœur des plans de développement.
    Le rapport estime que l’intervention publique est nécessaire pour préserver un cadre d’action juste alors que le secteur se développe, afin de protéger les petits producteurs dans les économies nationales et de renforcer la position des opérateurs des pays en voie de développement sur les marchés internationaux.

    La FAO insiste également sur les nécessaires investissements pour développer les ressources humaines et la formation dans ce secteur. La FAO propose par exemple que l’option de l’agriculture biologique devienne un thème à part entière de l’éducation agricole et environnementale dans les programmes éducatifs des écoles concernées.

    L’organisation des nations unies recommande également d’adopter un ensemble d’outils internationaux comme des normes de production, des procédures de certification et des conditions d’accréditation afin de limiter les entraves au commerce international. Ces outils internationaux devraient être assez flexibles pour permettre d’adapter les modes de production aux contextes locaux, tout en assurant des flux commerciaux équitables.

    Enfin, la FAO encourage les investissements en recherche et développement. Elle rappelle qu’au cours des 50 dernières années, la recherche agricole s’est concentrée sur les méthodes et les approches conventionnelles. La part de la recherche dans l’agriculture biologique est proche de zéro dans la plupart des pays et n’excède pas 1% des budgets totaux de recherches dans les pays développés.

    F.LABY

  4. En même temps, s’ils ne voulaient pas qu’on y fasse pousser des fraises, ils n’avaient qu’à pas l’appeler Danona leur Parc national !

    Est-ce qu’on aurait idée d’appeler… je ne sais pas moi : Monsanto un parc naturel garanti sans engrais ni OGM, Lactel une zone protégée dans laquelle on ne veut aucune vache, Adidas un espace où l’on souhaite préserver les derniers tatous à neuf bandes, etc ?

    Faut pas chercher non plus !!!

  5. Et elle dit quoi la FAO, concernant les OGM ?
    Elle n’est quand même pas noyautée par les « anti-OGM » ? Si ?

  6. Christophe, ça fait plusieurs fois que tu fais référence à Gracchus Babeuf. Je ne sais – pour ma part – quasiment pas qui c’est, ni ce qu’il a fait d’admirable. Tu peux (à l’occaz’) nous en dire deux-trois mots… ou nous orienter vers des liens/ouvrages suceptibles d’éclairer notre lanterne ?

  7. Il paraît que le film We feed the world qui traite du sujet est édifiant. Quelqu’un l’a vu ?

  8. Pour Gracchus Babeuf, je n’en suis pas un spécialiste. Le lien suivant pourra donc vous en apprendre un peu plus.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Gracchus_Babeuf
    Cela dit, en gros, Babeuf fait partie de ceux qui conrairement à Robespierre et ses sbires n’ont pas sacrifié l’esprit de la révolution française en pactisant avec les bourgeois. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, le commerce et le libéralisme sont eu cœur du projet de société de cette planète. Je suis certain que sans cette lâcheté, les fraises de nos marchés seraient moins amères.
    Lire à ce sujet le livre de Jean Ziegler « L’empire de la honte »… pas de quoi vous rassurer !

  9. Coucou,

    Un peu de nouveauté… C’est une première pour moi sur mon balcon-potager, il y aura des fraises cette année. Enfin je l’espère ! J’ai déjà essayé pas mal de choses. Petits pois, haricots, tomates, courgettes, herbes aromatiques… La productivité n’est pas celle du jardin bien évidemment mais le plaisir est le même et ça revivifie et soigne l’intérieur d’être au contact du vivant.

    À la recherche de quelques conseils, je tape « fraise » dans le moteur de recherche du blog à dupdup et j’atterris ici.

    Bon je retiens déjà que la belle est gourmande en matière organique. J’ai sélectionné la charlotte pour son goût évidemment et parce qu’elle produit sur plusieurs mois. Au goût, j’aime la gariguette aussi. Si vous avez d’autres variétés à me proposer et aussi des retours d’expériences, je suis preneuse.

    Bernard, tu as souligné dans ton article les dégâts causés par la culture intensive de la fraise en Espagne sur l’environnement. L’absurdité et l’aveuglement abiment les sols mais pas que…

    En Normandie où je me trouve, j’ai opté pour la cueillette chez les petits producteurs. Le reste de l’année, on s’en passe. C’est un choix.

    https://www.courrierinternational.com/article/harcelement-viol-et-abus-sont-le-lot-des-saisonnieres-marocaines-en-espagne

    https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/02/29/en-espagne-la-fraise-pousse-sur-la-misere_6031293_3234.html

  10. Je ne me souvenais même plus d’avoir écrit cet article. :wink:

    Vu du ciel, en Espagne, voilà ce que ça donne :
    https://www.google.com/maps/place/Almer%C3%ADa,+Espagne/@36.7441762,-2.7939207,24103m/data=!3m1!1e3!4m5!3m4!1s0xd7a9e00ecccf2c1:0x8d9da01f8ebc485e!8m2!3d36.834047!4d-2.4637136
    Vous pouvez zoomer et après avoir actionné le petit bonhomme en bas en droite vous pouvez vous balader virtuellement au milieu des serres. Impressionnant ! C’est ça le prix à payer pour manger des fraises en ce moment.

  11. C’est pas joli à voir.

    Monoculture.
    Logique productiviste.
    Écosystème dévasté.
    Supermarché-cimetière de la fraise.

    Rabelais disait :
    « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

    Je dis :
    « Travail du sol sans bon sens n’est que ruine de l’homme. »

  12. D’accord avec toi, le travail du sol est avant tout une question de bon sens. C’est sans doute sur ce principe-là qu’était basé le travail de nos Anciens.

  13. Najoi, je n’ai guère cultivé que quelques variétés de fraises donc je n’ai pas grand chose à dire sur le choix des variétés.
    Sur le mode de culture il faut savoir que les fraises ont de gros besoin en eau, ce qui rend difficile la culture des fraises remontantes (qui produisent du printemps à l’automne) car c’est compliqué en été. Par contre, pour les variétés habituelles non remontantes, qui ne donnent qu’au printemps, il y a souvent assez de pluie pour les alimenter. Privilégier donc ces variétés non remontantes.
    Les fraises aiment aussi la matière organique, elles se développent infiniment mieux si on peut apporter du fumier ou un autre amendement. J’ai l’habitude de mettre au début du printemps du « fumier pailleux » (de vache) autour des fraisiers. Avec la pluie, les éléments minéraux sont entraînés dans le sol et il reste de la paille sur le terrain, ce qui va contribuer à maintenir l’humidité.

  14. Je viens de lire les deux articles proposés par Najoi sur les conditions de vie des travailleurs qui viennent d’Afrique du Nord pour bosser dans ces endroits-là. Edifiant. Notre mode de consommation ici engendre bien souvent la misère sociale ailleurs. C’est un aspect des choses dont il faudrait parler à chaque fois qu’on aborde ce type de culture, et ne pas tendance à se limiter aux conséquences environnementales.

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