Mes plus belles émotions naturalistes, je les ai connues devant les terriers de blaireaux à la tombée de la nuit. J’ai toujours aimé ces moments d’immobilité où l’on a l’impression de se fondre dans la nature et de ne faire plus qu’un avec le monde environnant. La pénombre s’installe, la perception que l’on avait de la forêt devient alors très différente, les sens sont aiguisés, c’est le moment où l’on n’est plus qu’un corps, libéré de tout intellect, percuté par des dizaines de sons et d’odeurs. C’est un pur moment de grâce que je souhaite à chacun de vivre au moins une fois dans sa vie.
Et puis vient le moment magique où le premier blaireau sort de son terrier, à une petite dizaine de mètres devant soi… J’aurai l’occasion de reparler dans d’autres articles de cet animal que je crois parfois bien connaître mais qui garde entier sa part de mystère.
J’aime aussi les « affûts » au blaireau parce qu’il se passe souvent quelque chose d’inattendu : la chouette hulotte qui vient chanter au-dessus de votre tête, le mulot que vous regardez flaner entre vos pieds, le chevreuil qui passe à trois mètres, les sangliers qui arrivent contre vous, votre coeur se met à battre mais ils changent heureusement de direction au moment où l’odeur de l’homme leur parvient, …
Il y a un mois, je suis allé avec Anne observer les blaireaux en forêt de Brussey. A un moment donné, un petit mouvement à une cinquantaine de mètres nous indique la présence d’un animal. Un lièvre se dirige dans notre direction, s’arrête, repart, hésite, finit par venir à moins de trois mètres de nous puis disparaît à notre droite. La scène aura duré peu de temps, peut-être une minute. Ce type d’observation est exceptionnel, assurément ma plus belle observation de lièvre jusqu’à présent.
Je ne pensais pas revivre une nouvelle fois une telle observation de lièvre. Mais quinze jours plus tard, alors que nous étions assis sur le même banc, attendant les mêmes blaireaux, la même scène s’est reproduite, à la même heure … ce qui n’a d’ailleurs rien de surprenant, beaucoup d’animaux sauvages ayant leurs habitudes précises, empruntant les mêmes sentiers, quittant leur tanière à heures fixes,…
Le lièvre est arrivé exactement du même endroit, a eu le même comportement mais s’est approché encore plus près. J’étais là sur mon banc, le corps rigide, n’osant plus respirer, en train de regarder du coin de l’oeil cet animal qui était juste devant Anne (je crois qu’il en était à 1 mètre, un mètre cinquante, pas plus !). Le lièvre est reparti tranquillement, aussi tranquillement qu’il était venu. A-t-il perçu notre présence ? Il m’a semblé à peine inquiet, mais les animaux sauvages ne sont-ils pas continuellement stressés et en permanence sur leurs gardes ?
Nous sommes repartis de la forêt, sans avoir vu un seul blaireau, mais riches d’une observation inoubliable.