Suite de notre petite exploration de l’oeuvre de Brassens, disque par disque. Le sixième disque contient les chansons suivantes : La traîtresse – Tonton Nestor – Le bistrot – Embrasse les tous – La ballade des cimetières – L’enterrement de Verlaine – Germaine Tourangelle – A Mireille dit « Petit Verglas » – Pénélope – L’orage – Le mécréant – Le verger du roi Louis – Le temps passé – La fille à cent sous.

Ce disque est plutôt méconnu. Une seule chanson de l’album a connu un fort succès : L’orage (cliquer sur les liens en bleu) qui nous raconte tous les bienfaits du mauvais temps jetant parfois une voisine apeurée dans vos bras (relativisons cependant : j’ai beau « guetter » la porte d’entrée les soirs d’orage, j’en suis arrivé à la conclusion que ce genre de chose n’arrive que dans la poésie). René Fallet, écrivain et ami de Brassens, avait suggéré que cette voisine ne pouvait être que Pénélope dont Brassens nous a parlé juste avant dans la chanson précédente. Pénélope est le symbole même de la fidélité mais ses désirs inavoués l’emmenent parfois en rêve (et en rêve seulement) dans les bras du voisin. Aurait-elle enfin franchi le pas ? J’avoue que cette idée me séduit et peut-être était-ce là l’idée du poète de juxtaposer ces deux textes (peut-être aussi que Fallet tenait cette information directement de Brassens).
La mort est peut-être moins présente sur cet album que dans les autres disques. On sait depuis longtemps que Brassens affectionne les cimetières. En racontant l’histoire invraisemblable de ce jeune homme qui collectionne, partout où il le peut, caveaux, tombeaux et sépultures diverses, on pourrait croire que la chanson La ballade des cimetières est placée sous le signe de l’irrespect. Je crois qu’il s’agit, une fois de plus, d’une immense farce dont Brassens a le secret.
A l’opposé, Le verger du roi Louis est par contre emprunt de gravité et même d’une certaine solennité. Malgré l’aspect rieur du lieu (« des grappes de fruits inouis », « un essaim d’oiseaux réjouis »), on sent la présence oppressante des pendus qui ornaient autrefois les branches des arbres. Brassens a-t-il écrit ce texte en pensant à François Villon, pendu célèbre, dont il s’est toujours senti très proche ? Brassens, farouchement opposé à la peine de mort, écrira beaucoup plus tard (dans son dernier disque) La messe au pendu.
Après avoir enregistré sur le disque 5 Le cocu, Brassens continue dans la même veine avec cette autre farce qu’est La traîtresse, chanson dans laquelle il s’en prend à Madame Dupont qui lui fait l’infidélité de coucher avec son propre mari.
Le thème de l’amour libre est développé dans l’une des plus belles chansons du disque Embrasse-les tous. Sous une apparente incitation à l’amour volage, se cache la recherche éperdue de l’amour vrai et René Fallet n’a pas hésité à parler, à propos de cette chanson, « d’hymne à la pureté ».
Brassens n’a aucun respect pour cette institution vénérable qu’est le mariage et on s’en rendra compte plus tard à l’occasion de la célèbre Non-demande en mariage (disque 9). Pour l’instant, il se contente de raconter les mariages successifs et malheureux de Jeannette gâchés par un vieux malappris : Tonton Nestor. Et, avec La fille à cent sous, loin aussi des préoccupations de mariage, il se contente de raconter le quotiden et les amours passagères des pauvres gens, ceux qui vivent dans le « quatrième dessous » et qui voient parfois fleurir, au milieu de leur pauvre vie, l’amour et la tendresse.
Le mécréant, qui a donné son nom au titre du disque, est une drôle de chanson dont les 21 couplets très courts (de deux lignes seulement) sont égrénés de façon un peu martiale. Ce n’est pas ma préférée et je dois dire que je trouve le dernier vers particulièrement mal écrit.
Brassens était un admirateur de Paul Fort, qu’il connaissait bien, et dont il mettra en musique plusieurs textes (La marine, Le petit cheval et Si le Bon Dieu l’avait voulu). Sur ce disque, il récite successivement trois autres poèmes. Mais qui sait que Brassens a enregistré l’un d’eux L’enterrement de Verlaine sur un document vidéo probablement rare, en réutilisant l’air de la Marche nuptiale (sur le disque 4) ?
En retravaillant actuellement les chansons de ce disque à la guitare, je les redécouvre et leur qualité musicale me saute aux yeux. Je me demande d’ailleurs pourquoi elles sont été un peu boudées par le public. Une chanson comme Embrasse-les-Tous méritait certainement un très grand succès. C’est, en tous les cas, l’une des plus belles de Brassens.