La planète agonise mais rien, ou presque, n’a vraiment bougé jusqu’à présent dans notre pays. Pourtant, des générations d’hommes de valeur, auréolés de leur pratique de terrain, nous avaient mis en garde depuis longtemps : René Dumont, Jean-Yves Cousteau, Paul-Emile Victor, Théodore Monod, Haroun Tazieff, Jean Dorst…
Dans le bruissement médiatique actuel, il semble impossible de faire entendre sa voix. La science est devenue trop cloisonnée aujourd’hui pour qu’on puisse reconnaître à ses représentants la capacité d’avoir une vision globale des problèmes. Albert Jacquard (philosophe), Pierre Rhabi (agronome), Edgar Morin (philosophe) Serge Latouche (économiste), Gilles Clément (paysagiste et écrivain) ont beau s’égosiller, la sauce ne prend pas et ne prendra jamais. Il semblerait donc qu’il n’y ait point de salut en dehors des médias. Ce qu’ont bien compris d’ailleurs Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand, Hubert Reeves et quelques autres. Il ne viendrait à personne l’idée de leur jeter la pierre, la médiatisation de la cause de la Terre est peut-être l’ultime recours, l’écologie politique ayant failli, en attendant le temps bien improbable où les Terriens changeront en profondeur.
Il y a un mois, Télérama avait soulevé le problème du silence des intellectuels français sur la question de l’environnement. C’est vrai que ce silence est inexplicable a priori. On sent bien qu’il va falloir tout réinventer, redéfinir les rapports entre l’Homme et l’environnement, redonner du sens à la vie. C’est peut-être la première fois que l’Homme se trouve confronté à un enjeu aussi important. Il ne s’agit plus aujourd’hui de simplement cantonner le débat à un niveau technique, sur les questions de la grippe aviaire, des esthers de glycol, du nucléaire ou de la diminution de la ressource en eau (même si ces débats sont primordiaux) mais bien de repenser entièrement le système, notre système de vie, dans toutes ses composantes. Il ne s’agit plus de « s’enfermer dans une vision pûrement esthétique de la nature comme s’il ne s’agissait que d’un tableau » mais bien de remettre à plat nos rapports avec notre environnement, à la lumière de ce que nous sommes devenus et savons aujourd’hui. Dans ce débat, le monde intellectuel devrait avoir une place de choix, qu’il n’a pas su occuper.
L’article très intéressant de Télérama, écrit par Weronika Zarachowicz, met l’accent sur les deux derniers siècles et sur l’idée de DEVELOPPEMENT qui règne en maître sur la pensée française. L’intellectuel français est l’héritier du siècle des Lumières. Pour lui, les principales références sont « le progrès et la raison, la croissance et l’accumulation des richesses indéfinies » alors que finalement ces valeurs perpétuent « un humanisme non écologique et un développement techno – économico – scientifique ».
Ces considérations sont probablement vraies en ce qui concerne les intellectuels français, mais je pense que, d’une manière générale, la difficulté à réagir de l’ensemble de la population est à rechercher beaucoup plus loin. Pour survivre, l’Homme a dû, pendant des centaines de milliers d’années, se battre contre la nature et l’asservir (tout du moins dans notre société occidentale). L’idée de l’homme dominateur de la nature est à rechercher très loin, elle constitue l’essentiel de l’histoire de l’humanité. On ne passe pas du concept « dominer » à celui de « composer avec » en quelques décennies seulement. C’est pourtant bien ce que nous sommes aujourd’hui dans l’obligation de faire, faute de crever rapidement et faute d’avoir su anticiper à temps.
Le drame, c’est que nous allons nous poser de vraies questions au moment même ou d’autres civilisations (notamment chinoises et indiennes) sont ent train de faire le chemin inverse. Elles, qui avaient forgé au fil des millénaires un art de vivre basé sur l’harmonie entre l’homme et la nature (la nature étant source en elle-même de spiritualité), viennent de succomber aux charmes des sirènes du monde occidental.