A vos plumes ! (10)

Tiens tiens, ça fait longtemps, très longtemps …

Alors, comme votre neurone commence à s’endormir et qu’il s’ennuie tout seul, je lui propose un peu de boulot avec un nouvel atelier d’écriture.

Pour cette 10ème édition, les mots ne sont pas très faciles, ils ont pourtant été choisis en utilisant la technique habituelle, à savoir je les ai pris dans les tous premiers mots des pages 102, 202, 302 … de mon Larousse (tiens au fait, vous savez pourquoi on a choisi « Larousse » comme nom ? Parce que si on avait choisi « Lablonde », il y aurait eu bien peu de mots dans le dictionnaire ! :biggrin: ).

Voici donc ces dix mots :

autonome, charpenté, décence, état-major, harmonium, livresque, nourrice, polyphoniste, rose-croix, ternir.

A vous donc de faire un texte utilisant tous ces mots.

22 réflexions au sujet de “A vos plumes ! (10)”

  1. La nuit approche et mes yeux ont du mal à rester ouverts. Par la vitre suinte une lueur blafarde. Sans doute qu’il pleut dehors, mais mes oreilles ne captent plus grand chose. Je suis sur mon lit. Mon dernier lit. Dans quelques heures ou dans quelques jours tout sera fini. On me rendra devant mon cercueil les derniers honneurs dus au militaire de haut rang que j’ai été. Il y aura là tout l’Etat-major et on dira de belles paroles aimables. Il y aura aussi de la belle musique. J’aurais pourtant aimé qu’il n’y ait qu’un petit air d’harmonium. Comme dans mon enfance à l’église du village. J’aurais aimé être jeté nu dans une simple fosse. Nu avec juste un pagne. Par décence. Mais non, on me couvrira de mes plus beaux habits et il y aura bien un con de service qui y ajoutera mes médailles et mes galons. Rien ne viendra donc ternir le dernier souvenir que je laisserai de moi. Tout cela sera si beau. Si émouvant.
    Et pourtant, je m’en fous.
    Je me fous de cette vie qui n’a pas été la mienne.
    Couché dans l’obscurité qui s’avance, il me revient des choses. De belles choses de mon enfance. Des sons. Des odeurs. Je me revois tout bébé avec ma nourrice. Il paraît que je l’ai tétée jusqu’à l’âge de trois ans. Est-ce pour cela que je suis si bien charpenté ? Il me reste d’elle de beaux souvenirs. Des images très fugitives, mais de bien belles images quand même.
    Plus tard, je me revois avec un phonographe. Ma mère aimait l’opéra, elle chantait tout le temps. C’est elle qui m’a transmis l’amour de la musique. Elle aimait Verdi mais c’est du côté de Bach que je suis tombé. J’avais appris que Bach était polyphoniste et je trouvais ce mot plein de mystère et de magie. Et quand on me demandait « Tu veux faire quoi quand tu s’ras grand ? ». Je répondais, très fier : « polyphoniste ! ».
    Je passais mes journées à lire. Je ne vivais pas dans la vraie vie. Je n’avais qu’une connaissance livresque des choses de la vie. Et c’était bien ainsi. J’aurais voulu que ça dure, que ça dure …
    Mais la vie amène forcément son lot de chagrins. La guerre est arrivée. Quand il a fallu pénétrer en douce le camp ennemi, je n’ai pas hésité. J’en suis ressorti avec quelques morts derrière moi. Une fois la guerre finie, on m’a décoré. Et on m’a proposé de m’engager. Quelle autre solution avais-je ? Allais-je retourner à Bach et à mes livres ? Allais-je continuer ma vie de désoeuvré à la charge de mon père industriel ? Ou allais-je enfin devenir autonome ? Mon père était là. Ma mère aussi. Ils me regardaient, attendant ma réponse. Je n’ai pas hésité. Et je le regrette aujourd’hui.
    J’ai passé ma vie à faire des singeries. Au mess des officiers, je faisais des courbettes quand le préfet arrivait. J’ai croisé les pires figures que l’on peut croiser dans une vie : des paras, des anciens collabos reconvertis, des rose-croix, des tortionnaires de l’Algérie …
    Il n’y a rien eu d’intéressant dans cette vie et pourtant je l’ai choisie. Par défaut, mais choisie quand même.
    Que c’est con la vie !

  2. L’île aux oiseaux ,
    J’ai mal dormi cette nuit , dur dur le réveil . Ça doit être la chaleur suffocante de cette chambre et le bruit du port autonome qui m’ont fait virer de droite à gauche toute la nuit . Il n’est pas évident de trouver un hôtel dans cette ville en ce mois de juillet . Avec mes trois camarades , ont avait qu’à s’y prendre plus tôt que de partir dans cette aventure sur un coup de tête un soir ou l’alcool nous avait un peu tourné les têtes . J’entends frapper à la porte , mon collègue ronfle toujours dans le lit d’à côté , par décence , j’enfile un pantalon avant d’aller ouvrir . C’est Loïc qui vient nous réveiller , faut qu’on y aille les gars. Après un brin de toilette , moi et mes compères sommes réunis dans un coin du bar un café à la main et quelques crêpes couvertes de beurre salé qu’a confectionné la maman de Yann . Sur la table une carte IGN de la région et des bouquins qui parlent d’oiseaux , de plantes et de toutes sortes de petites bêtes . On se croirait lors d’une réunion d’état-major avant passer à l’attaque . Allez , une fois embarqué dans l’auto , nous voilà partis pour deux heures de route . Puis il faut prendre le bateau dans un petit port bien logé dans une crique , je mets la nourrice en place , un coup de démarreur , la main sur la barre , et c’est parti vers le large . Lors de cette traversée , le mal de mer de Pierrot viendra un peu ternir l’ambiance de camaraderie qui règne à bord , trop de crêpes peut-être ?Yann qui est souvent seul dans son coin , bouquine une livre d’histoire qui parle de Société Secrète des Rose-Croix , quand il est plongé là-dedans , tu peux toujours lui parler d’oiseaux , il va te dire que ça n’est ni l’heure ni le moment pour se féru d’histoire . Nous finissons par débarquer sur une île qui sent bon la liberté . De la verdure à perte de vue , le vent qui file dans les branches fait ressortir des sons comme si quelqu’un soufflait dans les anches d’un harmonium ! Nous prenons un chemin dont la voûte est faite d’arbres gigantesques , on dirait le plafond d’une cathédrale charpenté à merveille . Puis , face à nous une roselière immense que nous traversons difficilement pour découvrir le lac . Quel spectacle avec ce soleil levant , des milliers d’oiseaux sont là devant nos yeux ébahies , canards , limicoles , oiseaux marins …. Des chant résonnent de tous les côtés , ils sont représentés de plusieurs sons différents comme la création d’un polyphoniste , ça donne quelque chose d’étonnant et de magique à l’ambiance du site . J’avais un savoir simplement livresque sur cette faune et flore qui s’étendaient devant moi . Je ne pensait même pas à prendre des photos en cette première journée sur l’île , je me goinfrais de cette vie qui grouillait au quatre coins du lac . Un coup d’œil dans mes jumelles , un autre dans les livres pour mettre un nom sur ma nouvelle découverte . Le temps passe vite lors de ces moments là , il est temps de préparer le bivouac pour la nuit . Et là aussi , j’ai eu du mal à m’endormir mais le réveil était si bon au doux chant de l’oiseau .
    Je n’y suis jamais retourné , mais il reste en moi des images indélébiles qui fondent une passion . Lorsque nous nous retrouvons tous les quatre autour d’une bière et que l’un d’entre nous souffle le nom de cette île , des regards s’illuminent et nous parlons des heures avec pudeur de ce petit paradis vert que la terre a réussi à cacher au milieu de l’océan .

  3. Les yeux encore embrumés de sommeil, voici ma modeste contribution:

    Dans une ambiance matutinale où le polyphoniste semble tirer les ficelles d’une harmonie improbable mais envoûtante, ne pourrais-je pas m’attendre à percevoir une phrase jouée à l’harmonium ou à voir réuni tout un état-major de becs et plumes multicolores sous la houlette d’un chef d’orchestre à l’expérience inégalée? Malgré une connaissance livresque bien charpentée, comment pourrais-je identifier chaque ligne autonome de la partition ? Il ne me reste plus qu’à fréquenter le site http://www.web-ornitho.com/Chants.chant.cris.des.oiseaux.de.france.et.europe.htm . Je pourrais lancer un concours, récompenser par une rose-croix d’or, d’argent ou de bronze les meilleurs d’entre-nous … Mais, un peu de décence : sachons apprécier ce moment, sans le ternir, en toute simplicité ! Ma nourrice, aujourd’hui disparue, aurait dit : «A l’innocent, les mains pleines ! » ou encore : « le plaisir vient au profane ». Je me contenterai donc de donner libre cours à mon sens auditif afin de savourer cet unique concert.

  4. La rose-croix distingue-t-elle, au sein de son état-major, ce polyphoniste émérite ? Le son vibrant de l’harmonium pourrait ternir cette œuvre singulière au corps charpenté. Mais sa décence déjoue tous les commentaires livresques dont cet opus fut affublé à ce jour. Quelle virtuosité !
    Aux seins de quelle nourrice s’est-il nourri ? Auprès de quelle muse a-t-il donc travaillé ? Ou, peut-être est-ce un créateur autodidacte et autonome ?
    En toute façon, ses qualités seront reconnues et la nouvelle version de cette œuvre majeure court vers la célébrité.

  5. Dans cette petite chapelle secrète et glacée, me voilà presque prêt à recevoir le grade «rose-croix » après lequel, sans décence aucune et au risque de ternir l’image de sérénité que je dégage habituellement, je cours depuis si longtemps.
    Ne reste plus qu’à boire une petite fiole d’un bon vin bien charpenté pour me donner du courage et accrocher ma grande cape noire avec l’épingle à nourrice en or qui me vient de mon grand-père. Mes mains tremblent un peu.
    Fini la soumission à mon mentor, dans quelques instants je serai enfin autonome.
    Finies les connaissances uniquement livresques, bientôt je vivrai par moi-même l’expérience.
    En attendant l’arrivée de tout l’ « état-major » de la confrérie et l’envolée des premières notes de la si belle et si grandiose musique composée pour l’occasion par un de nos membres polyphoniste, je dois subir le mauvais enregistrement d’un minable et lancinant morceau d’harmonium.
    Ah ! Enfin le silence !
    Et la renaissance …

  6. Dur de passer après vous ! Voilà quand même :

    Les lueurs timides de l’aube révélaient de nouveau un paysage désolé. Les pluies froides et régulières de ces derniers jours avaient engorgé toute la surface du champ de bataille.
    Edmond se tenait immobile, ruisselant, sous un gros frêne. Bien malgré lui, son passé défilait devant ses yeux alors qu’un éclaireur ennemi, montant un puissant cheval de trait, progressait lentement dans sa direction.
    Il revoyait Madeleine, sa bonne vieille nourrice emportée récemment par la grippe espagnole. Il entendait distinctement la mélodie limpide qui ornait constamment ses lèvres, un chant divin qui avait fondé sa propre vocation de polyphoniste. Le son de l’harmonium familial lui parvenait aussi, à tel point qu’il ne savait plus distinguer la réalité de sa mélancolique rêverie. Il dut puiser une nouvelle fois en des ressources pourtant anéanties pour vérifier, amer, qu’il était bel et bien en train de perdre pied. Le soldat armé qu’il ne lâchait pas des yeux était bel et bien trop proche, juché sur son colossal destrier.
    Il n’était pas coutumier d’une telle errance. Mais les nuits sans sommeil, le vain espoir de conserver une hypothétique position forte, la faim comme le froid avaient érodé aussi sûrement qu’une averse la silhouette et l’assurance de cet homme charpenté, ancien rose-croix. Tous ceux qui avaient croisé sa route auraient été bien en mal de reconnaître là, sous cet arbre décharné, le presque fantôme d’un solide compagnon.
    Il s’était ressaisi. Trois jours auparavant, il avait été décidé par un état-major obtus que son unité, autonome sur ce petit tertre perdu, devait conserver la position, coûte que coûte. l’avant-veille, ils avaient été décimés en quelques coups de mitraille. Le capitaine d’opérette qui faisait office de stratège ne disposait que d’un savoir livresque, dans lequel ne figurait pas le seul ouvrage qui aurait sauvé ses hommes : le traité de von Clausewitz, écrit quelques décennies plus tôt, dans lequel il aurait pu découvrir, au détail prêt, ce qui adviendrait ici. Cette fois encore l’orgueil des érudits avait entassé plus de ravages que de bienfaits.
    Avant-hier, à l’heure d’une mort qu’il aurait dû partager avec ses camarades d’infortune, il n’était pas là. Enfin si, exactement là, sous cet arbre, mais de l’autre côté, obligé par la dysenterie à vider encore une fois ses tripes épuisées.
    Il s’était décidé. Son honneur ne serait plus sali, il n’aurait plus à ternir l’image de son unité.
    C’était au tour du cavalier qui lui faisait face d’en chier un peu…

  7. Yves, Maïvon, Etincelle, Christophe : merci pour ces très beaux textes qui font de cette 10ème édition des ateliers d’écriture un très bon cru ! :wub:

  8. Bien qu’autonome financièrement et approchant de la trentaine, je vis toujours chez mes parents. J’ai tellement peur de quitter le cocon familial.
    Ce matin, j’ai enfin trouvé le courage de pousser cette fameuse porte mais quand j’ai lu le panneau accroché dessus, j’ai bien cru que j’allais m’évanouir : « Les émotifs anonymes ».
    Se trouvaient là un champion sportif à la retraite, encore plutôt bien charpenté, un polyphoniste à la réputation ternie par un scandale monté en épingle par les médias, une nourrice dévoilant sans décence une bonne partie de sa généreuse poitrine, un pauvre homme complètement écrasé par un père rose-croix autoritaire et une jeune femme d’une culture livresque impressionnante. Mon arrivée complétait tout à fait cet état-major d’handicapés des sentiments.
    Chacun prit péniblement la parole pour se présenter mais quand ce fut mon tour, j’éclatai en sanglots et partit en courant.
    La petite église jouxtant le bâtiment d’où je sortis totalement désemparée, me sembla le meilleur havre où me réfugier pour apaiser mon trouble.
    Bien m’en prit car la pénombre, le calme et la belle musique de l’harmonium me firent tant de bien que je décidais d’y retourner sur-le-champ.

  9. C’est une bonne idée que d’écrire plusieurs textes avec les mêmes mots. Sans doute que je le ferai aussi dans les jours qui viennent.

  10. C’est très sympa de lire tous ces textes si divers et de qualité . J’apprécie aussi cet exercice d’écriture stimulant. Sans compter que la visite sur ce blog est toujours très intéressante, tant par les articles que par les commentaires. Comme disait un titre d’émission tv d’autrefois: « merci Bernard! »

  11. Chiche, je réfléchis à la démarche pour sélectionner les mots, au hasard bien sûr!:wink:

  12. Un rose-croix polyphoniste réussit à ternir sa réputation d’une façon que la décence ne nous interdit pas de révéler. Une nourrice, ayant succombé de façon autonome à la vue de cet homme bien charpenté et virtuose de l’harmonium, dévoila devant un état-major averti que sa connaissance de l’instrument n’était somme toute que livresque.

  13. Ah ! Je savais bien que Brind’paille ne nous laisserait pas tomber pour les ateliers d’écriture du blogadupdup :smile:
    Allez, Fifitoucourt, Luc, Léa, Francis, Jérôme et les autres, un petit effort :whistle:

  14. Brind’paille, bravo pour cette économie de mots. Réussir à placer tous les mots en 4 lignes et demi me semble relever du prodige.
    « Du pro » dis-je ! :smile:

  15. Ouaip ! Les formules courtes sont toujours étonnantes de vérité, et là, en plus, ça paraît vraisemblable. J’ai souvent l’impression en produisant un texte dans ce sympathique jeu d’écriture, qu’il y aurait mieux à faire, la démonstration en est faite !

  16. Je ne veux pas rabaisser la prouesse de Brind’paille, d’autant que j’aime toujours beaucoup ce qu’elle écrit, mais bien que placer tous les mots dans un texte le plus court possible et le plus vraisemblablement soit un véritable tour de force (surtout cette fois), j’aime bien aussi quand une histoire est racontée.

  17. Aucune décence, même livresque, ne vient ternir ce polyphoniste joueur d’harmonium, issu de l’état-major autonome des rose-croix et bien charpenté car allaité par une nourrice aux seins énormes : il montre son cul à tous les passants.

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