Les conférences de Claude-Roland Marchand (2)

Beaucoup de monde avant-hier soir à la deuxième conférence de notre ami Roland. Parmi eux, un certain nombre de blogueurs ayant vu l’info sur ce site. Ambiance studieuse de fac avec prises de notes et tout le tralala.

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(photo Michel Cottet)

Avant de passer au sujet de la soirée, le conférencier est revenu sur le thème de sa première conférence « Darwin et l’évolution » et sur le renouveau du mouvement créationniste. On sait que ce mouvement marque des points aux Etats-Unis. Ce que l’on sait moins, c’est que des tentatives similaires de déstabilisation de l’opinion publique et du milieu scientifique ont lieu aussi de ce côté de l’Atlantique. J’ai bien aimé cette phrase de Roland (qu’il a oublié de citer lors de la conférence, mais dont j’ai eu la primeur, une fois le public parti) : « l’intention des créationnistes est d’expliquer l’immanence complexe par une transcendance mystique ».

Le principal sujet de la soirée était l’introduction d’espèces dans le milieu naturel. Le point de départ de la conférence était le fim-documentaire de Sauper « le cauchemar de Darwin » qui nous a raconté comment une espèce introduite par l’Homme a déstabilisé un éco-système et engendré des conséquences désastreuses, non seulement sur le plan écologique, mais aussi au niveau de l’économie locale et de la vie sociale.

Le film a fait l’objet d’une polémique. S’il est vrai que le réalisateur s’est peut-être un peu trop avancé sur les traffics d’armes locaux, l’essentiel du film n’est pas remis en cause.

Les faits sont là. D’abord sur le plan économique : introduction artificielle de la perche du Nil dans le lac Victoria qui est un lac énorme (superficie égale à la Franche-Comté + la Bourgogne + la Lorraine), augmentation rapide des effectifs de poissons, arrivée de nombreux pêcheurs, exportations massives vers les pays occidentaux (400 tonnes par semaine), plafonnement puis diminution des tonnages pêchés (réduction du tonnage annuel de l’ordre de 100 000 tonnes entre 1996 et 2003). Puis sur le plan social : déplacement de populations, pauvreté, conflits et prostitution. Enfin, sur le plan écologique : raréfaction de l’espèce de poisson dominante (le dilapia), diminution de la biodiversité, turbidité des eaux (alors que le lac était auparavant réputé pour la limpidité de ses eaux), pollutions (détergents, herbicides, pesticides).

Avec cet exemple de l’introduction malheureuse de la perche du Nil, Roland nous a judicieusement rappelé que « concilier la mondialisation et le développement local expose toute une population à la précarité si un seul maillon de la chaîne des marchés est modifié ou absent ».

L’autre grande leçon de cette soirée, c’est que chaque fois que l’Homme a cru bien faire en introduisant une espèce non présente dans le milieu, les conséquences ont toujours été catastrophiques. Le cas le plus exemplaire est incontestablement celui du lapin de garenne dont 27 individus ont été introduits en 1859 en Australie. 6 ans après, il y avait 22 millions de lapins sur le continent australien. Le renard a dû ensuite être importé. Puis on a crû malin d’introduire le virus de la myxomatose pour venir à bout de l’envahisseur. Mais si le virus a provoqué la mort de 90% des lapins, il a aussi provoqué l’apparition de populations de lapins résistantes au virus. Et puis, conséquence indirecte, un médecin français a cru bon aussi d’introduire le même virus sur sa propriété, avec les conséquences que l’on sait sur toute l’Europe.

Les exemples d’introductions malheureuses sur le continent européen ne manquent pas non plus. Parmi toutes celles citées par Roland, je rappelerai celle de la truite arc-en-ciel qui a détrôné notre truite fario, de l’écrevisse américaine qui a supplanté notre écrevisse à pattes blanches, de la tortue de Floride dont plusieurs millions d’individus ont déjà été relachés dans le milieu naturel, de la grenouille-taureau qui s’implante durablement dans le sud-ouest de la France, du vison d’Amérique (qui a peut-être détruit l’été dernier la seule colonie française de sterne de Dougall) et du ragondin qui provoque d’énormes dégâts.

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Les espèces végétales ont également fait l’objet d’introductions malheureuses. On connaît en Franche-Comté le triste cas de la renouée du Japon mais il faut savoir aussi que d’autres plantes exotiques sont en train de s’implanter dans le milieu naturel à la vitesse grand V : la balsamine de l’Himalaya, le buddleïa, la jacinthe d’eau, la sargasse japonaise, le figuier de Barbarie, le sénéçon du Cap….

Et puis, s’il ne s’agit pas d’introduction volontaires, on ne saurait sous-estimer les arrivées d’espèces nouvelles, dues aux modifications climatiques. C’est, je crois, l’objet de la prochaine et dernière conférence de Claude-Roland Marchand qui aura lieu lundi prochain, toujours dans la salle A21 de la faculté des Lettres de Besançon.

53 réflexions au sujet de “Les conférences de Claude-Roland Marchand (2)”

  1. Y-a-t-il quand même eu quelques cas réussis (c’est à dire sans conséquences néfastes pour les autres êtres vivants) d’espèces animales ou végétales ? En France ou ailleurs.

  2. Très bonne question !
    Je ne suis pas spécialiste de la question (loin de là) mais quelque chose me dit qu’on doit pouvoir facilement en compter des milliers, voire plus.

  3. …Et puis la question n’est peut-être pas de savoir « qui » a fait venir une nouvelle espèce (humain ou migration « naturelle » des espèces) mais comment se fait-il que certains écosystèmes supportent moins bien le surgissement inopiné d’une nouvelle espèce.
    (Enfin, tout dépend si on veut faire de la science ou de la morale)

  4. Hou la la, je ne pense pas du tout qu’on va pouvoir trouver des milliers d’espèces (voire plus comme dirait Vincent) qui ont été introduites sans conséquences facheuses pour l’environnement.
    OK pour les espèces d’ornement que l’on a implanté dans nos jardins, qu’elles soient utilitaires ou d’ornement, mais pour le reste, je ne suis pas sûr que ça se compte même en dizaines d’espèces.

  5. Au hasard d’une prospection plus que rapide sur le net :
    – le platain (arrivé en Amérique avec les colons français et aglais)
    – le platane d’Orient (introduit en Italie en – 390 avt JC)

  6. Ce qui me pose problème dans le débat présenté ainsi c’est qu’il laisse entendre que :

    – l’humain ne fait pas partie de la nature (pourquoi alors distinguer les introductions faites par l’homme et les migrations naturelles qui n’ont cessé de bouleverser les écosystèmes au fil du temps ?)

    – les milieux naturels sont des systèmes fixes que les interventions humaines viendraient seules déstabiliser.

    Acceptez-vous d’admettre que cette discussion ressort davantage de la morale (ou de la politique, de la philosophie… qu’importe) que de la stricte science ?

  7. Vincent, je ne comprends pas du tout ce que tu veux dire par « migrations naturelles qui n’ont cessé de bouleverser les écosystèmes au fil du temps ». Tu parles de quoi exactement ?


  8. – le cheval (réintroduit par les colons Espagnols en Amérique après 8000 ans d’absence)
    – le daim (implanté dès l’Antiquité dans tout le pourtour méditerranéen)
    – la perdrix grise (introduite au Canada et aux USA)

    Tu as raison, Bernard, peut-être pas des milliers, mais facilement la centaine tout de même, nan ?

    (Bon, je me tais et vous laisse la parole)

  9. Il s’agit juste de considérer l’homme comme une espèce à part entière. Ni plus ni moins. Il ne s’agit donc pas du tout de l’exclure comme tu le laisses entendre. Mais il ne s’agit pas non plus d’en faire un Dieu.

  10. Les « migrations naturelles » d’espèces ?
    Ben, à ma connaissance (limitée sur la question, j’en conviens), la planète n’a tout de même pas attendu l’arrivée de l’humain pour voir ses écosystèmes évoluer.
    Les changements climatiques, les pressions démographiques (je ne sais pas si on emploie ce terme pour les animaux), la concurrence, le hasard (une graine abordant un nouveau rivage)… tout ça a forcément entraîné des déplacements de population (végétales et animales), donc des problèmes plus ou moins fâcheux lorsqu’une espèce tentait de s’implanter dans un nouveau territoire.
    Ca n’a quand même pas pu se passer toujours « dans l’harmonie » sous prétexte que l’humain n’y mettait pas son grain de sel !

  11. Me semble justement faire de l’humain un Dieu toute conception qui laisse entendre que ce qu’il fait n’est pas « naturel » !

  12. Ce que tu dis a dû arriver dans certains cas, par exemple avec la graine qui aborde un nouveau rivage. Mais sinon, dans la plupart des cas me semble-t-il, les modifications sont lentes, une espèce qui gagne du terrain au nord le fait petit à petit, au fur et à mesure que des conditions climatiques nouvelles s’installent. Et dans ce cas, la progression de l’espèce n’est pas facile, elle arrive sur un territoire où la « niche écologique » qu’elle pourrait prendre est déjà occupée par d’autres. Il va y avoir concurrence, c’est à dire frein et résistance. Au bout du compte, un équilibre sera fatalement trouvé. Rien de comparable avec le cas de certaines introductions par l’homme où des espèces importées trouvent une niche écologique vacante (notamment l’absence de prédateurs) et ou il n’y a pas de frein à leur expansion. Peut-être as-tu des « exemples naturels » aussi dramatiques que celui du lapin de garenne en Australie, du doryphore en France et de la renouée du Japon dans la vallée de la Furieuse, mais je n’en connais pas. Celà dit, il doit être possible de trouver de tels exemples dans la nature, je ne le conteste pas, mais celà doit être rare, alors que les introduction fâcheuses faites par l’homme sont légion.
    Mais je suis d’accord avec certains de tes propos. Dans la nature, ce qui nous semble être « harmonie » n’est bien souvent que la loi du plus fort. Mais le plus fort reste humblement soumis aux lois de la nature et ne peut modifier son milieu, c’est peut-être dans ce sens qu’il faut comprendre la notion d’harmonie.

  13. Qui dit que l’homme ne fait pas des choses naturelles ? Il l’a fait pendant des millénaires de manière plutôt heureuse, non (d’un point de vue du maintien des écosystèmes) ?
    Et puis il y a eu un point de rupture.

  14. La photo de l’article, c’est un ragondin ? j’ai l’impression que ça ressemble plus à un castor ou à une marmotte qu’à un rat.

  15. Le problème, encore une fois, ne vient pas de l’origine de l’introduction (humaine ou « naturelle ») mais, comme tu le pointes, du simple fait que des écosystèmes sont plus fragiles que d’autres parce qu’ils ont des niches vacantes. Est-ce encore là forcément la « grande faute » des humains ? je ne le pense pas.

  16. La photo est bien celle d’un ragondin. C’est une espèce d’Amérique du sud introduite en France dans des élevages pour sa fourrure. Certains élevages ont fait faillite et certains ragondins ont été à ce moment-là relachés dans la nature où ils se sont reproduits.

  17. Bonne question : « quel point de rupture » ? Je n’ai évidemment pas de certitude quant à la réponse.
    Je dirais simplement que l’homme, comme toutes les espèces, a pendant longtemps prélevé les intérêts d’une nature sans cesse renouvelée mais n’a jamais touché au capital et détruit d’autres espèces. Et si cela a pu arriver exceptionnellement par le passé, cela n’a jamais remis en cause les grands équilibres de la planète. Le point de rupture, s’il fallait le situer, se situe peut-être au moment où des espèces ont commencé de disparaître par la faute de l’activité humaine. On pourrait aussi le situer au moment où les grands éco-systèmes planétaires ont été touchés dans leur intégrité (je pense à la forêt pluviale).

  18. Depuis cette date, l’homme est donc devenu un « Dieu » (ou plutôt un « Diable ») ? Ce qu’il fait n’est plus « naturel » ? Il le fait donc « exprès » ?

  19. Depuis le début, Vincent, je ne comprends rien à tes propos. Je n’ai pas parlé d’humain qui ne fait pas partie de la nature, je n’ai pas parlé de milieux naturels qui seraient des systèmes fixes, je n’ai pas dit que c’était de la faute des humains s’il y avait des éco-systèmes plus fragiles, je n’ai pas comparé l’homme à un Dieu … Désolé !

  20. Désolé d’avoir orienté le débat dans ce sens-là qui non seulement a pris presque toute la place, mais s’avère surtout bien… stérile.

  21. Ne prends pas mal, Vincent, mais on dirait bien que tu introduis parfois dans le fragile équilibre du blog un point de vue… comme d’autres introduisent des perches du Nil dans le lac Victoria.
    Or, quand la niche écologique « prédateur » est vacante, on sait ce que ça provoque !

  22. En l’occurrence, on ne parle pas de dieu, mais d’apprenti-sorcier.
    C’est le cas de ceux qui créent les OGM, qui donnent des farines animales à bouffer aux vaches, des gros labos de médicaments… souvent plus par profit immédiat que par altruisme… celui que l’on serait en droit d’attendre d’un dieu.
    Ne vous méprenez pas : vous êtes tous des dieux et des démons, et ce ne sont pas vos faiblesses qui vous limitent mais la peur de votre propre puissance, comme le formulait justement et bien mieux que moi Nelson Mandela… un croyant.
    Je ne connais pas de dieu vivant, et ceux qui sont éternels sont traités avec le petit ‘d’ qe vous avez bien vu : ça l’énerve et ça nous limite.
    Merci Antony pour ce petit blasphème !

  23. Il me semblait que Pierre Rhabi, lors de sa conférence à Besançon, avait parlé d’un point de rupture qu’il situait exactement au moment où l’homme est passé de « l’homme cheval » au « cheval-vapeur ».

    Pour vérifier, j’ai tapé avec Google « pierre rabhi point de rupture cheval vapeur » et devinez sur quoi je suis tombé : sur le blogadupdup (en 4ème position sur Google). Je tourne en rond.

  24. Dans un commentaire à l’article sur la première conférence de Roland, j’avais écrit « Dans sa conférence, Roland nous a parlé du Dieu égyptien Ptah, pour qui il suffisait d’imaginer un être vivant par la pensée pour que celui-ci soit créé. Si vous aviez ce pouvoir, est-ce que vous créeriez de nouvelles espèces qui n’existent pas encore sur terre, ou est-ce que nous avons déjà notre petit monde idéal ici-bas ? ».

    Personne n’avait réagi. J’en avait été surpris. On pourrait reposer la question à l’occasion de cet article sur les introductions, sous une autre forme. « Et si vous aviez à introduire sur cette terre une espèce qui n’existe pas, que serait-elle ? ».
    N’y aura-t-il aucune réponse ? Le monde est-il si parfait que ça ?

  25. Allez, je commence. Puisqu’il faut bien qu’il y en ait un.
    J’imaginerais bien une nouvelle espèce de grenouille, gonflée à bloc (du genre de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf), qui vivrait sur les bords des routes haut-saônoises et qui regonflerait nos vélos quand on tombe en panne !

  26. Bernard a résumé l’essentiel du propos de mon deuxième exposé.
    Et je savoure les commentaires qu’il suscite.
    Très rapidement (car je m’absente trois jours) je voudrais alimenter le débat qui est très nourri et très riche.
    Dans le désordre je donne un certain point de vue (subjectif forcément) sur ce que j’ai lu :
    1- Bien entendu que l’espèce humaine fait partie de la nature ; elle est une composante des écosystèmes, avec ses potentialités, ses exigences, ses qualités et ses défauts…
    2- Les milieux naturels sont des équilibres fragiles, résultats d’ajustements appropriés en réponse à des contraintes environnementales de toutes sortes (t°, humidité, pH, lumière, vents… prédation, compétitions…). L’harmonie est une vue subjective ; la pérennité est une illusion. Ce que l’on veut souligner c’est le nombre de modifications apportées récemment par l’homme, souvent et à beaucoup d’endroits sur la Planète, qui imposent des contraintes auxquelles le vivant doit faire face dans un temps très court. Les bouleversements climatiques, géologiques ont eu, sur de longues durées, un impact important sur la disparition, et sur l’apparition d’espèces et d’écosystèmes.
    Nous avons l’impression que les activités humaines du siècle passé, et actuelles, ont des effets visibles et dommageables, ce qui laisse augurer des conséquences néfastes de tous ordres (mais ne sommes-nous pas trop pessimistes ?)
    3- Il y a des exemples de réintroductions « réussies » (ou qui n’ont pas bouleversé les écosystèmes) ; on a évoqué, proches de nous, les exemples du corégone et du sandre … et le cheval en Amérique du Nord… et pour les végétaux beaucoup d’espèces cultivées (je pense aux tomates, au maïs, à la pomme de terre), mais également à des plants de vigne américains résistants au phylloxera…
    4- L’homme serait-il un apprenti sorcier ? Un Dieu, un Diable ?
    Là nous nous plaçons sur un registre métaphysique où je ne me sens pas très à l’aise. C’est pourquoi j’aimerais y réfléchir et en parler oralement, et plus tard.
    5- Humeur badine a une idée géniale : regarder notre débat comme un écosystème « victorien », où un point de vue provocateur s’apparente à l’introduction de la perche du Nil. Partant de là, on est en mesure de penser que les idées et les concepts « autochtones » vont être déstabilisés, et incités à se modifier pour survivre…. Et on arrive au darwinisme appliquer à des idées (cf Spencer et le darwinisme social…)
    6 – Le projet « gonflé » de Dan mérite toute notre attention : en effet si on était certain d’être secouru par ces Grenouilles-AGM (animaux génétiquement modifiés) il y aurait peut-être plus de vélos que d’autos sur notre réseau routier.
    7- Les OGM seront évoqués lundi 19 : c’est un immense sujet car nous abordons des situations inconnues qui, si elles sont mal maîtrisées, pourraient avoir des conséquences irrémédiables sur la biosphère. Je pense que le débat sera très animé, et sûrement pessimiste pour certains d’entre nous.
    Merci à tous pour vos remarques et suggestions.

  27. De deux choses l’une, il me semble :

    – soit on considère que l’humain est une espèce « comme les autres » et dans ce cas-là on ne juge pas plus ses actes qu’on ne reproche à une autre espèce sa volonté de domination ou ses actes de cruauté. Il agit en effet « selon sa nature » et n’est du coup pas plus responsable qu’un autre super-prédateur – ou je ne sais quel virus – des conséquences plus ou moins néfastes de ses actes.

    – soit on estime que la morale doit définir ce qui doit être et des limites à ne pas franchir et, dans ce cas-là, il faut admettre qu’on accorde à l’espèce humaine des attributs (pouvoirs, conscience, liberté…) qui la distinguent des autres espèces et de la nature en général.

    En tout cas, il me semble quelque part difficile d’affirmer à la fois que l’humain est une espèce comme les autres et qu’il a dans le même temps franchi une limite (ou passé un point de rupture).

    Tu comprends mieux ce qui me titille, Bernard, si je le présente comme cela ?

  28. ça me semble beaucoup trop facile de dire que si l’humain est une espèce comme les autres, on n’a pas à lui reprocher sa volonté de domination et ses actes, sous prétexte que la cruauté existe aussi dans la nature. Il n’y a rien de comparable entre un super-prédateur qui n’a jamais rayé de la terre une autre espèce et qui n’a jamais détruit son milieu de vie, et l’espèce humaine qui élimine à tours de bras ce qui l’environne, espèces et milieux.

  29. Je crois que lorsqu’on parle d’introduction d’espèces, on ne parle pas du tout de la même chose, d’où peut-être l’incompréhension au niveau des auteurs des commentaires.
    Je ne parlais pas du tout, dans mes propos, d’espèces animales domestiques (cheval) ou d’espèces végétales cultivées (dans les jardins et les champs). Donc, là-dessus, je me range aux propos tenus par Vincent et Roland sur ce blog.
    Par contre, le problème est bien au niveau des espèces introduites par l’homme dans le milieu sauvage, de manière volontaire (lapin de Garenne en Australie, silure en France, ragondin en France) ou involontaire (doryphore en Europe). Je ne vois pas ce qui peut justifier ces introductions et je ne vois pas du tout lesquelles ont été des réussites.

  30. Il me semble qu’à chaque fois, si on regarde bien, la frontière entre le volontaire et l’involontaire, le sauvage et le domestique, l’humain et le naturel est bien floue, artificielle, indécidable.

    Il n’y a qu’à prendre un exemple entre au moins cent autres : la plantain (arrivé en Amérique avec les colons français et anglais). Est-ce une plante sauvage ou domestique ? A-t-elle été introduite volontairement ou non ? Est-ce ou non, au bout du compte, une réussite ?

  31. Tu as d’autant plus raison, sur cette notion de frontière entre sauvage et domestique, que si l’on prend l’exemple de cette « saloperie » qu’est la renouée du Japon, cette plante est passée dans notre région de « plante d’ornement » à « plante sauvage ». C’est vrai aussi pour le buddleïa (l’arbre à papillons).

    Cela dit, que cette frontière soit bien définie ou au contraire floue comme tu le dis, ça ne change pas grand chose au problème, à savoir que l’impact sur le milieu naturel est le même.

    Considérant cet impact, il faut relativiser selon les espèces et selon le court et le long terme. Il peut y avoir des cas où une espèce provoque à court terme ce qui semble être une catastrophe. Ainsi l’introduction du sandre dans nos rivières. Et l’impact qui peut être différent si on regarde le long terme. Ainsi le même sandre dont les effectifs semblent maintenant stabilisés et qui occupe une place « raisonnable » dans le milieu. Et il y a d’autres, comme celui du ragondin, ou son introduction est signe de catastrophe, que l’on se place au niveau du court ou du long terme. Il faut donc considérer le cas des introductions, espèce par espèce.

  32. L’humain qui se prend pour un Dieu, finalement, c’est celui qui fait un peu n’importe quoi, de façon plutôt inconséquente… ou celui qui prétend pouvoir juger ce qui est Bien et Mal ?

  33. Une Béotienne -pas complètement béate- voudrait revenir sur les termes « morale » et « responsabilité » utilisés par Vincent. Je préfère « responsabilité » plus neutre que « morale ».

  34. J’aime bien ce terme de « responsabilité » préféré par Maryse.

    Le fait que l’Homme soit doté d’une intelligence supérieure à celle des autres êtres et qu’il soit ainsi en position de dominer le reste du monde (d’où l’illusion d’être un Dieu) lui confère obligatoirement un rôle de responsabilité qu’il doit assumer et jouer pleinement.

  35. « Etre responsable, c’est pouvoir et devoir répondre de ses actes. C’est donc assumer le pouvoir qui est le sien, jusque dans ses échecs, et accepter d’en supporter les conséquences. Seul le très jeune enfant et le dément y échappent, et cela dit peut-être l’essentiel : la responsabilité est le prix à payer d’être libre. »

    (André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, 2001)

  36. On plaidra donc « responsables mais non coupables » ?

    La formule avait choqué, hier, dans la bouche d’un ministre.
    Elle n’est pourtant pas si absurde que ça.

    On est en effet responsables de tout ce qu’on fait volontairement, ou de tout ce qu’on laisse faire et qu’on aurait pu empêcher. De nos erreurs comme de nos échecs.

    Coupables, on ne peut en revanche l’être qu’à la condition de supposer une norme (juridique ou morale) de référence qu’on tansgresserait délibérément.

    Etes-vous vraiment tous sûrs de souscrire à ce point de vue ?

  37. Je voudrais commenter les remarques de Vincent.
    Il estime qu’il y a un flou ou de l’artificiel dans les frontières entre volontaire/involontaire ; sauvage/domestique ; humain/naturel. Je voudrais illustrer ma réponse avec quelques exemples :
    = lorsque je balance une tortue de Floride dans l’Ognon parce qu’elle me gêne au moment où je pars en vacances : c’est un acte volontaire.
    = lorsque je rentre de La Réunion avec des moustiques infectés qui s’envolent dans Roissy à l’ouverture de mes bagages par les contrôles douaniers : c’est involontaire, non ?
    = un faisan qui est lâché à l’ouverture de la chasse est un oiseau domestiqué ; un faisan de 2ème génération est une espèce marronne (issu de parents domestiqués et retourné à l’état sauvage). Mais tous les faisans de Colchide sont des animaux allochtones réintroduits en France.
    = l’humain, selon moi, ne s’oppose pas au naturel ; l’Homme fait partie de la Nature. Donc pas de flou entre celle-ci et celui-là.
    « L’humain agit selon sa nature… on ne juge pas ses actes… il n’est pas plus responsable qu’un super-prédateur… » Ces mots m’ont mis mal à l’aise : en effet si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout cela veut dire que l’Homme n’est plus un être social, qu’il assouvit ses instincts, répond à ses pulsions, fait du tort, à petite ou à grande échelle ; il pose des bombes, il empoisonne un château d’eau, il ouvre des boîtes de Zyklon… et on ne va pas y mettre un frein et le juger ??? Vous me suivez ?
    Quant à accorder à l’espèce humaine des attributs qui la distinguent des autres espèces, je dis oui. Vincent évoque, à juste titre, le pouvoir, la conscience et la liberté. Mais le pouvoir et la puissance ne sont pas l’apanage de l’Homme ; la liberté non plus. La conscience est une faculté presqu’exclusivement humaine ; mais qui peut nous dire ce que « pensent » et « ressentent » un Chimpanzé, un Bonobo (tous deux capables d’empathie, on l’a démontré) lorsqu’ils décident, en groupe, d’aller dévaster le territoire des voisins ; ou lorsqu’ils se voient dans un miroir ; ou lorsqu’ils répondent, par idéogrammes, à des questions abstraites (cf KANZI le bonobo).
    En résumé je dis : l’Homme a une anatomie, une morphologie, une physiologie animales ; son cerveau archaïque le dote de circuits-réflexes sur lesquels il ne peut pas vraiment agir ; mais il a un néo-cortex, le plus original qui soit chez les Primates et c’est là qu’il est singulier. Ce cerveau est le siège de performances d’abstraction, de mémorisation, de conscience, de volontés que nul autre « cousin » simien ne possède. Il n’a pas à se placer au-dessus, il est simplement à part ; il est une chimère faite d’impératifs animaux et de potentialités humaines. Cette chimère ne peut agir seule pour son propre compte : elle a besoin de l’autre, des autres pour se construire. Par l’éducation et la culture elle peut au fil de sa vie, mesurer sa part d’animalité et la domestiquer, elle peut aussi la nier et se travestir en Deus ex machina… Ce qui m’effraie un peu !!!

  38. « Responsable mais non coupable ». C’est vrai que cette formule avait choqué (à l’époque de l’affaire du sang contaminé je crois).
    Pour moi, la ligne de partage entre les deux termes est relativement claire.
    « Responsable » sous-entend que l’on ait une attitude responsable.
    « Coupable », à mon avis, c’est quand on n’a pas une attitude responsable.
    Ce qui revient à dire que, vu sous cet angle, l’homme peut-être considéré comme couplable de la disparition actuelle des espèces. On pouvait dire il y a vingt ans que nos actes étaient involontaires. Aujourd’hui, on sait ce qu’il en est, nous n’avons plus d’excuses. C’est un raccourci un peu simpliste, je vous l’accorde, mais je ne pense pas que l’on ait aujourd’hui le sens des responsabilités qui incombent à l’espèce humaine.

  39. Pendant que je rédigeais ma longue réponse étaient abordées, ci-dessus, les notions de responsabilité et de culpabilité.
    André cite à bon escient Comte-Sponville qui dit bien mieux que moi ce que je pense à ce sujet.
    Un acte conçu, décidé et accompli engage l’humain qui en est l’auteur.
    Un homme est responsable d’un acte délibéré et dommageable à son environnement.
    S’il fait un excès de vitesse en état d’ébriété et va écraser des enfants à la sortie d’une école, va-t-on l’exonérer de sa responsabilité et ne pas le déclarer coupable d’homicide involontaire ?
    Bien entendu, étant à jeun dans sa voiture, s’il évite un chien, à vitesse réduite, freine et quitte sa trajectoire et vient heurter des enfants au bord du trottoir, il est responsable mais pas coupable.
    Dans les réintroductions volontaires d’espèces animales ou végétales il me semble évident que l’Homme est responsable des modifications qu’il apporte et coupable des conséquences qu’elles peuvent engendrer.
    S’il n’applique pas le principe de précaution (ou de prévision, ou de prévoyance) il joue à l’apprenti-sorcier et engage sa totale responsabilité.
    Exemple historique, en pays angevin : « J’inocule le virus de la myxomatose aux quelques lapins de garenne qui passent sous le grillage et qui mangent mes carottes ; je sauve mes carottes mais j’ai infecté tout le département avec un microbe pour lequel je n’ai pas de remède…. »
    Comment va-t-on qualifier ce comportement ? Et qui plus, c’est le geste d’un médecin de campagne !!!!! ???

  40. Tout ceci me parait bien compliqué…
    Juste deux remarques :
    1 – certains commentaires me laissent penser que notre bonne vieille culpabilité judéo-chrétienne joue encore à sa façon la perche du Nil : au secours!
    2 – la perche-du-blog m’intéresse à double titre : elle émet des opinions à contre-sens de la pensée générale et alors, haro sur le baudet : à méditer? D’autre part, si elle se saisit d’une niche écologique vacante au détriment d’autres occupants (comme le suggère un internaute) ne faut-il pas en conclure que nous ne sommes pas assez vaillants ou vigilants?
    Et l’homme, dans tout ça, n’est-on pas en train de dire qu’il prend peu à peu, par ses actes (ou omissions), toutes les niches écologiques?
    Enfin, j’ai lu dernièrement un bouquin qui s’appelle « Effondrement » et qui tente, à partir d’exemples historiques, d’expliquer comment certaines civilisations autrefois très puissantes et florissanes, ont brusquement disparu. L’argument de départ était de se demander si les problèmes écologiques étaient prépondérants. A lire comme une piste de réflexion, bien que, à mon humble avis, ce ne soit pas toujours très convaincant.
    L’auteur énonce (de mémoire) 5 critères qui se retrouvent pratiquement à chaque fois :
    – la surpopulation,
    – les modifications climatiques et l’incapacité à s’y adapter,
    – la destruction de l’environnement,
    – la capacité à lier des liens avec des populations « amies »
    – l’existence « d’ennemis ».
    Bon vent!

  41. On a une idée de ces civilisations qui ont disparu ? C’était il y a combien de temps ? Où ? Etaient-elles avancées d’un point de vue technologique ?

  42. C’est intéressant, je trouve, cette idée de « persistance de la bonne vieille culpabilité judéo-chrétienne »…. surtout quand elle semble présente chez des personnes se référant ouvertement à la science.

  43. Intéressante aussi l’analyse des effondrements de civilisations (île de Pâques, Rome, Aztèques, etc… j’imagine) même si ça ne doit pas être évident de connaître réellement les causes. J’ai entendu parler de ce bouquin (un gros pavé, je crois) mais ne l’ai pas lu, ni parcouru.

    Je suis étonné que ne soit pas évoqué quelque chose de l’ordre de la « fatigue ». Il me semble en effet (bien que je ne sois pas du tout spécialiste de la question) qu’une civilisation meurt avant tout quand elle ne croit plus en elle-même, a en quelque sorte épuisé toutes les potentialités contenues dans ses fondements, quand elle n’a plus la force de « rebondir » sur un nouvel obstacle.

    Il y a quelque chose de cette fatigue, il me semble, dans ce qui se passe aujourd’hui. Une partie grandissante de ses membres (dont de dignes représentants s’expriment souvent ici) a en effet comme perdu la foi, et/ou souhaite en développer une autre.

  44. Réponse à Chris : îles de Pâques, Pitcairn et Henderson, indiens mimbres et anasazis du SO de E.U., sociétés moche et inca, colonies viking du Groenland. L’auteur passe aussi en revue des sociétés contemporaines : RWanda, Haïti, Chine, Australie, Montana.
    Certains chapitres sont tout bonnement passionnants mais je suis moins convaincue par la conclusion du livre.

  45. Il me semble que le débat ci-dessus porte sur deux registres différents : celui de l’espèce (point de départ de la discussion) et celui de la civilisation (point d’arrivée). Ce sont des choses complétement différentes et je ne pense pas qu’il y ait de rapport direct entre les deux. Il existe des civilisations, dont certaines très importantes, qui ont disparu mais celà n’a pas été un frein au développement de l’espèce humaine me semble-t-il. Par exemple, à un moment donné, une civilisation disparaissait (peut-être de fatigue, comme l’a dit Vincent), pendant qu’une dynamique se créait ailleurs pour donner naissance à un embryon de nouvelle civilisation.

    Finalement, beaucoup de choses fonctionnent sur le modèle de l’individu. Un être vivant nait, grandit, mène un rythme de croisière, puis ralentit et meurt. Dans le cas des « êtres supérieurs », comme l’homme, capables d’intellect, il se peut que la dimension psychologique joue un grand rôle et accélère les choses. Ainsi, un homme fatigué (dans le sens « fatigué par la vie ») se laisse peut-être rattrappé plus vite par la mort. Peut-être en est-il ainsi des civilisations dans lesquelles prédominent le sentiment de « civilisation en fin de course » et dont la fin (la mort) s’en trouve hâtée. Et peut-il en être de même de l’espèce toute entière ?

  46. Une « grosse fatigue », oui, on peut le comprendre. Ca n’a pas été simple ni de tout repos d’éliminer les concurrents (cousins néanderthaliens, grands prédateurs, dieux et déesses…) dans la lutte pour la domination du monde. Parvenue enfin au sommet, seule avec sa légendaire agressivité désormais sans emploi, il ne lui reste peut-être plus qu’à la retourner pour affronter son pire ennemi : elle-même !

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