Un article proposé par Christophe (dans le cadre des lectures mensuelles de ce blog)
« Dès que l’homme est trop heureux, il reste seul ; et il reste seul également, dès qu’il est trop malheureux. » Panaït Istrati (extrait de l’oncle Anghel)
Il est probable que ce livre qui retrace une partie de la jeunesse d’Adrien Zograffi ne vous a pas laissé indifférent. La part autobiographique y est sans doute importante, bien qu’il soit difficile de démêler la part du romanesque dans l’œuvre de Panaït Istrati.
De fortes personnalités, souvent excessives, où la part d’ombre des personnages n’est pas occultée, c’est un des aspects de cette écriture qui me plaît énormément chez l’auteur.
Il y a Codine bien sûr, le forçat au grand cœur, mais qui meurtri dans son enfance, maltraite sa mère.
Deux passages qui témoignent de la rencontre entre Codine et Adrien… La naissance d’une amitié :
« Il tira de sa poche une de ces bourses en canevas avec des fausses perles et des franges, que les prisonniers fabriquent dans les maisons centrales ; il m’offrit une pièce en cuivre.
Je dis :
– Merci, monsieur : je n’accepte pas…
Très étonné, il laissa tomber sa main :
– Tu n’acceptes pas ? Pourquoi ?
– Parce que ma mère me dit qu’il ne faut rien accepter quand on rend un service…
– Tiens ! Ça, c’est pas mal… »
[…]
« – Sais-tu ce que c’est : faire mal à quelqu’un ?
– C’est le faire souffrir, dis-je.
– Non mon bonhomme… Tu n’y es pas. Le mal, le seul mal, c’est l’injustice : tu attrapes un oiseau et tu le mets en cage ; ou bien, au lieu de donner de l’avoine à ton cheval, tu lui fous un coup de fouet. »

Et puis deux autres extraits avec l’autre personnage de ce roman, Kir Nicolas, qui donnent un autre éclairage de l’humanité :
« – Alors, tu ne crois pas en la patrie, Kir Nicolas ? demandait Adrien.
– Mais si, pédakimou (mon petit enfant), j’y crois : la nuit, quand je travaille seul. Je me rappelle que je suis ici un « sale Albanais ». Alors je pense aux belles montagnes où je suis né et où j’ai passé une enfance douce et paisible… Et dans ces moments-là, je chante, ou je pleure ; mais jamais l’envie ne me prend d’égorger un homme en pensant à ma patrie. »
« Ainsi, isolé du monde, enveloppé par le ténèbres, Kir Nicolas redevenait chaque nuit l’homme-nature tel que les montagnes d’Albanie l’avaient créé, tel qu’il avait été avant d’être offensé par les hommes et mis à genoux par la vie.
[…] Il était alors beau à voir. »
C’est un des secrets d’Istrati : révéler l’humanité, même dans les situations les plus difficiles de l’existence.
Et il y en a, de ces moments-là !
J’espère que cette lecture vous aura transporté autant que moi, vers la nature sauvage de Braïla, si près du Danube…
