« Codine », de Panaït Istrati

Un article proposé par Christophe (dans le cadre des lectures mensuelles de ce blog)

« Dès que l’homme est trop heureux, il reste seul ; et il reste seul également, dès qu’il est trop malheureux. » Panaït Istrati (extrait de l’oncle Anghel)

Il est probable que ce livre qui retrace une partie de la jeunesse d’Adrien Zograffi ne vous a pas laissé indifférent. La part autobiographique y est sans doute importante, bien qu’il soit difficile de démêler la part du romanesque dans l’œuvre de Panaït Istrati.
De fortes personnalités, souvent excessives, où la part d’ombre des personnages n’est pas occultée, c’est un des aspects de cette écriture qui me plaît énormément chez l’auteur.

Il y a Codine bien sûr, le forçat au grand cœur, mais qui meurtri dans son enfance, maltraite sa mère.

Deux passages qui témoignent de la rencontre entre Codine et Adrien… La naissance d’une amitié :
« Il tira de sa poche une de ces bourses en canevas avec des fausses perles et des franges, que les prisonniers fabriquent dans les maisons centrales ; il m’offrit une pièce en cuivre.
Je dis :
– Merci, monsieur : je n’accepte pas…
Très étonné, il laissa tomber sa main :
– Tu n’acceptes pas ? Pourquoi ?
– Parce que ma mère me dit qu’il ne faut rien accepter quand on rend un service…
– Tiens ! Ça, c’est pas mal… »
[…]
« – Sais-tu ce que c’est : faire mal à quelqu’un ?
– C’est le faire souffrir, dis-je.
– Non mon bonhomme… Tu n’y es pas. Le mal, le seul mal, c’est l’injustice : tu attrapes un oiseau et tu le mets en cage ; ou bien, au lieu de donner de l’avoine à ton cheval, tu lui fous un coup de fouet. »


Et puis deux autres extraits avec l’autre personnage de ce roman, Kir Nicolas, qui donnent un autre éclairage de l’humanité :
« – Alors, tu ne crois pas en la patrie, Kir Nicolas ? demandait Adrien.
– Mais si, pédakimou (mon petit enfant), j’y crois : la nuit, quand je travaille seul. Je me rappelle que je suis ici un « sale Albanais ». Alors je pense aux belles montagnes où je suis né et où j’ai passé une enfance douce et paisible… Et dans ces moments-là, je chante, ou je pleure ; mais jamais l’envie ne me prend d’égorger un homme en pensant à ma patrie. »

« Ainsi, isolé du monde, enveloppé par le ténèbres, Kir Nicolas redevenait chaque nuit l’homme-nature tel que les montagnes d’Albanie l’avaient créé, tel qu’il avait été avant d’être offensé par les hommes et mis à genoux par la vie.
[…] Il était alors beau à voir. »

C’est un des secrets d’Istrati : révéler l’humanité, même dans les situations les plus difficiles de l’existence.
Et il y en a, de ces moments-là !
J’espère que cette lecture vous aura transporté autant que moi, vers la nature sauvage de Braïla, si près du Danube…

61 réflexions au sujet de “« Codine », de Panaït Istrati”

  1. Avant que la discussion sur le fond ne commence, je voudrais juste dire mon admiration pour l’écriture parfaite de Panaït Istrati, un auteur qui a appris le français par lui-même à l’age de 30 ans.
    Loin d’être simplistes, les phrases sont néanmoins toujours fluides et agréables à lire.
    Le vocabulaire est riche. Y a t’il beaucoup de personnes dont le français est la langue maternelle, qui connaissent le mot « carex » ?
    Bref, chapeau bas !

  2. Au fait, le gâteau sur la photo est-il un (ou une) platchynta ?
    J’ai regardé dans le glossaire à la fin du livre mais je n’ai pas trouvé ce mot.
    J’ai aussi regardé sur le net et je n’ai rien trouvé non plus.
    Quelqu’un connait-il ce si merveilleux gâteau, pour une bouchée duquel une jeune fille serait prête à perdre son pucelage ? (Codine page 628).

  3. J’ai été très impressionné par l’intro du livre qui résume la vie de l’auteur. Une vie exceptionnellement riche, du même tonneau que celle des personnages, d’ailleurs réels, décrits dans Codine. Mais une fin de vie douloureuse aussi, Istrati ayant décidé de quitter notre pays pour se retirer dans sa Roumanie natale, dans laquelle il mourra très vite.

  4. Je n’ai pas encore fini « l’oncle Anghel », alors Codine …
    Pour l’instant, j’aime bien Cosma l’homme de la forêt, ses amours plus beaux à chaque fois mais tout aussi vite abandonnés, la force de titans de ces hommes , qui ressemble à la force des éléments et de la nature.
    Quand l’enfant (Jérémie je crois) est prisonnier de je ne sais plus quel sultan, il compare les hommes bien traités mais au service du sultan à ceux de la bande de Cosma, et il trouve que c’est comme pour les chevaux : ils ont perdu leur vitalité, ils sont amollis par le bien-être. Il regarde aussi le jardin dans lequel il est autorisé à se promener, agréable mais entouré d’un mur, et il pense que les arbres aussi ont perdu leur vigueur, la liberté de pousser comme bon leur semble, ou plutôt comme leur nature leur permet de pousser.
    Ce qui me semble important dans les personnages, c’est cette vitalité qui ne peut s’exprimer qu’au prix de la liberté, même si le prix est fort …
    Quand la vie libre s’exprime, impossible de soumettre l’homme : c’est une belle leçon.
    Plutôt mourir qu’être au service de qui que ce soit!
    Mais la liberté de Cosma a son travers : elle détruit ce qu’elle touche. Son frère représente la raison. Cosma doit l’épuiser avant d’entendre et admettre sa voix (quand il oblige son frère à le porter sur le dos). Comme si la raison ne pouvait se révéler qu’après épuisement de sa propre force. Ou comme si elle ne pouvait s’exprimer qu’après avoir « éprouvé » la force libre.
    J’aime beaucoup aussi les personnages de la mère et la fille du récit précédent, dont la nature profonde est d’aimer les hommes, et qui revendiquent d’exprimer cette nature. Les hommes le leur rendent bien, et seuls le mari et son fils haïssent cette liberté qu’ils ne peuvent soumettre et la beauté des femmes qu’ils ne savent pas voir.
    Ces récits « des mille et une nuits » ont la force des contes car ils dévoilent des vérités universelles.

  5. Cette lecture semble avoir plu, j’en suis bien content !
    On parle beaucoup de Camus actuellement (50ème anniversaire de sa mort). Istrati a un point commun avec lui : il dénonce très tôt la dérive totalitaire du régime communiste en URSS.
    Au sujet de la platchynta, je n’en ai pas non plus trouvé d’illustration sur le net… ni goûté ! J’ai choisi cette image parce qu’elle symbolisait pour moi la générosité de Kir Nicolas.
    Ah Cosma ! Effectivement un titan, mais dont on ne parle pas dans Codine.
    Avez-vous comme moi été sensible au destin tragique du cheval et de Codine, mais aussi à celui de la mère de celui-ci ?
    Je partage l’avis d’Etincelle sur la qualité de l’écriture, et j’ajoute que la présence de la nature (canards, crapauds…) dans le récit rend le récit très agréable pour un naturaliste…
    Vos jeux de mots ne me « laîchent » pas indifférent : votre tour a don de me plaire !

  6. A la lecture de ces livres (je suis en train de lire le dernier, Mikhaël), on sent bien que l’auteur connaît très bien la nature.
    Une connaissance autre que livresque, une connaissance vécue.
    Panaït Istrati est une très grande découverte pour moi et je me demande bien comment je ne connaissais pas encore cet auteur.
    J’aime énormément tout ce qu’il écrit, et les autres livres encore plus que Codine.
    Ce qui j’aime par-dessus tout, c’est que les personnages font quasiment tous partie de ces gens qu’on dit peu fréquentables mais Panaït Istrati nous montre leur part d’humanité, cachée aux yeux de ceux qui se détournent d’eux.
    C’est ce que j’ai toujours pensé, personne n’est tout blanc ou tout noir.
    Même dans le noir on peut trouver une petite lueur et Panaït Istrati a le don pour nous montrer cette petite lueur.

  7. Contrairement à vous, je n’ai pas été très sensible à l’aspect naturaliste du livre. J’ai surtout été pris par la profondeur des personnages et leurs côtés complexes.

  8. L’aspect naturaliste ne concerne que des petites touches, des petits plus, en quelque sorte.
    Bien sûr que l’essentiel est dans les personnages.

  9. Suis d’accord sur l’importance des personnages et avec l’éclairage d’Etincelle (fastoche hein !) : le manichéisme n’existe pas vraiment chez Istrati, et c’est bien ce qui en fait pour moi un véritable humaniste.
    L’on doit chaque jour faire avec bien des aléas, et l’un de ceux-ci, considérable, réside au plus profond de notre être.
    Arbitrer entre la pulsion et la réflexion, crever cet égo qui est si avilissant, etc., c’est en grande partie là que réside la liberté dont parle Istrati, je crois.
    Istrati est une des voix qui me permet de considérer l’être dans son ensemble, avec ses faiblesses, avec ses forces. L’époque a profondément changé et on se demande souvent si de telles personnalités pourraient encore subsister… c’est le cas, car l’humain existe encore.
    Au sujet de la nature, il y a des textes plus riches que Codine sur ce thème, mais je crois que ma profonde attraction pour les fameuses « zones humides » et le mythique Danube m’incline à sublimer les quelques phrases de l’auteur à ce sujet.
    Une belle écriture, une évocation, un mot juste, et je suis parti loin, rendu sourd ! C’est le seul regret que je puisse avoir pour ceux qui ne savent pas lire (à condition qu’ils n’en aient pas le besoin pour échapper à une condition diffcile) : ne pouvoir effectuer ce voyage extraordinaire.
    Panaït Istrati est responsable d’une de mes plus belles expédition. :cool:

  10. Des hommes, des vrais. Des femmes, des vraies.
    – J’ai me suis amusé à cherché le mot ‘platchynta’ – Sur Google book : http://books.google.fr/books , puis on écrit le mot dans Recherché, puis: Hellenistic relief molds from the Athenian Agora‎ – Page 61, on apprend que le non de ce gateau vient du latin placentarius (patissier). Sur http://site.voila.fr/cuisineromaine/cereales1.htm , on trouve: la placenta est une des douceurs antiques la plus souvent citée. Aux origines, c’est un gâteau traditionnel, confectionné à la maison lors des fêtes religieuses. Peu à peu, elle va perdre ce caractère exceptionnel et devenir une pâtisserie courante que l’on achetait chez le pistor placentarius, découpée en morceaux, vu sa grande taille et un poids qui pouvait atteindre huit kilos (Caton). Elle connaîtra toutes sortes de variantes.
    Des origines probables. On doit (presque) tout a nos anciens de la Méditerrannée.

  11. Dans ce livre, on a l’impression d’une petite communauté étroite qui se reconnaît à des signes bien particuliers et qui ne peuvent échapper les uns aux autres. Il est évident qu’Adrien ne pouvait pas ne pas rencontrer le pâtissier, que ce n’est pas un hasard si Mikhaïl (dans le roman suivant) atterrit lui aussi chez le pâtissier, rencontre également Adrien et que tous se retrouvent face à face au peintre Petrov qui semble les attendre. Impossible pour Adrien et Mikhaïl d’échapper à leur destinée commune placée sous le signe d’une amitié indéfectible.
    Troublant.
    Istrati croit-il à des chemins personnels bien déterminés auquel tout Homme, quelqu’il soit, ne peut échapper ?

  12. Ou hypothèse que je crois au moins en partie pouvoir étayer : les fortes personnalités qui entourent Adrien dans son enfance (mère, oncles, tantes, voisins…), sont les figures qui, magnifiées, constituent la base de sa quête de l’humanité.
    Il paraît évident que certains épisodes, au moins les plus violents, mais aussi les plus amoureux, ne sont pas complètement inventés. Probable aussi que le temps de grandir, le besoin d’absolu qui habitent l’auteur, ont contribué à rendre ces personnages presque mythiques.
    Cette communauté étroite sont tu parles Bernard, c’est au moins celle de la famille, enrichie sans doute par les constructions ultérieures (adultes, historiques) de la personnalité du jeune Adrien alias Panaït Istrati, pour délivrer une parole sur l’humain. Je ne suis, par exemple, pas certain que l’épopée des Haïdoucs ait a ce point pu être vécue par l’auteur.

    Désolé pour ceux qui n’ont lu « que » Codine, mais il est certain que le Blogadupdup est animé par une lecture totalement anarchique de l’œuvre d’Istrati… Le pire est que j’apprécie au plus haut point cette indiscipline !

  13. Drôle de place que celle des femmes dans ce livre (tout du moins dans Codine + Mikhaïl) : la femme n’y est pas très féminine, il n’y a pas vraiment de place pour la femme amoureuse, amante ; la femme est surtout là en tant que mère, qui bosse et essaie de faire vivre le foyer … Epoque difficile que cette Roumanie de début de siècle !

  14. Bernard, pose la question :
    « Istrati croit-il à des chemins personnels bien déterminés auquel tout Homme, quelqu’il soit, ne peut échapper ? »
    Je crois que la réponse est dans cette phrase qu’Istrati écrit dans Mikhaël (page 678), justement à propos de la rencontre d’Adrien avec Mikhaël :
    « Il y avait là ce doigt mystérieux qui guide le pas des hommes « .

  15. « « La pauvreté et l’amour ne font jamais bon ménage ». »
    C’est ce qu’écrit Panaït Istrati dans Codine. C’est peut-être la raison pour laquelle la femme, dans ce livre, n’apparaît pas comme une amante mais comme une mère, travailleuse acharnée et dévouée (surtout la mère d’Adrien), puisqu’on est ici dans un milieu très pauvre.
    Cependant, dans les quatres récits d’Adrien, qui précèdent Codine, la femme amante apparaît plusieurs fois.

  16. Etincelle, c’est une forte phrase que celle-là.
    Cette difficulté à faire entrer l’amour dans la misère constitue sûrement un de plus puissants repoussoirs qui soient. J’ai pu constater plusieurs fois combien la déception est grande chez ceux qui veulent apporter un réconfort aux pauvres, lorsque ce qu’ils souhaiteraient récolter en retour ne se produit pas.
    Et c’est aussi de cette façon que l’on tue le plus sûrement possible l’humain qui, réfugié, clandestin, hébergé en foyer, attendant la peu vraisemblable acceptation de l’OFPRA, se trouve dans l’incapacité de rendre, donner voire simplement dire merci. Cela peut le conduire à vous cracher au visage.
    Enfin, à propos de l’amour encore, il y en a plusieurs très belles histoires dans l’œuvre d’Istrati, avec ma préférée dans le volume 3 des œuvres.
    Mais dans Codine, il y a tout de même l’amour entre Kir Nicolas et sa femme… abîmée, c’est vrai, par a maladie, mais encore présente.
    Quelle misère !

  17. Celui qui est dans « l’incapacité de rendre, donner, voire simplement dire merci » trouverait la recette dans les pages écrites par Panaït Istrati :
    « Ami vaincu par la solitude, où que tu te trouves, dans ce monde, ressaisis-toi et sois grand comme la joie, comme la douleur, devant l’inconnu qui vient t’offrir promptement son coeur ! Ne marchande pas le trésor que tu caches au trésor qui t’est offert. Quels que soient les orages qui aient pu dévaster tes espérances, sois noble, sois confiant, crois toujours à la propre chaleur de ton âme et ne la refuse pas à l’assoiffé qui te la mendie : du moment que tu la sens en toi, tu peux être certain que tu n’es pas le seul à la posséder-car nul n’a le monopole de la belle vie- et mieux vaut être dupe cent fois en une heure que de faire tort à un seul ami de ta trempe! » (Mikhaïl page 699)

  18. L’histoire qui m’a le plus parlé, peut-être à cause de mes origines paysannes, c’est celle de l’oncle Dimi et de cette horrible nuit dans les marais qui se soldera par la mort du cheval, unique outil de travail de la famille. Et j’ai aimé la fierté de cet homme qui refuse que son riche frère lui donne un cheval ou lui en achète un. Une fierté trop exacerbée qui va lui valoir à coup sûr des lendemains qui déchantent. Et les dernières phrases de cette histoire (« et j’irai au bagne … ») laissent entendre que sa vie risque de très très mal tourner.

  19. De toute façon, il en faut parfois encore moins que ça pour que sa vie tourne très très mal.
    Etre au mauvais moment au mauvais endroit et tout est joué !

  20. L’épisode du cheval m’a aussi marqué même si mes origines ne sont pas paysannes. J’ai assez côtoyé (et monté comme on dit) ces petites bêtes pour m’en sentir très proche. Le drame qui est vécu là, dans le marais, est de ceux qui doivent aussi marquer un enfant, et je pense que cet épisode, même s’il est romancé, fait référence à un souvenir de l’auteur. Ce cheval faisait aussi la fierté de son propriétaire, mais je ne me souviens pas qu’il se venge. A vous de lire !
    Le destin de Cosma, ou de Floarea Condrilor — dont notre Basquaise favorite a dû s’inspirer non ? — est autrement plus épique !
    Au sujet des passages marquants, j’ai aussi été impressionné, à la lecture, par la description du travail de Kir Nicolas, la nuit, lorsque libéré de ses fardeaux, redevenu l’homme-nature, il façonne sa pâte. Il y a là un magnifique passage sur le travail, l’acharnement à produire un résultat de qualité ; un bel hommage à l’artisan, au cœur mis dans l’ouvrage.
    Et de quoi réfléchir à ce que représente le travail aujourd’hui pour beaucoup d’entre-nous…

  21. Ces artisans, patrons d’Adrien à différentes époques, sont des crèmes !
    Kir Nicolas, le patissier : la bonté même !
    Pétrak, le peintre : débonnaire et enjoué.
    Et aucun des deux n’est près de ses sous.
    Ceci explique peut-être cela !

  22. C’est justement parce qu’il n’est pas près de ses sous qu’il n’en a pas parce quand on fait un si bon gâteau, qui plaît tant à la clientèle …
    Ca me fait penser à deux de mes oncles, qui étaient tous deux plombiers.
    Le premier était une crème qui faisait surtout des dépannages chez les gens et qui souvent ne faisait pas payer.
    Celui-là, il ne s’est jamais enrichi.
    Le deuxième était plus ambitieux, recherchait les chantiers bien lucratifs et ne rendait jamais un petit service sans le faire payer (même à la famille).

  23. J’ai terminé hier soir le tome 1 des oeuvres de Panaït Istrati.
    Je peux sans exagérer dire que ça a été une révélation pour moi.
    Christophe, je te suis reconnaissante d’avoir proposé cette lecture sur le blogadupdup et de m’avoir ainsi ouvert ce nouvel horizon.
    Dans ta présentation, tu demandes si nous avons été aussi transportés que toi par cette lecture.
    Oui, j’ai été véritablement transportée par des phrases telles que celle-ci :
    « Ah ! Que de tort on fait dans sa vie ! Lorsqu’on voit un homme estropié d’une jambe ou d’un bras, personne ne lui jette l’opprobre, chacun a de la pitié ; mais tout le monde recule, personne n’éprouve de la pitié devant un estropié de l’âme ! … Et pourtant, c’est le pilier même de la vie qui lui manque. »
    Panaït Istrati, s’il est touché par la misère physique (la femme malade de Kir Nicolas) et par la misère tout court, l’est surtout par la misère de l’âme, par ces « estropiés de l’âme », comme il les appelle, ceux qui ont été maltraités, ou trahis, ou …
    Codine, ce colosse brutal que tout le monde craint en est le parfait exemple. Et pourtant, le regard neuf et plein d’amour d’un enfant a suffit à le faire fondre.
    Ce dont ces « estropiés de l’âme » ont besoin avant tout, c’est d’un peu d’amour.

  24. C’est un grand plaisir de savoir que tu as pu faire là une belle lecture. La suite des œuvres d’Istrati est fort enrichissante aussi.
    Il fait d’ailleurs partie de ces estropiés et a fortement souffert de maladie. La lecture de telles œuvres a pour effet positif de donner du sens à la vie et de motiver l’humanisme comme l’amour. Merci Panaït ! (un peu familier, mais c’est comme ça).

  25. Concernant ta dernière réflexion, Christophe, je pense que d’une manière générale, beaucoup de livres qui ont été proposés à la lecture sur ce blog, ont, comme Codine, « pour effet positif de donner du sens à la vie ». Ils sont un formidable outil de compréhension de l’Autre, une ouverture sur le monde donc, mais aussi un rappel, à nous qui faisons partie d’une civilisation repue, de ce que sont les conditions difficiles un peu partout dans le monde. La difficulté à vivre, à apaiser sa soif, sa solitude, sa faim, son déracinement, … sont des choses que la plupart d’entre nous ignorent. Ces livres peuvent nous aider à développer cette conscience des choses. Quand je dis « ces livres », ce n’est pas seulement « Codine », c’est aussi bien « les contes de la vierge froide et autres racontars », que « les immortels d’Agapia », « Qui se souvient des hommes », « les campagnes hallucinées » ou même, dans un registre fort différent, « l’automne à Pékin ».

  26. Oui, et je me demande souvent ce que pourrait être ma vie sans le livre, ou, d’une autre façon, ce qui construit la vie de ceux qui ne lisent pas. Au point de me poser la question suivante : contemplatif, lecteur et observateur invertébré comme je suis, comment ferais-je si je devais perdre la vue ?
    En tout cas profondément d’accord avec toi sur le « plus » qu’apporte une nouvelle lecture, c’est à chaque fois une nouvelle perspective, un enrichissement, et c’est merveilleux de pouvoir le partager.
    Au fait, faudra que je t’emprunte les volumes suivants de la BD proposée par Luc de Belgique… J’aimerais bien savoir la suite !

  27. L’ouverture sur le monde dont parle Bernard peut bien sûr être approchée par les livres, et comme Christophe, je me demande ce que je serais sans les livres. Ils font partie de ce qui nous construit.
    Pourtant, il me semble que se contenter des livres ne suffit pas.
    Une expérience livresque n’est pas complète je crois.
    Il faut aussi aller à la rencontre de l’autre.
    Le moyen le plus sûr d’y parvenir est le voyage.
    Bien sûr, je ne parle pas du voyage en club de vacances où chacun navigue du terrain de golf à la piscine en passant par le bar.
    Ni du voyage organisé dont le programme est bien défini d’avance, pendant lequel vous ne verrez que ce qui est prévu de voir, vous dormirez dans des hôtels qui pourraient aussi bien être dans la ville près de chez vous et vous ne rencontrerez personne d’autres que ceux qui sont avec vous.
    Non, je parle du voyage seul, à la grande rigueur à deux, avec le portefeuille plus vide que bien rempli, où rien n’est défini à l’avance.
    Si en plus ce voyage se passe dans un pays à la culture complètement différente de chez vous et si encore en plus le pays est un pays pauvre, alors là, je peux vous assurer que votre vision du monde change du tout au tout, et en plus vous pouvez alors relativiser pas mal de choses.
    Il y a un livre que j’aurais voulu proposer à la lecture du mois mais qui est trop gros. J’en avais déjà parlé sur ce blog. Son titre est La jeunesse du monde. L’auteur est Jean Vialar. On le trouve peut-être encore d’occasion sur Amazon. C’est un livre parfait pour mesurer la différence qu’il peut exister entre des personnes vivant à la même époque dans différents pays du monde.
    Et puis, il ne faut pas oublier le cinéma qui est aussi un excellent moyen de s’ouvrir au monde.

  28. Euh, j’ai oublié de dire que à mon avis, Panaït Istrati était ce qu’il était, en grande partie grâce à ses voyages.

  29. Désolée d’être aussi envahissante ce matin mais je voudrais rajouter encore quelque chose.
    Le voyage dont je parle peut se faire à l’étranger, bien sûr mais aussi dans son propre pays, dans un milieu autre que le sien car on n’avance pas beaucoup dans sa reflexion en restant toujours avec les personnes qui vivent comme vous, qui pensent comme vous …

  30. D’accord sur cet enrichissement apporté par le voyage mais on peut même faire à l’intérieur !

  31. J’ai beaucoup voyagé dans le monde grâce au partage de la musique … Des moments merveilleux dans les pays de l’Est communiste au milieu des années 80 . Logé dans des familles aux milles sourires malgré une misère apparente en dehors …. mais il faisait si chaud à l’intérieur …. Et toujours des chansons des musiques de l’amour entre les gens , les religions se mélangeaient ou se perdaient dans les chansons pour un soir au coin du feu dans les Balkans … Faire des voyages sans partager tout ces bonheurs entre les peuples … Cela eut été bien triste , j’aurai oublié quelque chose en chemin pour le reste de ma vie . Il ne me reste pas une image sur papier de cette période . Mais dans mon coeur et dans ma tête reste les odeurs , les images et les sons qui me disent que tous les hommes sont fait pour vivre ensemble quand ils veulent bien partager autre chose que l’argent et le pouvoir .
    Juste un bout de fromage un verre d’alcool une cigarette un sourire et des chansons . C’était si simple le bonheur ………….
    http://www.youtube.com/watch?v=JGe4floVjho

  32. Oui, complètement d’accord avec toi Christophe mais pas pour l’ouverture aux autres dont parlait Bernard …

  33. Alors nous sommes parfaitement d’accord : voyage extérieur et intérieur, c’est connu pour former les jeunes que nous sommes !
    Le récit d’Yves (ouaf ouaf) sur ses rencontres, sans souvenir photo, me paraît assez bien illustrer ce que le voyage veut justement dire. Tu fermes les yeux, et les visages, le timbre des voix sont toujours là.
    J’ai comme vous un peu voyagé et il m’en reste des moments inoubliables. Reste effectivement à nourrir notre curiosité, à se tourner vers l’extérieur ; ce qui est dans chacun ne suffit pas, j’en conviens aisément.
    Que serions nous sans les livres, sans les autres? Sans doute rien car nous commençons à l’intérieur d’une mère… puis c’est le premier choc !

  34. Est-ce que vous n’avez pas été frappé par ce que Panaït Istrati appelle « la belle vie » ?
    Pas du tout la même définition que par chez et par les temps qui courent.
    Chez lui, cela ne veut pas dire avoir fondé un foyer, ou bien la dolce vita, ni même posséder une montre Rollex …
    Non, pour lui, avoir une belle vie, c’est savoir deviner la grandeur d’âme d’un miséreux et aimer l’Art. Etre habillé de guenilles, quelle importance !

  35. Et ça ferait un tas d’heureux. Mais cette façon de voir les choses doit être moins abordable avec une Rolex !

  36. Il y a quelques temps, une petite discussion avait eu lieu sur ce blog. Certains pensaient qu’il fallait aimer pour connaître et d’autres qu’il fallait connaître pour aimer.
    Voilà un extrait du livre Mikhaïl de Panaït Istrati:
    «- oui, mais pour aimer un homme, il faut d’abord le connaître.
    -C’est le contraire qu’il faut dire : pour pouvoir connaître un homme, il faut d’abord l’aimer. Ceux qui nous intéressent se font aimer, et par cela même ils se livrent à nous et se font connaître. Je crois qu’il n’y a que l’amour qui ouvre les cœurs. »

  37. Je viens de commander le tome 2 des oeuvres de Panaït Istrati …
    Chouette !
    Encore une bonne lecture à venir. :smile:

  38. Une belle nouvelle, car mon intention était bien le partage.
    Tu ne sera pas déçue, mais sache de suite que mon texte préféré est dans le tome III :tongue: Mais partie comme tu l’es, tu y échapperas difficilement !

    Quant à l’objet de la prochaine lecture, je le connais.
    Mais je n’ai aucun mérite : j’avais habilement mélangé du sérum de vérité à la bière de Dupdup.
    Le seul mérite c’est d’y avoir réussi : il fait gaffe à sa chopine le mec !
    :whistle:

  39. Je n’avais pas vu ce commentaire, effectivement, la ressemblance est troublante.
    Comme souvent, j’ai prêté hier soir le premier tome des œuvres d’Istrati et je me demandais si tu avais achevé la lecture du troisième Etincelle ?
    As-tu comme moi été transporté par une des plus belles histoires d’amour de la littérature ? Mais si tu es perchée là-haut, dans ta montagne… Ça doit être beau aussi !

  40. Je reprends la lecture de Panaït Istrati que Christophe nous a fait connaître.
    J’ai lu trois autres livres de cet auteur au cours des dernières semaines et je vais commander les volumes 2 et 3 de l’intégrale. Très très bon auteur !

  41. C’est même un auteur rare, d’une humanité exceptionnelle.
    J’ai lu toute son oeuvre après que Christophe (un immense merci à Christophe) nous l’ait fait connaître.
    Je ne peux que conseiller à tous de faire de même.

  42. Bonjour,
    J’ai le film Codine avec la bande sonore en roumain et le sous titre en français que quelqu’un de très calé doit le parcourir à la chasse de fautes car je suis roumain d’origine. Quant à la « placenta » attention c’est « plăcintă » car « placenta » ….
    The placenta is an organ that connects the developing fetus to the uterine wall to allow nutrient uptake, waste elimination, and gas exchange via the mother’s …
    :biggrin:

  43. Emilian, je serais curieux de goûter la plăcintă et rien d’approchant !
    Je ne savais pas qu’il existait un film portant sur l’œuvre d’Istrati, je tâcherai de me le procurer, car je suis curieux de voir ce que la vie d’Adrien Zograffi donne à l’écran.
    Merci pour la précision !
    Mais au fait, comment on prononce ce drôle d’accent « ă » ?

  44. ça me fait penser que, entre deux San Antonio, je viens de lire les autres romans du tome 1 des oeuvres complètes de Panaït Istrati. J’ai beaucoup aimé. :wub:

  45. Ah ! Comment passer à côté de la vie d’Adrien Zograffi…
    Mais San A, ça aussi c’est de la littérature ! Je pense avoir lu la moitié de cette prose si enlevée. Ma préférence va aux textes les plus anciens et les plus bruts… Rien de tel qu’un bon vieux Béru pour vous flanquer la patate !
    Quelques extraits pour les timides…

    Mes hommages à la donzelle
    Il y a une multitude de choses dont j’ai horreur. Les jeunes filles de plus de quatre-vingt-dix-sept ans, tout d’abord. Le poisson mal cuit, aussi. Puis les liaisons mal-t-à-propos ; les ouatères de wagons de seconde classe ; les bitures de Bérurier et les imparfaits du subjonctif de Pinaud. Mais s’il y a une chose qui m’énerve par-dessus tout, qui me file au bord du delirium très mince, c’est qu’on s’asseye sur mon chapeau… Surtout au cinéma… Surtout quand on l’a fait exprès… Surtout quand c’est le dargeot d’un truand qui est l’outrageur… Surtout quand tout ça cache le commencement d’une aventure insensée !

    Ça tourne au vinaigre
    Béru ne bronche pas… Je lui file une bourrade et le Gros bascule contre la vitre. Alors,je sens une cohorte de fourmis envahir mon calbar et remonter le long de mon anatomie. J’actionne le plafonnier de la voiture et je vois une formidable flaque de sang sur la banquette.
    Le Gros a bloqué une praline dans la région du cou et il s’est à peu près vidé. Tel, il me paraît un peu mort. Toute l’affection que je lui porte me remonte à la gorge. –  » Béru ! je balbutie. Béru, vieux pote, joue pas au con… Tu m’entends, dis ? « 

    La vérité en salade :
    Le maquillage de la mémère se craquelle comme une terre trop cuite. Elle a trois tours de perlouzes sur le goitre, deux suspensions avec éclairage indirect aux étiquettes et une dizaine de bagues qui la font scintiller comme l’autoroute de l’Ouest au soir d’un lundi de Pâques.
    Figurez-vous que ce monticule aurifié et horrifiant s’envoie un jules de vingt… carats ! Seulement, ce petit téméraire vient de se faire allonger…, du moins tout le donne à penser…  » Fouette dents de scie « , comme dit Bérurier, cet angliciste distingué !

  46. C’est marrant, je n’ai jamais lu un seul San Antonio. Mais en vacances, je suis toujours partant pour l’un ou l’autre Frédéric Dard.

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