En vieillissant, le jardinier essaie souvent de donner un peu de cohérence à son activité. Chez les « vieux amis jardiniers » de mon âge que je connais, je remarque qu’il y a deux choses qui prennent de l’importance au fil des années : d’une part ce magnifique objectif de se nourrir toute l’année des fruits et légumes de son jardin (c’est à dire boucler la boucle : DU PRINTEMPS AU PRINTEMPS !) et d’autre part de produire, pour totalité ou partie de ses légumes, ses propres graines (c’est à dire boucler une autre boucle : DE LA GRAINE À LA GRAINE !). Ces deux choses sont sans doute, pour un certain nombre de jardiniers, l’aboutissement de toute une vie au contact de la terre. En tous les cas, ça l’est pour moi.
Je ne parlerai dans cet article que de la production de semences.
Mais comment sélectionner les plantes qui donneront des graines ?
Il existe plusieurs types de sélection, toutes à la portée du jardinier amateur.
La première méthode consiste à conserver « en l’état » une variété que l’on possède. C’est à dire qu’on prend tout un ensemble de plantes sans faire de choix. Exemple : pour faire ses graines de haricot de l’année suivante, on laisse trois ou quatre poquets de plantes qu’on ne consomme pas et dont on prélèvera les graines à maturité. On prend alors tous les grains de ces haricots-là, sans faire aucun tri particulier. Ce mode opératoire s’appelle la « sélection de conservation » (je n’aime pas trop ce terme car c’est de la sélection sans vraiment en être).
Une deuxième méthode est à peine plus sélective : on élimine dans les plantes qu’on a gardées celles qui nous semblent un peu trop rachitiques (ce qui revient peut-être à éliminer 10 ou 20% des plantes portes-graines). Exemple : dans un lot de 10 laitues réservées pour la production de graines, deux d’entre elles poussent moins bien que les autres, on les élimine.
La troisième méthode est la plus sélective, la plus draconienne. elle vise surtout à améliorer la variété sur un point particulier. On élimine la plupart des plantes et on ne garde que les meilleures des meilleures (peut-être seulement 10% des plantes). Exemple : on cherche à avoir une laitue qui résiste à la sécheresse et à la canicule, on ne va garder qu’un petit pourcentage des plantes parmi celles qui seront les plus belles et les plus tardives à monter en graines.
Evidemment, en présentant les choses ainsi, beaucoup d’entre nous vont préférer une des deux dernières méthodes qui semblent de prime abord plus performantes.
Mais …
Car il y a toujours un « mais » … (je ne sais plus qui a dit : « Quand il y a un « mais » c’est là que commencent les emmerd’s! »)
Ce « mais », on le trouve formulé dans plusieurs livres qui parlent des graines, et notamment dans le livre de Christian Boué (« Produire ses graines bio » aux éditions Terre Vivante). Christian Boué fait une comparaison très imagée avec le Tour de France. Si on ne sélectionnait que les meilleurs coureurs, ceux des échappées (et donc du classement général) on aurait forcément les meilleurs éléments, sauf que c’est dans le peloton que se trouvent les meilleurs coureurs de plaine, les meilleurs au sprint, les meilleurs contre la montre… Ne pas les sélectionner reviendrait à se priver de coureurs de très bonne qualité. Il en est ainsi des plantes : maintenir tout le potentiel génétique de notre population de haricots revient à garder le maximum de diversité (et non le minimum). D’autant plus que l’ensemble de ce potentiel génétique peut servir à faire face aux modifications – notamment climatiques – en cours.
Par ailleurs, il semblerait qu’on ne puisse pas améliorer les caractéristiques des plantes sans en faire régresser d’autres. C’est ainsi qu’on ne peut pas trouver de grosses variétés de pommes de terre qui aient le goût des petites (si ça existait, ça se saurait hein !). Améliorer un critère suppose donc qu’on prenne le risque de faire régresser la plante sur un autre point. Les points d’amélioration potentiels sont nombreux. Ainsi, sur la carotte, on a recensé 15 points possibles sur lesquels peut porter la sélection (la taille, la forme, l’absence de racines secondaires, le goût, la résistance à tel parasite, la résistance à telle maladie, l’absence de couleur vert au collet …). Mais voilà, la nature est ainsi faite (et sans doute est-ce bien comme cela !) on ne peut pas vraiment agir sur plein de critères à la fois : certains d’entre eux passent irrémédiablement à la trappe. Et Christian Boué de comparer les plantes avec les Shadoks. Je dois dire que ça m’a beaucoup fait rire, moi qui suis fan de cette série des années 60 (merci à Stéphane ne nous avoir offert l’intégrale). Vous vous rappelez ? Les Shadoks ont un cerveau constitué de quatre cases qui ne peuvent contenir que quatre éléments. Introduisez un élément supplémentaire, c’est un autre élément qui fout le camp. Idem pour les nombreux critères de sélection possibles de nos carottes, laitues, poireaux, tomates … Travaillez sur le caractère « résistance au transport » de la tomate, et c’est le goût (ou une autre caractéristique) qui va en pâtir.
(dessin de Caroline Koehly, qui a réalisé toutes les belles illustrations du livre de Christian Boué)
A l’heure où la sélection de graines devient pour certains d’entre nous une véritable passion (vous le saurez prochainement dans un prochain article), il me semblait important, avant de faire quelques articles sur le sujet, de présenter les différents modes de sélection possibles et surtout de mettre en garde les amateurs que nous sommes contre une sélection trop poussée de nos plantes. NE REPRODUISONS PAS LES EXCÈS DES PROFESSIONNELS dans ce domaine. Gardons donc toujours dans un coin de notre tête les deux comparaisons avec le Tour de France et nos amis les Shadoks.
Au moment de terminer cet article, je vois que les plus jeunes d’entre vous s’agitent sur leur banc dans le fond de la classe. Je dois même dire que j’entends de loin et depuis quelques minutes cette petite phrase : « C’est quoi les Shadoks ? »
Ah bon, vous ne savez pas ?