A propos de la fiscalité

En général, je me hasarde peu à parler de l’actualité politique. Non que ça ne m’intéresse pas, au contraire, mais je crains les dérapages au niveau des commentaires (je crains les excès de langage qui desservent leurs auteurs mais je déteste encore plus les discours type « langue de bois » trop consensuels). Il devrait être possible, en théorie, de donner son point de vue sans en recourir forcément aux violences de propos. Mais bon, la vie politique en France ainsi faite, elle est fortement dualisée « gauche-droite » et peu de personnes arrivent à en parler de manière objective et non partisane. Pourtant, il me semble que l’on devrait pouvoir être de gauche et en même temps être capable d’approuver les mesures liées à la sécurité routières de Sarkozy (la seule chose que je lui concède alors que je me suis pris récemment deux excès de vitesse que j’ai d’ailleurs payés avec le sourire) et être de droite et reconnaître le (presque) millions de chômeurs en moins sous Jospin.

Y aurait-il quelques sujets traités dans l’actuelle campagne électorale qui pourraient donner lieu à des débats sur ce blog, sans que l’on s’engueule pour autant ? Oui, peut-être. Enfin, peut-être pas, mais je prends quand même le risque.

Prenons par exemple un sujet parmi ceux dont nous a parlé la presse les temps derniers : la fiscalisation. Il y a eu un gros couac au sein du PS à ce propos, François Hollande ayant annoncé une hausse de la fiscalité pour les personnes gagnant plus de 4 000 euros net par mois (par personne), ces propos ayant aussitôt été contrés par la candidate Ségolène Royal. Il ne s’agit d’ailleurs pas vraiment d’une hausse d’impôt mais simplement de revenir sur la baisse d’impôts des personnes touchant plus de 4 000 euros net, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Je ne souhaite pas trop placer mon propos sur l’aspect politique. Certes, le PS montre dans cette affaire une absence complète de préparation dans son programme et a loupé l’occasion de montrer un signe fort vis à vis des classes populaires qu’il souhaitait reconquérir. Inutile donc d’en rajouter une couche, beaucoup de choses ont été dites sur le sujet.

D’une manière générale, les propos de François Hollande ont été plutôt démolis par la presse et par le monde politique. A lire un grand nombre d’articles et un grand nombre de réactions politiques qui allaient surtout dans le même sens, j’avais l’impression que beaucoup de gens de notre pays gagnaient plus de 4000 euros net mensuel. Les journalistes de la grande presse qui ont écrit ces articles font probablement partie de ces nantis. Les hommes politiques qui ont réagi aux propos de Hollande, sans doute également. Ceci explique donc peut-être celà.

Peut-être qu’à vouloir trop contenter son électorat (qui n’est plus du tout issu des milieux populaires), Ségolène Royal a-t-elle commis une erreur. Pas seulement sur l’aspect stratégique et ce fossé qu’elle creuse entre le PS et les classes modestes, mais sur le fond. Car, réfléchissons objectivement à la proposition de François Hollande, elle n’était pas si absurde que ça. Je connais beaucoup de gens, je rencontre beaucoup d’amis qui, pour la plupart ont un travail et sont donc bien installés, ont une vie plutôt normale, sont issus de milieux très divers et presque tous, dans leur très grande majorité, ont un salaire inférieur à 4 000 euros net. Si je prends l’exemple de mon village de 300 habitants dans lequel je connais tout le monde, il y a à tout casser 5 ou 6 personnes qui gagnent peut-être cette somme.

A qui va-t-on faire croire que fiscaliser les salaires élevés, c’est dégoûter les gens qui veulent travailler ? Les gens que je connais et dont je parle ci-dessus sont des gens qui travaillent, autant que ceux qui ont des salaires élevés. Je déteste cette idée qui s’installe insidieusement depuis quelques années et qui laisserait à penser qu’il y a d’un côté des gens qui gagnent de l’argent et qui seraient les moteurs de notre société et les autres qui seraient à la traîne.

Je pense que les élus, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’ont plus vraiment de contact avec la réalité de terrain. On savait que la plupart ne savent pas combien vaut une baguette de pain, il est probable qu’il ne savent pas non plus ce que gagne un français moyen. En fiscalisant un peu plus ceux qui gagnent plus de 4 000 euros par mois, on ne mécontente qu’une petite partie de la population (d’ailleurs existe-t-il vraiment ce « français moyen’ dont on nous rabat les oreilles ?). Et cette partie là de la population est certes utile dans la marche de notre société, mais ni plus ni moins que les autres parties. Et puis, on le sait, tous les chiffres le montrent : les inégalités se creusent, les pauvres n’ont jamais été aussi pauvres et les riches aussi riches. Il faut donc avoir aujourd’hui le courage de dire STOP !

ALORS OUI, JE SUIS A 100% pour la proposition de François Hollande, tout comme j’aurais été également pour, si elle avait été émise par Nicolas Sarkozy.

Quant à la question de la bonne utilisation du budget de l’Etat issu de ces prélèvements directs sur le revenu, c’est évidemment une autre question.

J’espère qu’avec cet article, je ne me suis pas aventuré sur un sujet trop scabreux. Sinon, je me remets vite à ne parler que de tomates, de papillons et de musique !

19 réflexions au sujet de “A propos de la fiscalité”

  1. tout à fait d’accord avec toi sur la fiscalité. Difficile en l’état actuel de nos économies marchandes de faire fonctionner l’Etat dans ses missions régaliennes (sécurité des personnes et des biens pour l’essentiel) et dans ses missions de solidarité. La fiscalité constitue un élément important de la redistribution des richesses. La droite freine et la gauche en général développe, ce n’est pas un hasard.
    Au passage, Sarko veut diminuer la fiscalité (directe) et en encontrepartie de cette perte de recettes diminuer encore le nombre de fonctionnaires : il ne dit pas quels secteurs seront frappés la police ? l’armée ? l’Education Nationale ? l’environnement, etc ? Nico, pourquoi tant de silence, réponds moi pour m’éclairer dans mon vote !

  2. La part des impôts sur le revenu est infime dans le budget de l’Etat (je n’ai pas le chiffre sous les yeux, disons donc plutôt que ce n’est pas la ressource principale). Pourtant, c’est quelque part l’impôt le plus « juste » (comparé aux impôts indirects comme la TVA, etc.).
    Comment expliquer alors qu’une promesse de réduction est toujours efficace électoralement ?
    Il doit y avoir une sorte de « seuil symbolique » au-delà duquel tout prélèvement « visible » réveille les vieux souvenirs de taille et gabelle… qui ont tant fait saigner nos ancêtres.
    Les Scandinaves seraient-ils plus raisonnables que nous, ou juste plus amnésiques ?

  3. Pas si juste (en tout cas équitable) que ça l’impôt sur le revenu car il n’y a, paraît-il, que 50% des foyers fiscaux qui le payent. Un sur deux qui n’est pas concerné par son éventuelle hausse ou baisse, ça relativise tout de même la portée (ne serait-ce que symbolique) de l’éventuelle mesure, nan ?

  4. Imaginons qu’il n’y ait plus qu’un seul impôt direct sur le revenu :

    Qu’est-ce qui vous semble, dans l’idéal, le plus juste ?
    Un « taux de prélèvement » qui augmente avec les ressources ou le même pour tous quel que soit le revenu ?

    Dans l’un ou l’autre cas, y a-t-il selon vous un « plafond symbolique » à ne pas dépasser ? Si oui, lequel ?

    (Je ne sais pas vous, mais moi je suis bien incapable de répondre à des questions aussi simples que ça !!!)

  5. Les chiffres exacts (chiffres 2004) des recettes de l’état :

    Impôts indirects (63,7 %), dont :
    * la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (45,5 %) ;
    * taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) (7,5 %) ;
    * autres : notamment les droits de succession (10,7 %).

    Impôts directs (36,3 %), dont :
    * impôt sur le revenu (IR) (20,3 %) ;
    * impôt sur les sociétés (IS) (14,6 %) ;
    * autres : taxe sur salaires et impôt de solidarité sur la fortune (1,4 %).

    Effectivement, l’impôt sur le revenu représente une part relativement faible (environ 1/5) dans les recettes de l’Etat. Mais ce n’est pas infime pour autant, ça fait tout de même 53 milliards d’euros.

  6. Qu’est-ce qui est juste en matière fiscale ?
    Vincent dit que l’impôt direct n’est pas si juste que ça car 60% de la population n’est pas concernée.
    D’autres diront, au contraire, que si les couches sociales les plus démunies ne payent pas d’impôts, ce n’est que justice.
    Difficile donc d’appréhender la justice fiscale avec objectivité.

  7. Les chiffres ci-dessus montrent que l’ISF ne représente que 1,4% des recettes de l’Etat, ce qui est très peu. Et quand on sait que 10% des personnes possèdent 60% du patrimoine français (ce qui représente le plus grand écart entre riches et pauvres de toute l’Union Européenne), à qui fera-ton croire que ce petit 1,4% ruine les riches ?

  8. Bernard, t’as les chiffres pour les amendes ? ça rentre dans quelle catégorie ? Il me semblait avoir lu quelque part que ça représentait une ressource non-négligeable pour l’Etat.
    En ce qui concerne la justice fiscale, je sais bien qu’on ne peut pas satisfaire tout le monde, mais il me paraît évident et juste (jusqu’à preuve du contraire) que les plus hauts revenus payent le plus d’impôts, qu’ils soient directs ou non. Ils payent également plus de tva par exemple, puisqu’ils consomment plus a priori.
    Mais c’est vrai, j’ai pas d’idées sur le seuil symbolique ; dans l’idéal, garder suffisamment pour vivre confortablement sans chercher à spéculer, à avoir 5 maisons et 10 voitures (encore que là aussi ça rapporte des sous à l’Etat !), et puis voilà. Bon, en tout cas, j’ai hâte de repayer des impôts, moi !

  9. Que les plus riches payent plus d’impôts, personne ne le conteste, je crois (au moins depuis 300 ans). Mais une question demeure : la part prélevée doit-elle augmenter en fonction de la richesse (de 0% pour les plus pauvres à 75% pour les plus riches) ou rester la même (chacun donnant à l’Etat la même proportion de ses revenus) ?

    Dans une société où se mêlent impôts directs et indirects (d’autant plus quand ces derniers sont dominants), il peut paraître normal que cette proportion augmente : cela compense en quelque sorte l’injustice des impôts indirects.

    Mais, je repose ma question (un peu abstraite, certes, mais qui permet de mettre en lumière les conflits de valeur en matière de « justice »), en imaginant que tous les impôts soient directs : faut-il que le taux de prélèvement reste le même pour tous (10, 20 ou 30%) ou qu’il augmente avec la richesse ?

    Dans les deux cas, bien entendu, les riches payent plus, mais dans le 2e ils payent « proportionnellement » plus. Même si certains revenus atteignent des sommes à la limite du concevable, je conçois qu’un prélèvement imposé de 75% soit jugé par ceux qui le subissent excessif.

  10. Ce qui me semble bien plus « injuste » (que les propositions de plafond, d’ISF, etc.) c’est le système des amendes.

    Car là c’est non seulement un impôt indirect, mais en plus on ne peut même pas le justifier, comme la TVA, en laissant entendre que les plus riches en payent davantage car ils consomment davantage.

    Je suis mille fois « pour » des amendes proportionnelles aux revenus !!!

    (Je me trompe où ça se fait en Finlande… et c’est dejà venu récemment dans le débat public de la Présidentielle)

  11. Il me semble normal que la proportion de l’impôt augmente avec le revenu. Non pas dans l’absolu, car finalement, si l’écart entre les bas revenus et les hauts revenus était de l’ordre de l’acceptable et si les bas revenus étaient décents, il serait normal que la proportion de l’impôt soit à peu près la même pour tous. Probablement est-il normal que certains revenus soient l’équivalent de 5 SMIC, peut-être même dix, vu le niveau de responsabilités de certains dans le monde des grandes entreprises. Le problème, c’est que nous n’en sommes plus là et que les revenus de certains sont l’équivalent de plusieurs dizaines de SMIC, voire peut-être la centaine. Je pense qu’à partir de l’équivalent d’un certain nombre de SMIC (à définir probablement entre 5 et 10), il faut TAXER A MORT ! Ce n’est plus seulement un problème de justice fiscale mais un problème de décence (et aussi un problème de pillage des ressources de la planète car les hauts revenus engendrent une consommation effreinée).

  12. J’ai entendu je ne sais plus où qu’un des grands théoriciens de l’ultralibéralisme, lui-même, avait fixé le plafond « décent » à ne pas franchir dans le rapport entre le revenu des ouvriers à celui des patrons à 1 pour 30… C’est 3 fois plus que ce que tu préconises Bernard, mais 10 fois moins que ce qui se passe souvent aujourd’hui (certains patrons gagnent plus de 300 fois le SMIC).

    J’aime bien, en fait, cette idée de fixer un « équivalent nombre de SMIC » qui définit un seuil de décence à ne pas franchir ! Comme un seuil de patrimoine à transmettre à ses enfants (en nombre de quoi ???) !

  13. Jean-Daniel Lévy vient de signer un article dans le Monde, il y écrit notamment :

    « L’intervention de Ségolène Royal sur les impôts a probablement perturbé une partie de son électorat et ce à double titre : d’une part une majorité des Français et de son électorat soutiennent la mesure proposée par François Hollande (respectivement 57% et 68%, sondage CSA/France Europe Express/France Info des 17 et 18 janvier), d’autre part elle a quitté la posture et le rythme qu’elle s’était imposée.

    En prenant une telle position elle est entrée en débat avec le Parti socialiste en semblant exclure les Français de la décision.

    L’impôt est perçu comme un instrument au service d’une politique. Son taux, son utilité sont interrogés : Comment faire pour qu’il ne soit pas dissuasif ? Comment procéder pour qu’il soit le plus efficace ? Permet-il d’assurer une bonne redistribution des richesses ? Assure-t-il au final à l’Etat les moyens de mener à bien ses missions ? Autant de questions n’ayant pas trouvé de réponses.

    En clôturant le débat, Ségolène Royal a procédé à une inversion du calendrier : elle a pris position sur une modalité et non sur la finalité de son projet. Elle a ainsi déstabilisé une partie de son électorat au premier rang desquels les catégories populaires, les moins diplômés et les jeunes. Déstabilisation ne signifiant pas inévitablement décrochage. »

  14. Une fois n’est pas coutume, je lis avec un peu de retard les articles et commentaires du blog.
    Comme d’habitude, j’imagine au fur et à mesure la réponse que je prendrai peut-être le temps d’écrire…
    Mais Bernard a quasiment répondu à ma place. Avant de lire son commentaire, je comptais bien parler de l’écart indécent entre les plus petits et les plus gros salaires en France.
    Certains réclament que soit instauré un RMA (Revenu Maximum Autorisé -ou Acceptable, je ne suis plus très sûre).
    Quand Vincent parle de non équité car seule la moitié des foyers fiscaux paye l’impôt sur le revenu, je ne suis d’accord avec lui que quand il s’agît de baisse d’impôts, puisque c’est seulement dans ce cas que l’écart se réduit entre les revenus nets.
    J’aime la remarque de Mag quand elle dit qu’il lui tarde de payer à nouveau des impôts.
    Je trouve qu’il est commun, dans les conversations courantes, de faire état de son souhait de payer moins d’impôts, en faisant abstraction de deux éléments essentiels :
    Plus on paye d’impôts, plus on gagne d’argent (en net, et en fin de compte)
    L’argent des impôts permet (ou devrait permettre) de renforcer la solidarité en développant les biens publics.
    Je rappelle que le système des tranches d’imposition fait qu’on ne peut pas gagner moins en revenu net quand on se met à gagner plus en revenu brut, même en passant à la tranche supérieure, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens.
    Vous avez déjà vu les formules de calcul ?
    En fait, le taux le plus élevé ne s’applique qu’à la tranche la plus élevée des revenus d’un foyer.
    Enfin, il me semble que c’est sur le projet fiscal qu’aujourd’hui, en France, on peut encore faire la distinction entre la gauche et la droite.
    D’où doit provenir l’argent, comment il doit être utilisé par l’état et quelles mesures fiscales appliquer (je pense aux taxes et aux exonérations pour inciter tel ou tel type de comportement).
    Bref, le nerf de la guerre.

  15. Oui, le projet fiscal est quelque chose de primordial dans les choix de société que nous avons. Je pense aussi que celà pourrait faire la différence entre gauche et droite, comme le dit Anne. Peut-être n’est-ce vrai qu’en théorie, car alors quel dommage que Ségolène Royal ait éludé la question d’un revers de main alors qu’elle tenait là un sujet essentiel de débat. Encore un rendez-vous politique de loupé !

  16. Moi, ça ne me choque pas que les amendes soient à prix fixe ; le moyen pour ne pas en payer me semble assez accessible, qu’on soit riche ou pas, non ?

  17. Besancenot vient de proposer dans le Point du 25 janvier que le travail des élus soit rémunéré à hauteur d’un Smic, histoire d’être sûr qu’au moins ils l’augmenteront ! Bonne idée, non ?

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