Il y a un chanteur dont il me faut absolument parler, tant il occupe une place particulière et marginale dans la chanson, et tant il a marqué son pays natal, la Russie, par son passage éclair, tel un météore.
Mort à 42 ans en 1980 d’une crise cardiaque, après de nombreux excès dus à l’alcool et au tabac, Vladimir Vissotski a été découvert par hasard : après avoir composé des chansons plutôt confidentielles, un ami décide de l’enregistrer. La cassette est alors copiée et colportée, de main en main, « sous le manteau » dans toute la Russie. C’est à ce moment que débute sa courte mais extraordinaire carrière de chanteur (il a été écouté par des millions de russes), boostée par le fait que toutes ses chansons, trop politiques, ont été officiellement interdites et, par réaction, se sont mises à circuler partout, tant elles reflètaient le triste sort et le quotidien de la population russe, alors sous emprise communiste.
C’est au début des années 80 que j’ai découvert Vladimir Vissotski. Il y a plus de vingt ans, Joëlle est tombée sur une émission de Bernard Pivot au cours de laquelle était invitée la veuve de Vladimir, l’actrice française Marina Vlady (qui avait été mariée avant à Robert Hossein et qui épousera après la mort de Vladimir, Léon Schwartzenberg). Dans cette émission, un reportage étonnant montrait Vladimir hurlant sur sa guitare.
Le mot « écorché vif » est celui qui sied le mieux à ce poète. Il m’est impossible de décrire l’impression que me laisse à chaque fois l’écoute de Vladimir Vissotski. C’est pourquoi je préfère citer Marina Vlady : « Cette voix que l’on ne peut confondre avec aucun autre. Poète violent et rare, les consonances des mots s’entrechoquent et donnent encore plus de force au cri… Il peut hurler comme un loup blessé, puis chanter l’amour avec douceur et tendresse, crier son indignation, sa colère, son désespoir en s’arrachant la glotte ou passer du ton gouailleur des faubourgs au lyrisme le plus pur. Ceux qui l’ont entendu chanter, qui l’ont vu jouer, ne peuvent oublier l’émotion ressentie. ».
Le disque « le vol arrêté » paru aux éditions du Chant du monde, est le plus beau témoignage discographique de l’œuvre de Vladimir Vissotski. Les textes sont en russe mais le livret est magnifique, il présente une très belle traduction et on arrive à peu près à suivre les paroles. Mais attention, l’écoute n’est pas facile, on n’en ressort pas indemne car la voix est dure, rauque, rapeuse (accentuée par le caractère un peu guttural de la langue russe), on ne peut rester indifférent à une telle manière de chanter. Les textes sont souvent d’une noirceur absolue (il suffit d’ailleurs de lire la traduction des titres pour se faire une idée : « les cabans noirs », « à l’hôpital », « le vol arrêté », « l’écho fusillé », « la poursuite », « la demeure étrangère », « la voile déchiré », « l’ornière », « la chasse aux loups », « l’homme fini »).
Ceux qui aiment les choses lisses, un peu aseptiques, passeront leur chemin. Quant à ceux qui aiment les émotions fortes, ce disque est pour vous … !