Petit dimanche musical (5)

Voici une nouvelle sélection musicale proposée par les lecteurs de ce blog. Avec pour commencer un document historique de Sviatoslav Richter jouant Frédéric Chopin (choisi par Isidore) :

Mais également Music for a while de Henry Purcell (Joëlle), Serge Reggiani (Vincent), A l’amour comme à la guerre de Philippe Leotard (Stephane et Nanou), The reason de Hoosbastank (Nico), Don’t stop me now de Queen (Fred D), The Jam (Christophe), Deep Purple (BF15), Cry Baby de Janis Joplin (Anne), les Jackson 5 (Oups), Bella Ciao (chant des partisans italiens) (Brind’paille), Erdelezi de Zaragraf (Serenense) et Truckin’ de Grateful Dead (moi-même).
Bon dimanche à tous.

17 réflexions au sujet de “Petit dimanche musical (5)”

  1. Typiquement le genre d’article ingrat pour Bernard :
    Très long à préparer… et si long pour nous à consulter, qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour les commentaires (après un samedi déménagement d’amie et un dimanche avec panne de freebox une bonne partie de la journée).

    La sélection de cette semaine fait la part belle aux voix, et donne un échantillon de ce que peut être une chanson.
    Même les morceaux rocks choisis mettent particulièrement en avant Freddie Mercury pour Queen et Ian Gillan pour Deep Purple.
    Les voix s’expriment de la manière la plus brute (Léotard qui parle plus qu’il ne chante par moment) à la plus sophistiquée (Philippe Jaroussky chantant Purcell).
    On a même droit à un petit détour par les chants de lutte avec Bella Ciao (les images d’archive sont bouleversantes).

    Sinon, il faut vraiment que je t’emprunte, Bernard, des disques de The Grateful Dead. Depuis le temps que tu en parles, je ne les connais toujours pas et le morceau choisi ne correspond pas du tout à l’idée que je m’en faisais… ça me plaît beaucoup plus que ce que je croyais.

  2. Vous avez déjà vécu une expérience extrême, un truc tout simple mais qui laisse pantois ?
    Un truc qui fait qu’après, on ne se sent plus tout à fait le même qu’avant ?
    Moi je l’ai vécu ce soir en allant sur le nouveau site de Steph… super, d’ailleurs.
    Bon, j’ai écouté les musiques, regardé les partitions, tout ci, tout ça, tranquille, tout que du confortable, du familier. Et va savoir pourquoi, je suis allée voir les logiciels qu’il avait fait, je ne sais pas ce qui m’a pris. Bon, le 1er, ça va, je comprends le principe. Le 2ème (eluna graph systèm), je comprends déjà un peu moins ce que ça veut dire et à quoi ça sert.
    Et ben je vous conseille d’aller voir en bas les commentaires sur ce truc ! là, c’est carrément planant (je me suis arrêtée au bout de 10), je vous jure, lisez-les, ça vaut le déplacement !
    Vous vous retrouvez complètement à l’autre bout de la planète ! une langue étrangère complète, avec plein de signes, et des mecs (très sympas d’ailleurs) qui causent la même langue et la comprennent tout à fait naturellement. Et le Stéph qui répond, qui trouve des chemins, des modifs et des espaces en trop, l’air tout naturel…
    Wouahouuuu ! Chapeau bas mister Stephane !
    Dire que je t’ai connu tout petit ! (ou presque !)

    Ca me laisse toute chose cette aventure, comme avec le sentiment d’appartenir à l’époque des dinosaures… ou comme toi, Bernard, dans ton nouvel article et ton … je ne sais plus quel sigle (en lien avec le téléphone portable qui rapporte 0 centime…).
    Je vous jure, faites le détour, c’est trop bien !

  3. Chopin, au piano, avait toujours l’air d’improviser, nous est-il dit ; c’est-à-dire qu’il semblait sans cesse chercher, inventer, découvrir peu à peu sa pensée. Cette sorte d’hésitation charmante, de surprise et de ravissement n’est plus possible si le morceau nous est présenté, non plus en formation successive, mais comme un tout déjà parfait, précis, objectif. Je ne vois point d’autre signification à ces titres qu’il lui plut de donner à certains de ses morceaux les plus exquis : Impromptus. Je ne crois pas possible d’admettre que Chopin les ait, à précisément parler, improvisés. Non. Mais il importe de les jouer de telle manière qu’ils paraissent l’être, c’est-à-dire avec une certaine, je n’ose pas dire : lenteur, mais incertitude ; en tout cas, sans cette insupportable assurance que comporte un mouvement précipité. C’est une promenade de découvertes, et l’exécutant ne soit point trop prêter à croire qu’il sait d’avance ce qu’il va dire, ni que tout cela est écrit déjà ; la phrase musicale qui, peu à peu, se forme sous ses doigts, j’aime qu’elle semble sortir de lui, l’étonner lui-même, et subtilement nous invite à entrer dans son ravissement.

    (Notes sur Chopin, l’Arche, 1949)

  4. Cette musique de Chopin, presque toujours, j’aime qu’elle nous soit dite à mi-voix, presque à voix basse, sans aucun éclat (j’en excepte évidemment certains morceaux hardis, dont la plupart des scherzos et des polonaises), sans cette assurance insupportable du virtuose, qui la dépouillerait ainsi de son plus spécieux attrait. C’est ainsi que jouait Chopin lui-même, nous est-il raconté par ceux qui l’avaient encore entendu. Il semblait toujours en deçà de la sonorité la plus pleine ; je veux dire : presque jamais ne faisait rendre au piano son plein son, et, par là, décevait très souvent son auditoire qui pensait « n’en avoir pas pour son argent ».
    Chopin propose, suppose, insinue, séduit, persuade ; il n’affirme presque jamais.
    Et nous écoutons d’autant mieux sa pensée qu’elle se fait plus réticente. Je songe à ce « ton de confessionnal » que Laforgue louait chez Baudelaire.

    *

    Celui qui ne connaîtrait Chopin qu’à travers les trop habiles virtuoses, le pourrait prendre pour un fournisseur de brillants morceaux à effets… que je détesterais, si je n’avais su l’interroger moi-même, s’il n’avait su me dire à voix basse : « Ne les écoutez pas. A travers eux, vous ne pouvez plus rien dire. Et je souffre bien plus que vous de ce qu’ils ont fait de moi. Plutôt être ignoré, que pris pour ce que je ne suis pas. »

    (ibidem)

  5. En général, pour la musique de Chopin, (…) l’exécutant « adopte » un mouvement trop rapide. Pourquoi ? Peut-être parce que la musique de Chopin n’est en elle-même pas assez difficile, et que le pianiste tient à se faire valoir comme s’il était beaucoup plus difficile, lorsqu’on atteint une certaine maîtrise, de jouer vite que de jouer lentement. Par tradition surtout. L’exécutant qui, enfin, pour la première fois, oserait (car il y faut un certain courage) jouer la musique de Chopin sur le tempo qui lui convient, c’est-à-dire beaucoup plus lentement que l’on n’a coutume, la ferait pour la première fois vraiment comprendre, et d’une manière susceptible de plonger son public dans une extase émue ; celle que Chopin mérite d’obtenir.

    *

    Tel qu’on le joue d’ordinaire, tel que tous les virtuoses le jouent, il n’en reste à peu près plus rien que l’effet. Tout le reste est imperceptible, qui précisément importe surtout : le secret même d’une oeuvre où aucune note n’est négliggeable; où n’entre aucune rhétorique, aucune redondance, où rien n’est de simple remplissage, ainsi qu’il advient si souvent dans la musique de tant d’autres compositeurs, et je parle même des plus grands.

    *

    Il ne s’agit pas ici (encore qu’on le puisse) de ralentir à l’excès le tempo de la musique de Chopin. Il s’agit tout simplement de ne pas la presser, de lui laisser son mouvement naturel, aisé comme une respiration. Je voudrais, en tête de l’oeuvre de Chopin, inscrire les vers exquis de Valéry :

    Est-il art plus tendre
    Que cette lenteur ?…

    (ibidem)

  6. Insupportable habitude de certains pianistes de phraser Chopin, et de ponctuer pour ainsi dire la mélodie. Tandis que, précisément, l’art le plus exquis et le plus particulier de Chopin et par où il diffère le plus merveilleusement de tous les autres, je le vois dans cette ininterruption de la phrase ; dans l’insensible, l’imperfectible glissement d’une proposition mélodique à une autre, qui laisse ou donne à nombre de ses compositions l’apparence fluide des rivières.
    Par où cette musique rappelle l’indiscontinue mélodie de la clarinette arabe qui ne laisse point sentir le moment où le musicien reprend souffle. Il n’y a plus là ni points, ni virgules ; et c’est pourquoi je ne puis approuver les « points d’orgue » qu’ont rajoutés, dans le choral du Nocturne en sol mineur, certains éditeurs et certains exécutants malavisés, pour le contentement des sots…

    *

    Si je me plains que l’on joue souvent la plupart des morceaux de Chopin beaucoup trop vite, je dois dire que, par contre, le Prélude en si mineur me paraît souvent joué trop lentement. Il semble qu’on cherche à le rendre mélancolique, le plus mélancolique possible… Je me souviens de l’avoir entendu exécuté en accompagnement d’une récitation d’un poème de Baudelaire. Ainsi, la musique et la poésie se trouvent également compromises. Laissons cette invention à ceux qui n’aiment vraiment l’une ni l’autre.

    (ibidem)

  7. Certaines des œuvres les plus courtes de Chopin ont cette beauté nécessaire et pure de la résolution d’un problème. En art, bien poser un problème, c’est le résoudre.

    *

    J’ai souvent entendu rapprocher Beethoven de Michel-Ange, Mozart du Corrège, de Giorgione, etc. Encore que ces comparaisons entre des artistes d’un art différent me semblent assez vaines, je ne puis me retenir de remarquer combien souvent s’appliquent également à Baudelaire les remarques que je puis faire au sujet de Chopin, et réciproquement. De sorte que, déjà plusieurs fois, parlant de Chopin, le nom de Baudelaire est venu tout naturellement sous ma plume. « Musique malsaine », disait-on des oeuvres de Chopin. « Poésie malsaine », disait-on des Fleurs du Mal, et, je crois bien, pour les mêmes raisons. L’un et l’autre ont un semblable souci de perfection, une égale horreur de la rhétorique, de la déclamation et du développement oratoire ; mais surtout je voudrais dire que je retrouve chez l’un et chez l’autre un même emploi de la surprise, et des extraordinaires raccourcis qui l’obtiennent.
    De plus, il me semble que Chopin, dans l’histoire de la musique, tient à peu près la place (et joue le rôle) de Baudelaire dans l’histoire de la poésie, incompris d’abord l’un comme l’autre, et pour de semblables raisons.

    *

    Ah ! qu’il est donc difficile de lutter contre une fausse image ! En plus du Chopin des virtuoses, il y a celui des jeunes filles. Un Chopin trop sentimental. Il l’était, hélas ! mais il n’était pas que cela. Oui, certes, il y a le Chopin mélancolique et qui même obtint du piano les plus désolés des sanglots. Mais, à entendre certains, il semble qu’il ne soit jamais sorti du mineur. Ce que j’aime et dont je le loue, c’est qu’à travers et par delà cette tristesse, il parvient pourtant à la joie ; c’est que la joie en lui domine (Nietzsche l’avait fort bien senti) ; une joie qui n’a rien de la gaîté un peu sommaire et vulgaire de Schumann ; une félicité qui rejoint celle de Mozart, mais plus humaine, participant à la nature, et aussi incorporée dans le paysage que le peut être l’ineffable sourire de la scène au bord du ruisseau dans la Pastorale de Beethoven. Avant Debussy et certains Russes, je ne pense pas que la musique ait encore jamais été aussi pénétrée de jeux de lumière, de murmures d’eau, de vent, de feuillages. Sfogato, inscrit-il ; aucun autre musicien a-t-il jamais usé de ce mot, eut-il jamais le désir, le besoin d’indiquer cette aération, cette bouffée de brise, qui vient, interrompant le rythme, inespérément rafraîchir et parfumer le milieu de sa barcarolle ?

    *

    Il faut bien que j’avoue mon peu de goût pour certaines grandes compositions de Chopin des plus célèbres – l’Allegro de Concert, la Polonaise-Fantaisie (op. 61) et même la grande Fantaisie en fa mineur tant prônée. Ce sont là des morceaux d’apparat pour grand public, déclamatoires et quelque peu redondants, d’où pathétique facile, à effets, et où je ne retrouve plus qu’à peine l’incomparable artiste des Préludes et des Etudes. Il ne me vient jamais le désir de me les jouer, et encore moins le désir de les entendre. Je les abandonne aux professionnels qui remportent avec eux, dans les salons, des succès faciles. L’on m’excusera donc de n’en rien dire.
    En revanche la Barcarolle et la Berceuse qui souvent se fourvoient dans ce recueil de « pièces de concert », sont des compositions de Chopin que je préfère et même peu s’en faut que je ne mette, ainsi que faisait Nietzsche, la Barcarolle au sommet de toute son oeuvre. J’en parlerai plus loin longuement. Mais, incidemment, je voudrais déjà remarquer que ces deux oeuvres baignent dans une extraordinaire joie ; la Berceuse dans une joie tendre et toute féminine ; la Barcarolle dans une sorte de lyrisme radieux, gracieux et robuste qui explique la prédilection de Nietzsche… et la mienne.

    (ibidem)

  8. Il fait trente degrés dans ma chambre. J’écoute du Chopin, extrêmement accordé à la canicule.

    *

    Concerto pour piano et orchestre de Chopin, écrit à dix-neuf ans ! Quelle profondeur et quel brillant ! La veine la plus « authentique » chez moi, c’est la veine romantique. Je me suis trompé d’époque – et, j’ajouterai, d’histoire, de monde, d’univers, d’être.

    *

    Ecouté beaucoup de Chopin ces derniers jours. Je comprends que Nietzsche fou, c’était la seule musique à laquelle il réagissait encore. Parfois on a l’impression que même mort, elle vous touchera encore.

    (Cahiers 1957-1972, Gallimard, 1997)

  9. Le dernier des nouveaux musiciens qui ait vu et adoré la beauté, à l’égal de Léopardi, le Polonais Chopin, lui qui fut l’inimitable (tous ceux qui sont venus avant et après lui n’ont pas le droit à cette épithète), Chopin, dis-je, possédait la même noblesse princière dans la convention que Raphaël dans l’emploi des couleurs traditionnelles les plus simples, – non par rapport aux couleurs toutefois, mais, aux usages mélodiques et rythmiques. Il admit ces usages, car il était né dans l’étiquette, mais, tel l’esprit le plus libre et le plus gracieux, se livrant dans ses entraves au jeu et à la danse – sans qu’il voulût même s’en moquer.

    *

    Presque tous les états d’âme et toutes les conditions de la vie ont leur moment de bonheur. C’est ce moment-là que les bons artistes savent découvrir. Même la vie au bord de la mer a le sien, cette vie si ennuyeuse, si malpropre, si malsaine, qui se déroule dans le voisinage de la canaille la plus bruyante et la plus rapace ; – ce moment bienheureux, Chopin a su prêter des accords dans sa Barcarolle au point que les dieux eux-mêmes pourraient avoir envie de passer, allongés dans une barque, les longues soirées d’été.

    (Humains, trop humains… Un livre pour esprits libres, 1878-79)

  10. Lorsqu’on aime le piano, on en revient toujours à Chopin.
    Ce matin , j’écoute des enregistrements historiques venant des grands pianistes de la première moitié du XXème siècle et je suis subjugué.
    Alors, si un jour vous avez envie d’aborder toute l’oeuvre de ce compositeur, le coffret qui suit est sans doute un « passage obligé » :
    http://www.abeillemusique.com/CD/Classique/BRIL93217/5028421932170/Brilliant-Classics/Frederic-Chopin/Integrale-de-l-OEuvre/cleart-24363.html
    Le coffret fait 30 CD. Les 17 premiers CD constituent l’intégrale de l’oeuvre et sont interprétés par de grands pianistes de notre époque. Les 13 autres CD sont des enregistrements historiques très anciens pour certains d’entre eux. Ils nous permettent d’écouter, dans des versions au son très bien restitué, ceux qui ont fait l’histoire de l’interprétation pianistique : Dinu Lipatti, Arthur Rubinstein, Alfred Cortot, Rosenthal et même Serge Rachmaninof enregistré en 1928 ! Un vrai bonheur !

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