Meilleurs voeux

Contexte compliqué pour celui qui se risque à faire des voeux en ce moment. Car 2021 ne se présente guère mieux que 2020.
Il sera difficile de lutter contre la casse énonomique et la casse de notre démocratie. Tout cela est implacablement en marche.
Mais pour ce qui est de la casse des relations sociales, il y a encore bien des meubles à sauver, c’est à chacun de se bouger, et on le peut ! On a des tas de moyens à notre disposition pour maintenir, voire développer les relations avec nos proches, et notamment nos amis. Alors, je vous souhaite avant tout pour cette nouvelle année de très belles relations d’amitiés. Je considère d’ailleurs que le degré de civilisation et le degré d’humanité de chacun peuvent se mesurer essentiellement aux relations fortes que chacun noue avec les autres. Et que relations d’amitié et relations d’amour c’est un peu kif kif finalement (« Entre l’amour et l’amitié il n’y a qu’un lit de différence », Henri Tachan).
Et pour illustrer mon propos sur la prépondérance de l’amitié dans nos vies, une chanson qui a beaucoup d’importance pour moi, à travers une petite séquence filmée qui est une vidéo d’anthologie. Ce petit film est chargé d’émotion, notamment parce que Brassens (pétri d’humanité, son visage nous le raconte) ne sait pas, au début de la chanson, qu’il a derrière lui des amis musiciens qui s’apprêtent à jouer.

Peut-être que cette vidéo préfigure d’autre choses sur ce blog, si c’est le cas j’en dirai plus dans quelques semaines.

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » (2)

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » C’est une question que je me pose souvent, notamment en cette période trouble (c’est le moins qu’on puisse dire) où je me sens de moins en moins concerné par ce monde qui commence à aller bien trop vite pour moi et pour mes pauvres neurones vieillissants. Et comme je suis très en colère en ce moment avec l’actualité liée au Covid, il faut que je prenne du large, ceci explique aussi pourquoi je me replonge avec délectation dans ce que j’appelle mes « musiques et textes fondateurs », c’est à dire tous les écrits et toutes les musiques qui ont contribué à former l’ado que j’étais il y a bien longtemps (j’ose pas dire le chiffre !). Et j’ai un peu la nostalgie (sans doute une nostalgie de vieux con, mais j’assume) d’une époque où il y avait une belle fusion de la poésie des grands auteurs avec celle de la musique. Retour donc à mes racines.

Aragon m’a beaucoup marqué lorsque je l’ai découvert dans les années 70 (c’est Alain, un cousin journaliste qui me l’avait fait connaître). A la lecture de ses textes, il est évident qu’il y a une telle sonorité des mots eux-mêmes (et de leur phrasé) qu’ils ne pouvaient qu’être mis en musique tôt ou tard (ce que je dis là est un lieu commun, cela a été souvent écrit par plein de gens) . Une première expérience, magistrale, de mise en musique d’un texte d’Aragon avait été faite par Brassens en février 1954 (« il n’y a pas d’amour heureux ») (je ne m’en rappelle pas du tout, j’avais encore deux mois à vivre bien au chaud avant d’apparaître sur terre), puis bien plus tard par Ferré et par Ferrat.

Ferrat a eu un succès retentissant pendant toutes les années 60, et notamment grâce à une douzaine de chansons d’Aragon enregistrées sur les albums allant de 1963 à 1969 et regoupées ensuite sur une édition de 1971 (« Ferrat chante Aragon ») (titres les plus connus : « Que serais-je sans toi », « Aimer à perdre la raison », « Nous dormirons ensemble », « Un jour, un jour », « Le malheur d’aimer » …).

Mais c’est le disque de Léo Ferré (« Ferré chante Aragon ») qui m’a le plus marqué. Il a été publié en 1961 et Ferré avait commencé à travailler sur ce projet dès 1958. Les textes choisis pour être mis en musique par Ferré  étaient plus difficiles sans doute que ceux choisis par Ferrat, mais avaient une charge émotionnelle bien plus forte (d’ailleurs, ce fut un très beau succès pour Ferré, le public ne s’y est pas trompé). Les deux morceaux les plus emblématiques de ce disque furent « L’affiche rouge » (dont j’ai déjà parlé sur ce blog) et « Est-ce ainsi que les hommes vivent » (j’y reviendrai tout à l’heure).

J’ai toujours aimé la complémentarité entre poésie et musique, cette alchimie si particulière (que l’on retrouvera d’ailleurs chez Ferré un peu plus tard avec de magnifiques mises en musique de Verlaine, Rimbaud, Apollinaire et Baudelaire).

Deux citations concernant cette alliance poésie/musique. La première est d’Aragon qui avait été impressionné par le travail de re-création de ses poésies par Ferré et qui vouait d’ailleurs beaucoup de gratitude au chanteur : « À chaque fois que j’ai été mis en musique par quelqu’un, je m’en suis émerveillé, cela m’a beaucoup appris sur moi-même, sur ma poésie ». (extrait de « Léo Ferré et la mise en chanson », Aragon)

Deux autres citations, cette fois-ci de Léo Ferré. La première : « Je crois à une double vue, celle du poète qui a écrit, celle du musicien qui voit ensuite, et perçoit des images musicales derrière la porte des paroles. » (« Les chants de la fureur », anthologie posthume Gallimard 2013). Deuxième citation, beaucoup plus connue : « La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie; elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. » (texte écrit en 1956, publié seulement en 1971 dans la chanson « Préface »).

Si j’écris cet article aujourd’hui c’est parce que je suis tombé tout à l’heure sur deux interprétations magnifiques de la chanson « Est-ce ainsi que les hommes vivent » (texte d’Aragon/musique de Léo Ferré).

La première vidéo (2011) est d’une simplicité et d’une profondeur désarmantes. Elle me touche beaucoup. Je n’ai pas vraiment trouvé le nom de l’interprète (sans doute Brigitte …, Youtube ne donne pas beaucoup de renseignements).

La deuxième est de Philippe Léotard (1993), version que je connais par coeur (le disque « Léotard chante Ferré » est une vraie merveille) mais que je n’avais jamais vue en vidéo avant ce soir.

Et puis, pour rappel (car j’avais déjà écrit un article sur le sujet en 2009), la version de Lavilliers avec un orchestre symphonique …

… et celle de Mélanie Carp (2009)

Joyeuses fêtes à tous !

Le guêpier, joyau de la vallée de l’Ognon

Cet article a été écrit pour le bulletin annuel de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs, dans lequel il paraîtra prochainement. Je me suis dit qu’il pouvait aussi intéresser les lecteurs de ce blog.

Nul doute que pour un œil profane, le guêpier est l’un des oiseaux de notre région les plus spectaculaires. La palette de couleurs du plumage est telle qu’on se dit qu’il y a là « un miracle de la nature ».

Dans les dernières décennies du 20ème siècle, les Franc-comtois amoureux des oiseaux qui avaient envie de « se rincer l’œil » allaient observer cette espèce, rare à l’époque, dans la basse vallée du Doubs, à la limite de la Saône et Loire, sur le secteur de Champdivers, Petit-Noir, … Quand était-il arrivé dans notre région ? Aucune réponse sûre à cette question. La seule certitude est que le premier couple nicheur y a été noté en 1977 (Pierre Piotte). La population du Bas-Jura n’a eu cesse d’augmenter durant ces décennies-là, jusqu’à atteindre 163 couples en 2002. A cette époque, cette population jurassienne de guêpiers représentait la quasi-totalité de l’effectif franc-comtois.

A partir du début de notre siècle, la situation a évolué rapidement et l’espèce est partie, avec succès, à la conquête de nouvelles rivières franc-comtoises. Quelle est la raison de cette extension ? Sans doute que les changements climatiques globaux sont en bonne partie responsables de cette évolution, car il semble assez logique que de nouveaux espaces plus au nord soient conquis les uns après les autres. Mais il y a sans doute aussi une dynamique interne propre à l’espèce, accentuée par la grande capacité d’adaptation de cet oiseau qui tolère plutôt bien la présence humaine, notamment celle des pêcheurs et autres usagers du milieu aquatique.

Tous les dix ans, la LPO Franche-Comté réalise un inventaire régional des effectifs de guêpiers et les chiffres donnés dans cet article proviennent des recensements successifs qui ont été effectués par cette association régionale.

En 2005, pour la basse vallée du Doubs, on était à un niveau très haut : 407 couples (un chiffre inégalé depuis), soit 93% de l’effectif régional. C’est la première fois qu’apparaissait cependant le guêpier dans la vallée de l’Ognon, mais très timidement (un seul couple).

Dix ans plus tard, en 2015, les effectifs de la basse vallée du Doubs ont fortement diminué : 146 couples, soit 2,8 fois moins qu’en 2005. Par contre, l’augmentation était importante au niveau de la vallée de l’Ognon (37 couples), cette rivière devenant alors la deuxième rivière franc-comtoise pour la reproduction du guêpier, suivie par la Loue (17 couples), la Lanterne (10 couples) et la Saône (9 couples). A noter que cette étude 2015 a montré non seulement une baisse importante du nombre de guêpiers sur l’ensemble de la Franche-Comté (226 couples contre 436 couples 10 ans plus tôt) mais aussi une tendance très nette à l’éclatement des colonies : un plus grand nombre de colonies certes (52 au lieu de 39 en 2005), mais beaucoup moins de couples par colonie (68 couples dans la plus grosse colonie en 2005, 38 seulement en 2015 ; moyenne de 4 couples seulement par colonie en 2015 au lieu de 11 en 2005).

Depuis quelques années, je surveille attentivement mon secteur situé dans la partie de la vallée de l’Ognon qui est la plus proche de Besançon. Je n’y avais noté jusqu’à présent que quelques couples peu nombreux, dont un isolé à quelques centaines de mètres de la maison. Mais en 2019, j’ai commencé de mener une prospection systématique de mon secteur. Enfin, j’espérais le faire ! Car dès le premier jour de prospection le long de la rivière, je suis tombé sur une très belle colonie, dans un endroit superbe.  Alors je me suis contenté d’en prendre « plein les yeux », je ne suis d’ailleurs pas allé plus loin, je suis resté tout bêtement là à observer cet oiseau magnifique. Cette première année, je n’ai pas vraiment estimé le nombre de couples mais je pense qu’il pouvait y en avoir une douzaine.

Et, évidemment, j’y suis retourné en 2020, bien plus sérieusement, bien plus assidûment (une vingtaine de visites). Dès le début de la saison, j’ai senti qu’il y avait plus d’activité que l’année précédente. Par recoupements successifs, j’ai estimé la population de la colonie à une bonne quinzaine de nids, sans doute 17 ou 18. Ce chiffre m’a été confirmé en juin car, en pleine période de couvaison, les oiseaux se sont soudainement envolés des terriers (j’étais avec Gilles S, nous n’avons pas compris la cause de leur frayeur, si frayeur il y avait …, et nous avons alors compté 31 oiseaux au vol). Chiffre important donc, car la taille moyenne des colonies est de 4,3 couples en Franche-Comté (recensement 2015).

Que dire sur l’activité du guêpier ? Pour schématiser, de manière assez approximative, disons que la vie de cet oiseau est très phasée avec le rythme mensuel :

  • En mai, tous les guêpiers reviennent de migration et se mettent très vite à l’ouvrage : formation des couples (pour les couples qui ne seraient pas encore appariés), creusement des trous de nidification dans les berges de la rivière (au moins 5kg de terre évacuée pour un tunnel qui fait toujours plus d’un mètre de profondeur, parfois 2 mètres), accouplements …
  • En juin, c’est la période de la couvaison. Celle-ci dure trois semaines environ. Le site est alors bien plus calme, mais mâle et femelle se relaient souvent sur le nid (au moins toutes les demi-heures), d’où une certaine activité tout de même dans la colonie.
  • En juillet, c’est l’effervescence, ça vole de partout ! Les oisillons (en général 6 par nid) sont nourris sans cesse, parfois une visite par nid toutes les minutes, mais avec parfois de longues pauses dans la journée. Autant dire que pour une bonne quinzaine de nids, il y a un va-et-vient incessant, parfois un nourrissage toutes les 10 secondes dans la colonie. Ce mois de juillet, notamment pendant la période allant du 15 au 25, est donc, en raison de cette activité tonitruante, le meilleur mois pour observer les guêpiers sur leur site de nidification.
  • En août, c’est l’envol des jeunes puis leur apprentissage, sous tutelle parentale, de la chasse aux insectes. Dès le début du mois, l’activité dans la colonie décroît puis cesse complètement. Tous les oiseaux sont déjà ailleurs, les jeunes apprennent à subvenir à leurs besoins sur un secteur assez vaste, se regroupant toujours le soir pour passer la nuit ensemble (dans ma commune, il y a eu pendant une semaine à la fin août une centaine de guêpiers qui passaient la nuit à la cime d’une vieille plantation de peupliers, ils s’envolaient tous ensemble vers 8H30 le matin pour ne revenir sur le lieu que le soir). Désormais, je vois chaque année des groupes d’une centaine d’individus qui survolent mon jardin ou ma maison à la fin août. C’est devenu chose courante et cela témoigne de la très bonne reproduction du guêpier dans la vallée de l’Ognon.
  • Au début septembre (dans les tous premiers jours, au plus tard le 10), c’est le départ général. Direction l’Afrique (les guêpiers ignorent le confinement) !

La nourriture du guêpier est composée uniquement de gros insectes. Dans le cas de la colonie que j’ai suivie, il y a eu une prédominance de libellules jusqu’au début juillet, puis au fil des semaines qui passaient une très grosse dominante de diptères (taons notamment) et d’hyménoptères (énormément de bourdons, mais aussi des abeilles, des guêpes et, plus rarement, quelques frelons). J’ai estimé qu’au début juillet il y avait un minimum de 1000 libellules (essentiellement des grosses espèces) capturées quotidiennement par les guêpiers de cette colonie.

Cela suppose une très forte richesse du milieu naturel à proximité immédiate de la colonie (car les guêpiers ne vont pas chasser bien loin s’ils le peuvent). Dans le cas présent, l’existence d’un bras mort de la rivière, très productif, permet de répondre aux exigences alimentaires de la colonie.

D’autres observations faites par ailleurs dans la vallée me laissent à penser que le chiffre de 37 couples (dernier recensement LPO de 2015 pour la vallée) est déjà largement dépassé (les deux colonies que je connais sur mon secteur atteignent à elles seules ce chiffre).

A suivre donc avec attention dans les années qui viennent, mais tout porte à croire que la vallée de l’Ognon est devenue, malgré la forte baisse des effectifs au niveau régional, « un bastion fort » de la population de guêpiers en Franche-Comté. Pour le plus grand plaisir des yeux des habitants du secteur !

La dictature parfaite …

J’avais cité un jour sur ce blog cette phrase connue de Rosa Luxemburg : « Celui qui ne bouge pas ne sent pas ses chaînes ».

Je suis tombé récemment sur une autre phrase qui, elle aussi, corrobore l’idée que la privation de liberté est très souvent largement acceptée. Cette nouvelle citation que je vous propose est de Aldous Huxley (l’auteur de « Le meilleur des mondes ») :  « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans mur dont les prisonniers ne songeraient même pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude ».

Evidemment, toute ressemblance avec la situation actuelle ne peut être que pure coïncidence ! :whistle: